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La Libération de Montmorency
Août 1944

Introduction, par C. Vermond

Adrien Basset, d'une famille établie depuis plusieurs générations à Montmorency, décide, vers les années 1930, de consacrer son temps libre à la vie de la cité.

Il reste de nombreuses années au Conseil municipal puisque sa première élection remonte à 1935, adjoint en 1938, il le reste jusqu’en 1959, année où il décide de ne pas se représenter.

Adrien BASSET a traversé comme tout Montmorencéen les années pénibles de 1939 à 1945, et tout particulièrment les jours angoissants de la libération.

Il a laissé quelques notes que nous publions dans leur intégralité.

Nous tenons à informer les lecteurs que les termes employés, qui nous semblent excessifs aujourd'hui, étaient courants à cette époque troublée.

Ne pas oublier que leur auteur fut un ancien combattant de 1914-1918.

C.V.


« C’est un témoin oculaire, bien placé par sa situation pour voir et entendre, qui nous fait le récit suivant, et dont nos lecteurs auront l'exclusivité ».

Aux Allemands qui depuis de trop nombreux mois étaient les hôtes de Montmorency, et sur lesquels aucune critique particulière n’était à formuler, avaient succédé en 1944 deux ou trois cents SS, logés comme leurs prédécesseurs rue de Paris et rue de Groslay. Arrivés fin juillet, étaient-ce vraiment, comme certains l’ont prétendu, les misérables responsables du drame d’Oradour ? Leur conduite à l’heure du départ, pourrait le faire croire.

Jusqu'au 15 août, rien de particulier ; mais l'avance des alliés les rend de plus en plus nerveux. Lors d’un festin dans la Salle des Fêtes, le 21 août, ils défoncent une porte et s’introduisent dans le local où se trouvent les denrées destinées aux colis des prisonniers ? Ils s'emparent de tout ce qu’ils trouvent, malgré démarches et plaintes à la Kommandantur et à la Feldgendarmerie.

Toutes les provisions disparurent, et l’autorité teutone n’eut qu'une seule et même réponse : « Avec les SS, rien à faire ». Aussi à partir du 20 août, les vols se multiplient ; des camions réquisitionnés arrivent en nombre, dans les parcs de la Mairie, du Château, du Duc de Dino, et du Château Saint-Pol . Les bicyclettes sont raflées sur les routes, les garages privés sont cambriolés la nuit et les autos de tourisme s'accumulent dans les propriétés des 24 et 32, rue de Paris et 4, rue de Groslay. Les soldats pénètrent de nuit dans les maisons de certains pour « s’amuser avec Madame ». Une femme jeune, dont le mari est parti travailler en Allemagne et qui y est mort, se sauva par la fenêtre. D'autres femmes plus âgées en sont quittes pour la peur. Ailleurs, e’est pour voler qu’ils organisent des parties nocturnes. À Margency entre autres, deux femmes seules sont soulagées de leurs bijoux et de leurs fourrures. M. Gout, à Andilly, est cambriolé lui aussi. Et rien ne peut leur résister. On sait, en effet comment étaient traités ceux qui ne s’inclinaient pas immédiatement. Un malheureux qui, de passage rue de Paris, refusa de leur laisser prendre sa bicyclette fut emmené dans une dépendance de la propriété Herrburger  : quatre Allemands le prennent par les membres, l’envoient au plafond, et le laissent retomber sur le sol. A demi-mort, il est traîné du 36 au 32 de la rue de Paris et achevé on ne sait comment. Mais il est facile de s’en rendre compte par la façon dont fut traité quelques jours plus tard notre jeune concitoyen Roger Levanneur. Nous avons vu dans la suite, à l'hôpital, ces deux cadavres : c’était un spectacle horrible et qui défie toute description.

Bref, la vie devenait de plus en plus difficile ; le ravitaillement se faisait mal, car par suite des bombardements aériens les chauffeurs des camions hésitaient à s'engager sur les routes de la grande banlieue. Puis, on sentait les soldats alliés se rapprocher chaque jour de notre région. Aussi Français et Allemands avaient-ils les nerfs à fleur de peau.

Cependant à la mairie, tout le monde, avec calme et sang-froid, restait à son poste, malgré l'absence du maire ; on sait, en effet, que fin juin, M. Roger Dupont qui était dans notre canton à la tête de la Résistance, alerté par l'arrestation de son ami et principal collaborateur d’Enghien M. Pineau, avait été obligé de s’éloigner de nous pour échapper aux recherches de la Gestapo. Restés sans nouvelles de lui depuis deux mois, nous venions d'apprendre qu’il était en sécurité à Versaïlles qui venait d'être débarrassée de la présence de l'ennemi, et où de concert avec M. Leonard, aujourd’hui Préfet de police, et quelques autres chefs de réseaux il continuait mieux que jamais la résistance sur le plan départemental.

