Bandeau de navigation
aa-accueil bulletin publications conferences expositions sorties autres

L'Ermitage de Jean-Jacques Rousseau à Montmorency

L'examen de la carte manuscrite d'Anguien dressée par le duc de Candé, au XVIIIe siècle , permet de situer le fief de l'Ermitage avec facilité. Sis exactement à l'orée de la forêt, non loin d'une châtaigneraie qui portait son nom ; il était jouxté par les fiefs d'Arras et du Savat, dotés chacun d'une fontaine. Isolé et d'un accès difficile, il se situait hors les murs, à un quart de lieue du bourg d'Anguien-Montmorency et à mi-côte, an midi, du revers du vallon que suivait le chemin de Paris. Le plus proche voisinage consistait en une poignée de maisons groupées autour de la route de Groslay ; plus loin, se dressait le moulin de Clairvaux, à proximité de la Croix de Venise. Six routes, en fort mauvais état, rayonnaient autour de cette croix: deux orientées vers Montmorency, les quatre autres vers Paris, par Deuil, vers Groslay, Saint-Brice et Domont.

«Ce lieu solitaire plutôt que sauvage» dit Rousseau dans «Les Confessions (Livre IX, page 403, Piéïade)» «me transportait en idée au bout du monde. Il avait de ces beautés touchantes qu'on ne trouve guère auprès des villes, et, jamais, en s'y trouvant transporté tout d'un coup on n'eut pu se croire à qualre lieues de Paris. Lorsque «l'ours»  de Madame d'Épinay vint s'y établir, ce séjour agréable était déjà auréolé d'une légende. Un document conservé au Musée Condé de Chantilly permet d'en vérifier l'authenticité.

Cliquer pour remonter en haut des colonnes

Le premier Ermitage et ses trois occupants

Le 7 avril 1659, un des fils de lean Le Roy, natif de Montmorency , chargea Pierre Girard, maçon, de «bâtir une chapelle, ermitage, logement et clôture» dans une pièce de terre qui lui appartenait de 20 perches (environ 1.683 m2), pour une somme de 475 livres. Ce malheureux pour qui dix sols constituaient une fortune, se contenta d'une bien modeste masure. Un croquis, esquissé sur un plan , laisse deviner qu'il s'agissait d'une maisonnette à deux étages, bizarrement affublée d'une immense cheminée. Une source que l'ermite avait découverte coulait non loin de là, et ses eaux, en vertu d'une concession par Charlotte de Montmorency à Particelli d'Hémery du premier mars 1648, étaient destinées à être captées pour l'usage du château de la Chevrette à Deuil-La-Barre .

Comme dans maints autres villages d'Île-de-France, l'érémitisme était un phénomène social fréquent au milieu du XVIIe siècle. Les ermites étaient en général d'anciens religieux qui n'avaient pu s'habituer aux rigueurs de la vie conventuelie et qui, en dehors des ordres réguliers, s'efforçaient de mener une vie semi-contemplative en se suffisant des aumônes des passants ou des curieux.

En 1675, un nouvean venu : Le Bret acheta à Le Roy un terrain de 20 perches jouxtant l'ermitage avec jouissance de la fontaine. Ce terrain fut ensuite vendu au sienr Compagnol de Tulan par les héritiers de Le Bret, et celui-ci y fit construire une maison, future demeure de lean-Jacques Rousseau au milieu du XVIIIe siècle .

À la fin du XVIIe siècle, un troisième ermite se joignit à Le Roy et à Le Bret, il se nommait Cavillier. Un acte notarié du 29 septembre 1690 constate qu'il s'était fait construire une chambre dans l'ermitage, dont il devenait propriétaire à titre viager, avec libre usage des eaux de la fontaine de Le Bret, pour une somme de 600 livres.

Le 4 mars 1690, Le Roy, sentant su fin prochaine, vendit son ermitage en viager au sieur Duplessis de Richelieu.

Le premier mars 1722, le sieur Mathas, procureur fiscal du duché, que Rousseau devait bien connaître, en devint propriétaire à son tour en vertu d'un bail à cens passé avec le prince de Condé .

En 1724 un procès opposa Jacques Mathas à son voisin le sieur de Talan, le litige avait trait à la reconstruction d'un mur mitoyen, à différentes servitudes de passage ainsi qu'à l'usage des eaux. Il est probable que l'Ermitage de Le Roy tomba en ruines à cette époque, en laissant son nom au fief sur lequel il avait été construit.

Cliquer pour remonter en haut des colonnes

Le second Ermitage et ses hôtes illustres

Le 8 janvier 1749 la maison du sieur de Talan, voisine de l'ermitage, construite à une date mal connue, devint la propriété de M. Belgarde d'Épinai, seigneur de La Barre et de La Chevrette. Son fils Louis-Joseph d'Épinay épousa Mademoiselle d'Esclavelle, future amie de Jean-Jacques Rousseau.

