Bandeau de navigation
aa-accueil bulletin publications conferences expositions sorties autres

La rue de la châtaigneraie

Cliquer pour remonter en haut des colonnes

Les débuts d'une tragédienne

Au numéro 10 habita la grande tragédienne Rachel. Celle-ci est née le 28 février 1821 à Mumpf, canton d'Argovie en Suisse. Son père, Jacob Félix, d'origine messine, était colporteur de son état, Il parcourait les routes d'Europe, vendant de tout au hasard des rencontres. Sa mère, Esther Haya, était originaire de Bohème. Elle exerçait la profession de ravaudeuse et «rajeunissait» les robes usagées qu'elle revendait ensuite. Les déplacements incessants du couple l'avait amenée, en ce début de l'année 1821, dans une auberge modeste par son aspect extérieur et rutilante par son nom (Zur Sonne) «Au Soleil». C'est là que vit le jour la jeune Élisa-Rachel.

Quelques jours plus tard, la famille reprenait la route. On raconte que ce départ faillit être fatal à la future tragédienne. Tombé de la roulotte, le nouveau-né ne dut son salut qu'à la lenteur de la marche et à l'obligeance de passants qui rattrapèrent les parents distraits(1). Nous n'avons aucun renseignement sur la petite enfance de Rachel. On peut supposer, toutefois, qu'elle ne fut pas choyée. Ce n'est qu'en 1829 que l'on retrouve sa trace à Lyon où, avec sa sœur aînée, Sarah, elle gagne déjà péniblement sa vie en vendant des oranges ei en chantant dans les rues.

En 1831, la famille Félix arrive à Paris et trouve à se loger misérablement, rue Traversière-Saint-Honoré, à l'hôtel des «Trois balances». Les deux petites filles continuent à mendier dans les rues. Deux autres enfants(2) sont venus s'ajouter aux deux aînées . Le peu de précisions que l'on a eues les débuts de la comédienne ont donné lieu à toutes sortes d'anecdotes à la véracité invérifiable. Par exemple, sa rencontre avec Victor Hugo, qui aurait été ému par le spectacle des deux petites filles chantant dans la rue. Une autre rencontre, vraie celle-là, devait décider de la vie de Rachel. C'est celle qu'elle fit avec Choron. Ce mathématicien, directeur de l'opéra, était de plus, fondateur d'une école de chant religieux pour laquelle il recrutait des élèves. C'est lui qui, assurément, fut à l'origine de la vocation artistique de Rachel. Mais dans un autre domaine que l'art vocal.

La voix profonde et rauque de la future tragédienne se prétait mal aux vocalises. Après quelques essais malheureux, Choron la présenta, alors, à Saint-Aulaire, qui dirigeait une sorte de Théâtre-École, le Théâtre Molière, situé dans un passage entre la rue Saint-Denis et la rue Saint-Martin. On y apprenait les rudiments du métier de comédien et le dimanche, à titre de travaux pratiques, on y jouait, devant les familles éblouies, quelques pièces de Molière,

Ce théâtre constituait une sorte de vivier dans lequel venaient puiser des directeurs de théâtre à la recherche de jeunes talents. C'est là qu'elle rencontre Vedel, futur directeur du Théâtre Français, puis Samson, comédien déjà connu, qui dirigeait un cours d'art dramatique et qui s'offrit à la faire travailler gratuitement. C'est là aussi que le pere de Rachel, J. Félix, se découvrit des talents d'impresario. Jusque-là, il avait suivi d'ou œil soupçonneux les occupations non rentables de sa fille cadetie. Mais voyant que ses dons étaient reconnus, il senti, à juste raison, venir l'affaire «juteuse». Il s'entremit dans les discussions de contrat. L'engagement au Théâtre Français tardant à venir, il fit engager Rachel au Gymnase, le 24 avril 1837. Son jeu dans «la Vendéenne» de P. Dupont ne souleva pas, d'emblée, l'enthousiasme du public. Le journaliste J. Junin la signala toutefois dans le «Journal des Débats» en quelques lignes très mesurées.

Rachel retourna à son maître Samson. Le comédien allait faire plus que lui ouvrir les portes de son métier, il lui ouvrit également celles de son foyer. Elle en devint la troisième fille et elle y trouva enfin chaleur et affection désintéressées. Sous sa direction, Rachel apprit son métier. Elle devint belle, sa langue s'assura et ses qualités scéniques transparurent dès qu'elle commença à jouer. Engagée enfin au Théâtre Français, Rachel débuta le 12 juin 1838 dans un rôle qui devait devenir son rôle-fétiche, celui de Camille de l'Horace de Comeille.