Done ici, jusqu’au 24 août, rien de sérieux à signaler sinon cette nervosité sans cesse grandissante.

M. Perrochat, adjoint et maire par intérim, s’installa avec le secrétaire de la mairie, le jeune Chatelut, dans une dépendance de l’hôpital cantonal rue du Docteur-Millet, tandis que les trois autres adjoints MM. Dupré, Piednoir et Basset restaient presque en permanence à la mairie,

Aucun événement grave ne s’étant produit, nous pouvions espérer voir arriver notre délivrance sans grands dommages pour notre ville et ses habitants.

Mais le samedi 26 août, les choses se gâtèrent.

Un premier incident, l'arrestation, rue de Clairvaux, de Roger Levanneur sur lequel la Gestapo avait trouvé un brassard F.F.I. qu’un gaffeur lui avait remis, avait alerté les boches. Le pavoisement d’Enghien et les petites escarmouches qui se produisirent chez notre voisine finirent par les exaspérer. Des patrouilles circulèrent dans les rues. Ordre fut donné de fermer fenêtres et boutiques. Personne derrière les vitres. Vers 11 heures du matin, quelques personnes venant d’Enghien ayant pavoisé rue de la République et en bas de la rue du Temple, virent leurs appartements saccagés, des coups de feu furent tirés au hasard. e’est alors que fut tué M. Wallet, qui travaillait tranquillement dans son jardin, près de l’Abreuvoir, Mais le haut du pays était plus calme et l’après-midi semblait devoir se passer normalement ; cependant les patrouilles continuaient à circuler partout aux aléntours de la mairie. Les Allemands préparant leur départ vinrent chercher dans le parc tous les camions en état de marche, principalement ceux alimentés à l’essence, puis dans leur manie de destruction, ils mirent le feu à la plupart de ceux qu’ils ne pouvaient emmener. Quatre incendies éclatèrent bientôt en divers points du parc : denx d’entre eux situés juste sous le cèdre prirent bientôt une. ampleur inquiétante. Aussi nous nous décidârms, pour sauver cette perle de notre jardin public, de solliciter des sentinelles installées près de l’ancien poste de police l'autorisation d’éteindre ces deux incendies. Après avoir bien parlementé, il nous fut accordé de les déplacer, ce qui fut fait non sans mal ; mais notre cèdre était sauf. Vers 15 heures, nous montons à quatre ou cinq sur le toit de la mairie et, tout en évitant de nous faire voir des patrouilleurs, nous inspectons les environs immédiats de notre maison commune. Nous apercevons quelques sentinelles, fusil sous le bras, faisant les cent pas de la place des Cerisiers à l’avenue Rey-de-Foresta et surveillant d’une façon toute particulière notre gîte. Un coup de téléphone nous fait savoir que deux chars de la Division Leclere, accompagnés de plusieurs F.F.I. montaient vers nous par la rue de Paris et nous nous étonnions de n’entendre aucun bruit annonçant une lutte, ni de constater une agitation quelconque du côté de la rue Grétry.