Madame d'Épinai décrit les lieux en ces termes dans une lettre au philosophe : «>Vous m'avez souvent ouï parler de l'ermitage qui est situé à l'entrée de la forêt de Montmorency ; il est situé dans la plus belle vue. Il y a cinq chambres, une cuisine, une cave, un potager d'un arpent, une source d'eau vive et la forët pour jardins». Rousseau, lassé des mille fadaises de la vie parisienne, accepta l'offre de Madame d'Épinays : il se retira dans ce qui n'était qu'une vieille masure où «une petite loge fort délabrée» sise non loin du réservoir d'eau du parc. Afin de vaincre ses ultimes résistances le propriétaire commanda, à moindre frais, quelques travaux de réfection qui s'avéraient indispensables et à la fin de l'hiver 1756, le 9 avril, Rousseau, Thérèse Levasseur et sa mère a‘installérent. Après quelques jours consacrés à une sorte de délire champêtre, Rousseau, homme laborieux, rangea ses paperasses el régla ses occupations, Il consacrait la matinée à copier de la musique, son gagne-pain ; il écrivait et méditait l'après-midi et le août. En mai, il entreprit de dépouiller les manuscrits de l'abbé Saint-Pierre et en tira «extrait du projet de paix perpétuelle» et «Polysynodie», ouvrages qu'il enrichit de ses commentaires. Au mois de juin, le «berger extravagant» se plongea dans de longues rèveries qu'il qualifia lui-même de chimères.

Le 18 août, il fit parvenir à Voltaire sa «Lettre sur la Providences» en réponse aux poèmes sur la loi naturelle et sur le dénastre de Lisbonne.

En automne, les êtres de rêve qu'il avait imaginés au printemps prirent soudain une apparence de vie ; il composa des lettres éparses, puis tâcha «d'y mettre quelque ordre pour en faire une espèce de roman». La Nouvelle Héloïse s'ébauchait duns son esprit. À la grande surprise dos parisiens, l'auteur du «Devin» passa l'hiver à l'Érmitage.

L'année 1757, commencée comme un roman se termina par un drame. À la fin du mois de janvier, la belle-sœur de Madame d'Épinay, Madame d'Houdetot, dont le carrosse s'était embourbé à proximité de l'actuelle fontaine des Haras, rendit visite au solitaire; celui-ci fut conquis par le charme de la jeune femme — Hormis la chère Thérèse, il avait pour toute société sa «belle-mère», et un jardinier chapardeur dont il a tracé le portrait : «>il rôdait toutes les nuits autour de l'Ermitage, armé d'un gros bâton ferré qui avait l'air d'une massue, et suivi d'autres vauriens de son espèce» ; il n'ignorait pas non plus qu'à Paris, Diderot s'employait à lui nuire. Le retour de Madame d'Houdetot favorisa l'éclosion d'une passion qui fut bientôt connue de Madame d'Épinai. Dès lors, un drame sordide et compliqué mit aux prises Rousseau, sa protectrice et la coterie holbachique. Le 15 décembre il fallut déguerpir, et se réfugier au Mont Louis, propriété de Monsieur Mathus.

L'Ermitage, déserté, retourna, sans doute, à l'abandon.

Monsieur de Belzunce, son propriétaire, ayant émigré à Bath, en Angleterre, en 1789, le domaine fut déclaré bien national en 1792 . Parmi les nouveaux occupants une tradition fort peu plausible mentionne Robespierre.

Cliquer pour remonter en haut des colonnes

Le séjour et la mort de Grétry

Le troisième jour complémentaire de l'An VI (9 septembre 1798) l'Ermitage devait servir de refuge à un illustre malade : André, Ernest, Modeste Grétry, musicien, auteur de nombreux opéras et membre de l'Institut.

L'acte, dressé en l'étude de Maître Paulmier, notaire à Paris , indique que pour la somme de 10,000 francs, Grétry devenait propriétaire : «>D'une maison et terre qui en dépendent, dites l'Ermitage, commune d'Émile... consistait en un corps de logis composé : au rez-de-chaussée d'un petit salon, salle à manger, cuisine, office, écurie, remise, cour d'entrée avec une grille de fer : au premier sept chambres dont plusieurs ornée de giaces et de chambranles de marbre ; mansardes et grenier au-dessus ; jardin à la Montreuil en plein rapport, ayant une jolie terrasse garnie de tilleuls et un bassin d'eau vive; Le tout contenant environ quatre-vingi-cinq ares clos de murs.... quatres ares, trente-cinq centiares de terres labourables tenant du levant aux châtaigniers côté de la forêt...et dix-sept ares huit centiares de terres».

Dans ce hâvre de paix, Grétry compasa un opéra «Éliska» et rédigea ses ««émoires» ; sa correspondance récemment publiée, atteste qu'il souffrit beaucoup de la phtisie qui le minait .

Charles Lefeuve rapporte qu'il songea à quitter sa maison, lorsque son voisin, le meunier de Clairvaux fut assassiné par un rôdeur mais il eut le courage d'y revenir et y rendit l'âme le 24 septembre 1613.

En 1815, Montmorency fut occupé par les Alliés. Le chef de la garnison plaça des sentinelles pour éviter le pillage de la propriété. Hélas il n'en fut pas de même par la suite.

Sa nièce, Madame Flamand-Grétry (née à Gand), y demeura jusqu'à sa mort, survenue le 4 avril 1847. Mais son mari vendit la propriété en 1839.

B.J. Docquilon

Cliquer pour remonter en haut des colonnes

Valid XHTML 1.0 Strict Dernière mise à jour le 16/12/2022 à 22:26./.
© 2016-2024 Société d'Histoire de Montmorency et de sa région.