Aussi allions-nous redescendre, quand de l'avenue Émile débouche dans l'avenue du Parc, un camion pavoisé aux couleurs françaises et sur lequel nous distinguons quelques hommes. Nous pensons que ce sont des soldats français ou américains et nous sommes légèrement déçus, quand nous reconnaissons le conducteur du camion, M. Bourgeois, et parmi les occupants (une dizaine environ) quelques Montmorencéens et d’autres inconnus, armés l’un d’une mitraillette, les autres (quatre) de fusils, le reste de révolvers. Tout ce monde est descendu devant les fenêtres de la salle des fêtes, et bientôt le camion fait marche arrière et repart tandis que nos gars vont se poster les uns devant le numéro 3 de la rue Grétry, les autres rue Saint-Jacques devant l’ancien commissariat. Quant aux Allemands qui s'étaient retirés en diverses directions, ils se regroupaient au coin de l’avenue Rey-de-Foresta et de la rue Grétry, devant la maison Ponsin. Et la fusillade de crépiter bientôt et bien vite. Hélas ! Le tac-tac de la mitraillette cesse presque aussitôt. L’arme vient de s’enrayer et son propriétaire s’esquive au plus vite. Les fusils s’arrêtent aussi de tirer et nous voyons tous nos concitoyens s'enfuir vers la Place du Marché ou entrer dans la salle des fêtes. Les Allemands n'ayant plus rien devant eux remontent la rue de Grétry. De notre observatoire, nous les voyons arriver à nos pieds ; quelques-uns s’égaillent par la rue Saint-Jacques deux ou trois entrent dans la mairie par la petite porte donnant sur l’avenue du Parc, pariementent avec nos collègues restés au rez-de-chaussée, et après s'être assurés d’une façon d’ailleurs sommaire qu'il n’y a pas d’armes, ils vont rejoindre leurs camarades qui explorent la salle des fêtes. Ils en sortent bientôt encadrant deux de nos concitoyens, en qui nous reconnaissons deux coiffeurs de la ville, MM. Foulon et Poirier. Avec la douceur qu’on peut imaginer, ils leur font croiser les mains sur la tête ou lever les bras, puis les font mettre le long du mur de la salle des fêtes sur le petit terre-plein situé juste en face de nous. Pas de doute, ils vont être fusillés. En effet, les Allemands ont reculé de quelques pas et préparé leurs fusils. Encore quelques secondes et les malheureux vont tomber victimes de leur témérité.

Grâce à Dieu, au même instant, débouche à grande vitesse de l'avenue Émile, un char blindé monté par des troupes régulières.

Aussitôt les Allemands font demi-tour et se sauvent à toutes jambes à travers les taillis qui les séparent de la rue Saint-Jacques ; Leurs deux prisonniers en profitent pour rentrer chez eux avec la même vitesse, preuve que l'émotion ne les avait pas paralysés. Mais bientôt des détonations se font entendre. Du char arrêté au milieu de l’avenue du Parc, le canon tire en direction de la rue Grétry. La grille du parc, le mur de la propriété Bancel sont assez sérieusement touchés. Sur qui, sur quoi tire-t-on ? Car de l’autre coté on ne répond guère. Pourtant au bout d’un moment la rue Grétry semble s’animer. J’ai su par la suite que les Allemands qui avaient fui vers la rue Saint-Jacques et la rue de Clairvaux (e’est à ce moment-là sans doute qu’ils firent feu et blessèrent, dans la cour de l’entreprise Leroy, son ouvrier Texier). Les Allemands, dis-je, avaient rejoint leur dépôt rue de Paris pour remonter ensuite par le fond des propriétés situées en bordure de la rue de Paris et de la rue Grétry, sortaient par la propriété d'Albert Tournadour, prenaient le trottoir de droite, entraient dans l'immeuble des Pompes funèbres , escaladaient les murs des deux propriétés voisines pour arriver juste en face de l'avenue du Parc, dans la propriété Bancel. Mais la lutte n’est pas longue ; et alors que nous pensons que nos amis, avant de s’aventurer plus loin, attendaient les renforts qui nous avaient été annoncés d'Enghien, nous apprenons que ces blindés qui avaient pris le chemin de la rue de Paris avaient l’ordre de ne pas dépasser le carrefour de la Porte-Rouge , et que celui qui était devant nous devait borner là son action et redescendre sur Enghien. Le bilan de cette double opération ? Est-il vrai, comme cela a été affirmé depuis, qu’un Allemand ait été sinon tué, du moins grièvement blessé dans la propriété Bancel ? Ce qui est certain, e’est que lorsque le calme est revenu, pour un moment, il nous est signalé qu’un des combattants du premier camion est tombé rue Grétry. Les brancardiers Laroche et Ahouille vont le chercher sur une civière et l’amène à la mairie. Il est blessé à la tête, mais a toute sa connaissance. Le docteur Gourmand qui vient d’arriver lui fait un pansement sommaire et le fait transporter à l'hôpital par l’ambulance requise par téléphone.

C’est un jeune habitant d'Enghien, Charles Gossez : alors que sa blessure apparaissait superficielle, il mourut le soir à l'hôpital. Les Aïlemands nous signalent bientôt un autre blessé ; c’est en réalité un mourant qui arrive, un Montmorencéen, Fernand Therouin, qui a été abattu rue Théophile-Vacher, face à l'immeuble Froquet. En effet les boches ont amené des renforts par autobus au carrefour Rey-de-Foresta / Théophile-Vacher. De là, ils contrôlent ces deux rues et l’avenue Victor-Hugo. La mairie est cernée plus que jamais. Les Allemands se sont installés dans la propriété Bancel ; quelques-uns dans le jardinet devant la maison, d’autres dans la cour. Deux d’entre eux ont un appareil sur le dos, un autre soldat charge cet instrument et fait partir le coup. e’est sans doute avec cela qu’ils envoyaient ces petits obus à ailettes que l’on a retrouvés par la suite et dont un certain nombre n’avaient pas éclaté. D’autres boches circulent rue Gréty, rue Saint-Jacques, avenue du Parc ; quelques-uns sont cachés dans les taillis du parc. Naturellement, personne dans les rues. À la mairie, les employés et quelques citoyens qui s'étaient aventurés à venir chercher un renseignement, ne peuvent sortir. Les trois adjoints sont là aussi, ainsi que quelques membres de la Défense passive, au total une trentaine de personnes.

Tous les volets extérieurs sont fermés. Vers 17 heures, arrivent deux Allemands dont un major. Ils déclarent qu’un coup de feu a été tiré de l’intérieur de la mairie dans le parc. C’est d’autant plus faux que l’on ne voit personne circuler dans le parc. Le major demande que la porte-fenêtre du bureau des adjoints reste constamment ouverte et qu’un poste de secours avec l’insigne de la Croix Rouge y soit installé. Ce qui d’ailleurs ne servit à rien.

Par contre, dans le grand bureau central donnant sur le perron, face à l'avenue de Foresta, un imprudent qui n’avait rien à faire là, ouvre un côté de volet, jette un coup d'œil et se retire sans fermer ce volet. M. Leroy, faisant partie des F.F.I. prend sa place et à peine s’est-il approché de la fenêtre qu’un coup de feu retentit. Le malheureux a la cuisse traversée par une balle. Un employé M. Hette assis à son bureau au milieu de la pièce est blessé à la tête, la balle rebondit sur la glace et va frapper légèrement le pied du jeune Bonvalet. Après avoir été pansés sur place par le docteur Gourmand, assisté de Melle Callaud, infirmière, les deux blessés, sont à leur tour, transportés à l'hôpital. En route, deux boches arrêtent l’ambulance et veulent achever M. Hette qu'ils affirment être un terroriste. À l'hôpital, le docteur Cresson juge urgent d'amputer M. Leroy de sa jambe, seul moyen de le sauver, mais hélas, le malheureux devait succomber le surlendemain, 28 août, Ce furent les dernières victimes du quartier de la mairie. Mais nous apprenions le lendemain qu’un poste installé sue de Paris, au carrefour Notre-Dame /rue de Groslay avait fait deux victimes ; l'enfant Rey Louis qui, ignorant le danger était sorti de chez lui avec sa bicyclette. À peine était-il dans la rue qu’une balle lui traversait la gorge. Un moment après, M. Bedos, un parisien venu à Montmorency pour être plus en sûreté qu’à Paris, était abattu alors qu'il sortait du petit sentier bordant le bas du cimetière.

Une légère accalmie dans la soirée nous laissait espérer une tranquillité relative. Mais à peine la nuit tombée, la fusillade boche redoubla de violence. Un mortier est placé à la grille principale du parc, rue Théophile-Vacher ; un autre quelques mètres en arrière dans la cour de la propriété Bancel, puis des mitrailleuses sont installées dans le parc et rue Grétry, et jusqu’à près de trois heures du matin, les obus à ailettes tombent un peu partout, en particulier rue de la Réunion où Mme Blaise est tuée et son mari blessé ; rue Notre-Dame où des dégâts sérieux sont causés à la villa Jeanne-d'Arc, la maison Notre-Dame et à quelques immeubles vétustes de la rue de la Charette. Les devantures des immeubles situés dans le bas de la rue Saint-Jacques sont criblés de projectiles et la façade de l’hôtel-de-ville, sur l'avenue du Parc, porte, elle aussi, la trace de nombreuses balles.

Vers minuit un avion que nous savons avoir été demandé par les Allemands survole le centre de la ville à basse altitude et ceux qui sont au courant s’attendent à recevoir quelques projectiles ; mais après un quart d'heure d’allées et venues, notre peu sympathique visiteur repart sans autre démonstration. Tous les hôtes volontaires ou non de la mairie se sont groupés soit dans l’escalier qui du premier étage montent vers les combles, soit, au contraire, dans une des caves laquelle n’est séparée seulement que de quelques mètres du poste abri, occupé lui par des Allemands. Seul, je reste au rez-de-chaussée, ne quittant mon gîte que pour aller de temps en temps jeter un coup d’œil sur le toit de la mairie, d’où d’ailleurs on ne distingue pas grand chose.

Est-il vrai, comme cela m’a été affirmé depuis, que les Allemands installés dans la propriété Bancel aient voulu à plusieurs reprises venir mettre le feu à la mairie qui n’était, selon eux, qu’un repaire de terroristes ???

Quoi qu’il en soit, à partir de 4 heures, e’est un calme complet qui succède au début agité de la nuit. Et vers sept heures ons’aperçoit que la circulation a repris dans les rues, mais au ralenti. Cependant, chacun s’empresse de rentrer chez soi.

La matinée du dimanche 27 se passa dans le calme. Seul, M. Boulanger, habitant 15, rue de Paris, et à qui les Allemands ont, par trois fois ordonné de rentrer chez lui, en sort de nouveau pour aller, croit-on à la messe de 7h30. À peine le malheureux a-t-il fait quelques pas dans la rue qu’il tombe gravement blessé. Transporté à l'hôpital, il y meurt dans la soirée.

En ville tous les magasins sont fermés ; presque personne dans les rues ; très peu d’Allemands. À la mairie, seuls MM. Fevre, bijoutier, Pointard et Basset sont présents, ainsi qu’un jeune F.F.I. Robert Ahouille qui continue à se prodiguer d’une façon admirable. M. Pérrochat, maire par intérim ; restant comme on sait, à l'hôpital, M. Pointard, comme membre de la résistance, laisse entendre qu’il prend la direction de la mairie.

Dans la matinée, le quartier de la Châtaigneraie voit arriver de l'artillerie, des canons montés sur char s'installent boulevard de l’'Ermitage. La troupe commence par prendre position entre les vieux châtaigniers, tire quelques coups de feu sur les fenêtres ouvertes de la propriété Thomas-Garnier 46, boulevard de l'Ermitage, située juste en face, réquisitionne cette propriété et s’y installe. Il y a deux à trois cents hommes commandés par un colonel. Trois grosses pièces montées sur chars encombrent la rue. Vers 14 heures deux de ces chars encadrés de motos et d’autos parcourent la ville jusqu'à la Justice de Paix . En route, et principalement dans ce quartier populeux, les Allemands ramassent une douzaine d'hommes et de jeunes gens qui doivent servir d’otages. Pendant ce temps, un commandant parlant très bien le français est venu demander à la mairie qu’on lui fournisse dix habitants, qui feront office d'otages, pour le cas où ses hommes seraient attaqués par des terroristes (c'est leur mot), déclarant que pour un soldat tué, les dix otages seront fusillés. Ces otages pourront d'ailleurs être relevés aussi souvent qu’on le voudra (toutes les trois heures par exemple) à condition qu’il y ait toujours dix Montmorencéens au 46, boulevard de l'Ermitage M. Pointard est bien embarrassé pour trouver son monde. C'est le commandant allemand qui lui suggère de prendre sur la liste des abonnés au téléphone le dixième nom de chaque lettre, c’est ainsi que sont désignés MM. Anquez, Bardey, Cappio, docteur Demirleau, Ettori, Feutrel, Genestin, Hermann, Villa Jean, et Laloyau. La plupart de ces messieurs sont absents ou ne répondent pas, le téléphone fonctionnant très mal.

Seul, M. Anquez arrive vers 15 heures M. Pointard va prévenir M. Perrochat à l’hôpital, lui demandant d’agir en conséquence, mais il revient seul à la mairie. Devant ce résultat, et le téléphone fonctionnant de plus en plus mal, M. Pointard me demande de l'aider, le vais alors rue Carnot où je trouve MM. Pépin, Lefèvre Fernand, Vila Louis et Morise Henri qui veulent bien m'accompagner : puis M. Basset Robert, qui doit être chargé d'une mission spéciale. Pendant ce temps M. Pointard est ailé chercher le docteur Demirleau. Celui-ci étant parti faire un accouchement à Soisy, c'est son voisin, M. Dupré, adjoint, qui, sollicité, accepte de le remplacer. Enfin un employé va chercher à leur domicile MM. Ettori, Feutrel et Laloyau. Les dix otages étant là, la pette troupe se met en marche, accompagné par l'agent de liaison, M. Barrez, cmployé à la mairie. Arrivés à l'Ermitage, nous sommes reçus par le commandant qui nous fait un petit discours lequel peut se résumer ainsi : « le ne veux pas que mes hommes soient tirés dans le dos, comme ils l'ont été à Paris ; voilà pourquoi je prends des otages ». Il libère alors nos concitoyens qui avaient été pris en ville par les autos et nous prenons leur place au sous-sol de la propriété. Conduit par un sous-officier parlant le français nous sommes gardés par deux sentinelles, baïonnette au canon. Les propriétaires de la villa, M. et Mine Thomas-Garnier viennent à tour de rôle nous tenir compagnie et nous donner quelques renseignements sur les occupants de leur demeure. Vers 19 heures, les Américains installés route de Calais, entre Pierrefitte et Saint-Brice, connaissant sans doute la présence des Allemands dars le coin où nous sommes, envoient quelques obus qui tombaient un peu trop court ; cela nous distrait quelques instants et nous attendons que 21 heures arrivent, heure à laquelle nous devons à notre tour être relevés. Entre temps, les Allemands amènent dans une pièce contigüe à la nôtre, six étrangers, russes ou polonais qu’ils ont touvé dans le fort de Domont où l’organisation Todt les a laissés pour compte.

Nous ne nous doutons pas alors qu’ils vont un peu plus tard nous rendre service.

À 21 heures notre homme de liaison, parti en ville à la recherche d’un camion alimenté à l'essence, en venant signaler qu'il n’a rien trouvé nous annonce qu’il re sait pas à quelis heure nous serons relevés, ni même si nous le serons. Quelques minutes après nous apercevons M. Perrochat, en conversation avec le commandant allemand ; nous pensons avoir sa visite mais il repart bientôt sans venir jusqu’à nous. Pourquoi donc est-il venu ? C’est Mme Thomas-Garnier qui, renseignée par le commandant, nous apprend que notre collègue muni d'une lettre émanant de l’autorité militaire française, est venu demander la mise en liberté des otages. Ce à quoi l’Allemand a répondu par un refus. Nous avons eu depuis l'explication de cette intervention. Dens le courant de l’après-midi le docteur Gourmand recevait la visite de son gendre le docteur Roger, grand résistant en contact avec l’armée française. Apprenant la prise d’otages, il était reparti iramédiatement en auto à Paris exposer la situation à Montmorency et le général d’Anglade, lui avait remis une lettre exigeant la mise en liberté des otages, spécifiant que pour un Montmorencéen fusillé trois Allemands seraient passés par les armes.

Est-ce pour cela, qu’une demi-heure après le départ de M. Perrochat, Mme Thomas-Garnier vint nous prévenir que ayant récupéré par ailleurs six otages (ce sont les six étrangers arrivés tout-à-l’heure), le colonel consent à ce que les six plus âgés d’entre nous rentrent chez eux, mais à leurs risques et périls. Après discussion trois Allemands sont chargés de nous accompagner et les six vétérans dont je suis quittent le 46, du boulevard de l’Ermitage, y laissant MM. Dupre, Laloyau, Morise, Vila.

J'apprends alors par l’homme de confiance, qui, lui, a su trouver un remplaçant en la personne de M. Delorme, que rien n’a été fait pour la relève de nos compagnons. Aussi en route encadrés par nos gardiens, qui ont, eux, une frousse intense, malgré leurs fusils et grenades ! Je convoque pour le lendemain 6 heures quatre de nos concitoyens : MM. Morin, Henri Lesclauze, Deu et Dufaure ; puis je rassure soit directement soir par téléphone, les familles de nos quatre camara- des restés chez les boches, leur affirmant qu'ils ne courent aucun danger. Enfin je passe à la mairie où M. Pointard m'explique que resté seul ou à peu près, il n’a pu s'occuper de notre remplacement.

Et le lendemain à 6 heures, nos quatre citoyens convoqués dans la nuit arrivent à la mairie bien exacts au rendez-vous, Nous nous mettons en route pour l'Ermitage, mais à peine avons-nous fait quelques pas que nous voyons déboucher de la rue de la Châtaigneraie nos compagnons de la veille qui, libérés depuis 2 heures du matin ont dû attendre pour rentrer l'heure permise à la circulation. C'est alors que M. Dupré nous fait le récit de la nuit agitée qu’il vient de passer. En effet, vers 1 heure du matin, le commandant vient demander si parmi les otages il y en a un qui connaisse le chemin pour aller à Montlignon. M. Dupré répond « présent ». Un sous-officier vient alors le chercher et le plaçant en tête de la troupe qui reste (150 hommes environ) il lui explique qu'il doit les conduire au fort de Montlignon. Et notre adjoint part, flanqué d’un soldat à droite et à gauche, un troisième le suivant immédiatement, et tous les trois, tout prêts à lui tirer dessus au moindre mouvement suspect.

Arrivés en haut de la rue Gallieni, en face du monument aux morts un amas de branches d’arbres laissées sans doute par des pièces camouflées qui ont stationné là toute la journée encombre la route. On le fait aller seul sur cet obstacle, les boches craignant que cela dissimule une mine. Puis jusqu’au fort de Montlignon, pas d’autre incident. Mais alors qu’arrivé à destination et tandis que les officiers inspectaient leur nouveau campement, M. Dupré demande si on va bientôt lui rendre la liberté, le sous-officier lui répond que pris comme otage, parce que terroriste, il ne sera pas relâché, mais que tout de même il va en référer au colonel. Celui-ci arrive un moment après avec le commandant. Par le truchement de celui-ci, la conversation s'engage mais d’une façon peu rassurante, au début. « J'ai vu le moment, nous dit-il où il ne me restait plus rien d’autre à faire que mon acte de contrition ».

Enfin après avoir bien discuté, fait voir qu'il était adjoint au maire de Montmorency, juge au tribunal de commerce, et d’ailleurs otage volontaire, le colonel le fit reconduire en auto jusqu’au 46, boulevard de l’Ermitage, où avec ses trois compagnons de captivité il attendit 6 heures.

Après ce récit je descendis à l’église remercier Dieu de nous avoir tirés sans dommage de ces heures qui auraient pu être fatales pour quelques-uns d’entre nous.

En revenant à la mairie, j'apprends que, pendant que tous ces incidents se passaient dans le haut de la ville, la partie basse n’était pas épargnée, au contraire.

Le dimanche vers 15 heures, deux autos blindées allemandes venant de la route de Saint-Brice descendent sur Enghien, en passant par la rue de Jeu-de-l’Arc et la rue Saint-Valéry. Naturellement, personne dans les rues, d'autant plus que tout le monde dans ce quartier, croyait que les Allemands continuaient la chasse aux otages. Aussi les hommes se cachaient-ils le mieux qu’ils pouvaient. En particulier, plusieurs habitants du grand immeuble, 5 rue Saint-Valéry, s'étaient cachés dans un petit souterrain situé au milieu du jardin de la propriété. En entendant les chars s’arrêter devant leur grand portail, ils prirent peur et jugèrent plus prudent de filer par la rue de la Fontaine. Mais à peine étaient-ils sortis de leur gîte qu'une rafale de mitrailleuse en frappait deux : MM. François et Hatte qui durent être hospitalisés et opérés immédiatement. La blessure de M. François fut particulièrément grave puisqu'il dut subir trois opérations et rester alité plus de six mois.

Les blindés, qu’une panne avait immobilisés pendant quelques minutes seulement, avaient continué leur route vers Enghien. Arrivés au bas de la rue des Chesneaux, voyant deux personnes dans leur jardin, l’un des mitrailleurs fit à nouveau parler son arme et M. ET Mme Van Larr furent atteints, lui à la main, elle à la jambe, quelques Allemands se ruèrent alors sur leurs victimes à terre pour les achever. Par bonheur, M. Van Larr parlant leur langue, put s’expliquer se tirer au mieux de cette situation tragique. Les blindés, continuant leur chemin, arrivèrent à la route de Saint-Leu , où une pauvre petite barricade avait la prétention de leur barrer le chemin. Et ce fut tout ce coin qui écopa. D'abord les derniers immeubles à droite et à gauche de la rue des Chesneaux furent incendiés, causant entre autres la mort de me Ganneau qui pour ne pas être brûlée vive voulut descendre du deuxième étage au moyen d’un cordage formé de draps, mais elle lâcha trop tôt, tomba lourdement sur le sol et mourut quelques heures après. M. Rioux habitant le même immeuble fut grièvement blessé, transporté à l'hôpital, il y mourut six semaines après.

La boulangerie Maugars subit elle aussi de sérieux dégâts. Quant au côté montmorencéen de la route de Saint-Leu, s'il n'eut pas plus à souffnir, ce fut grâce à l’arrivée d’un char de la Division Leclerc (l'Ouragan) qui fit sauter l'un après l'autre les deux blindés boches.

Revenons maintenant dans la partie haute où la matinée du lundi 28 s'annonce bien calme. Cependant vers 11 heures, ordre est à nouveau donné de ne voir personne dans les rues, personne aux fenêtres. Nous comprenons que le dernier départ est proche. Malheureusement, il devait y avoir encore plusieurs blessés.

Quelques habitants du parc Séchan, se croyant tout à fait tranquilles, circulent dans leur jardin, mais une mitrailleuse installée sur le toit de la tour Messein entre en action et Mme Lardet ainsi que le jeune Parmentier sont atteints, heureusement légèrement.

Cependant, à côté de la propriété Messein, située on le sait au 20 de la rue de Paris, se déroulait un drame horrible. J'ai noté en commençant ce récit l'arrestation du jeune et sympathique Roger Levanneur, âgé de vingt ans. Pris le samedi 26, rue de Clairvaux porteur d'un brassard F.F.I. le malheureux est amené à la propriété Franck, au 24 rue de Paris. Interrogé, torturé pendant des heures et des heures, il ne dit rien, ne livre aucun nom. Le lendemain dimanche son père essaie en vain d’attendrir ses bourreaux. Il ne peut qu'apercevoir son fils aussi désespéré que lui. Le lundi matin, l'abbé Van Thiel, un des vicaires de Montmorency se rend aussi rue de Paris. Parlant couramment l'allemand, il exige qu'on le mette en présence du prisonnier. Les soldats ne savent quoi lui répondre, quand arrive le médecin major qui lui affirme sur l'honneur que notre ami, libéré, mais complètement affolé, s’est enfui par la ruelle des Blots et qu'il doit errer à travers champs. La vérité est qu’il a été fusillé la veille au soir et jeté dans un coin de la propriété Feiss contiguë du 24. Et le matin, on relevait à côté de lui le corps d’un enfant de seize ans, André Rabier, de Deuil, que les boches avaient également fusillé (pourquoi ?? ) le lundi matin, alors qu'ils préparaient déjà leur départ.

Au début de l'après-midi de ce lundi 28, je descends à l’hôpital voir les blessés, j'arrive au moment où une ambulance allemande est en train de charger les quatre blessés boches qui ont été amenés en chirurgie il y a quelques jours. Pendant que je vais de salle en salle, se passe dehors un incident qui aurait pu avoir des suites tragiques. L’ambulance, une fois chargée, est venue se placer devant le bureau des entrées, face à la grande porte, attendant pour partir le lieutenant major de sinistre mémoire qui doit arriver d’un moment à l’autre. À ce moment l'agent de faction à cette grande porte ouvre celle-ci pour donner le passage à une auto décorée de drapeaux français et sur les ailes desquelles se détachent trois lettres fatidiques F.F.I. De plus installés sur les marchepieds se tiennent deux hommes armés de fusils. Par bonheur, le directeur, M. Gislard traverse la cour devant l’ambulance boche, il se rend compte du sérieux de la situation. II se précipite sur les nouveaux arrivants, leur fait faire marche arrière, les fait filer par la rue du Cours où la porte leur est ouverte, fait disparaître drapeaux, fusils et revient à son bureau où arrive en même temps le trop fameux major.

Les boches qui jusque-là s’étaient tenus cois, poussent des hurlements, expliquent à leur façon l'incident qui vient de se produire. Malheureusement, à ce moment personne n’est là pour servir d’interprêtre, aussi tout se gâte, le major fait appliquer le long du mur le directeur, le docteur Miller, Mlle Martel et une quatrième personne qui se trouvait là, leur faisant comprendre qu’ils allaient être fusillés,

Fort heureusement quelqu'un courut chercher M. Perrochat qui était en train de se raser. Il arrive en courant et comme il parle allemand aussi bien que le français, il s'explique, met les choses au point, affirme que ces messieurs ne courent aucun danger. Mais le major n’a pas confiance. Il craint d’être attaqué en route et exige que notre maire-adjoint l'accompagne jusqu’à Domont. Ce qu'il fit, ne pouvant pas faire autrement. Arrivé à Domont, il fut relâché mais moins favorisé que son collègue Dupré, il dut revenir à pied jusqu’à Montmorency.

Pendant ce temps, la rue de Paris, la rue de Groslay se vidaient. Quand la plus grande partie du matériel, des munitions et des vivres fut chargée sur des camions, que la presque totalité des hommes fut partie, soit en autos, soit à vélos pour Domont et Montlignon, les derniers amorcèrent une mine au ras de la propriété du 22, rue de Paris. Deux Autrichiens qui étaient parmi les S.S. prévinrent en douce les habitants des villas voisines du danger qui les menaçait, de sorte que lorsque l'explosion se produisit, tous ces braves gens s'étaient mis à l’abri, il y eut de gros dégâts matériels, mais du moins n’y eut-i] ni tués, ni blessés.

Et vers 15 heures, le lundi 28 août, vingt-quatre heures après Enghien, Montmorency était enfin libéré.

Adrien BASSET

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