Hélas, le moment était mal choisi. C'était le début de l'été et la salle était à peu près vide. Cependant, comme consolation, elle reçut immédiatement l'hommage de ses pairs, entre autres, celui de la fameuse Mademoiselle Mors. Les séances suivantes n'eurent pas beaucoup plus de succès malgré des changements de rôle. C'est alors que survint le miracle : les lecteurs du «Jourmal des Débats» eurent la surprise d'apprendre, sous la plume de leur critique dramatique favori, J. Janin, la naissance d'une grande artiste.

«Dans l'orchestre, éteint à demi, dormait le violon à côté de la contrebasse endormie ; au fond de l'abime appelé le «trou du souffleur», le souffleur soufflait à chacun son rôle, et le vieil Horace, et le jeune Horace, et les Curiaces somnolents récitaient leur stridente mélopée.

Aussi, quand on vit que la débutante était à l'aise, et qu'elle allait naturellement, sans impatience et d'un pas calme, à un but, lointain sans doute, mais qu'elle entrevoyait avec l'œil de son esprit, les spectaleurs les plus difficiles et les plus rebelles à l'art ancien se sentirent tout disposés à une adoption sérieuse, et surtout après la grande scène des terribles imprécations, commencées à voix basse, à la façon de l'orage qui gronde. Ah! la chose était belle et glorieusement sentie, Aussi, de l'orchestre, à peu près vide, on entendit une voix qui disait:
— Voici la tragédie !

Cette enfant (apprenez son nom), c'est Mademoiselle Rachel. Il y a tantôt un an, elle débutait au Gymnase, et moi, à peu près seul, je disais que c'était un talent sérieux, naturel, profond, un avenir sans bornes ; ce tte fois, on ne voulut pas me croire: on me dit que j'exagérais... À moi seul, je ne pus soutenir cette petite fille, sur ce petit théâtre. Quelques jours après son début, l'enfant disparut du Gynmase, et moi seul, peut-être, j'y pensais, quand, tout d'un coup, elle a reparu au Théatre Français, dans les tragédies indestructibles de Corneille, de Racine et de Voltaire. Cette fois, l'enfant est écoutée, encouragée, applaulie, admirée. Elle est centrée enfin dans le seul drame qui fut à la taille de son précoce génie. En effet, quelle chose étrange, une petite fille ignorante, sans art, sans apprêt, qui tombe au milieu de la vieille tragédie! Elle la ranime, en souflant vigureusement sur ces augustes cendres. Elle en fait jaillir la flamme et la vie! Qui, cela est admirable! Et notez bien que cette enfant est petite, assez laide; une poitrine étroite, l'air vulgaire et la parole triviale. Je l'ai rencontrée bier, et elle m'a dit :
— C'est moi que j'étai t'au Gyrmase.
À quoi j'ai dû répondre :
— Je le savions! »

Journal des Débats — 10 septembre 1838

Portrait de Rachel
Cliquer l'image pour l'agrandir.

Il renouvelle encore ses louanges le 24 septembre et jette dans la balance tout le poids de son autorité reconnue. Les spectateurs se précipitent au français qui voit ses receties multipliées par douze. C'est la gloire en peu de jours! C'est bientôt même l'apothéose.

Le Roi Louis-Philippe assiste à la représentation de «Cinna» avec la famille royale Belge. À la fin de la représentation, il se fait présenter la jeune actrice et la félicite chaleureusement.

Cette ascension vertigineuse, Rachel la doit à ses dons exceptionnels, mais aussi, il faut bien le dire, à l'aide précieuse d'hommes qu'elle sait déjà s'attacher. Car, parallèlement (si j'ose dire) à sa carrière de tragédienne, Rachel avait commencé très jeune, {elle n'a que dix-sept ans après tout!) une carrière de courtisane de haut vol. C'était inévitable à l'époque et nulle comédienne ne pouvait espérer percer si elle n'était soutenue par des protecteurs puissants. Celui de Rachel fut le fameux Docteur Véron, administrateur et principal actionnaire du «Constitutionnel», sorte de Monsieur Birotteau qui aurait réussi dans les cosmétiques. H. de Vieil Castel trace de sa plume acérée un portrait sans complaisance de ce parvenu(4).

«Il est impossibie de se représenter Véron, quand on ne l'a pas vu: c'est un homme gros, sans cou, la téte bouffie, les joues tombantes, le nez de carlin, le ventre protubérant ; affectant les manières des roués de la Régence, apprises au théâtre des Variétés. Cynique spirituel de mauvais goût, impertinent ou maniéré, malheureux d'être couturé d'humeurs froides. Luxueux et luxurieux, vaniteux comme ce nègre de Dumas, comme lui maintenant bardé de croix et de plaques, il ne lui manque que l'habit rouge pour ressembler à Fontanarose».

Grâce au Docteur Véron, Rachel fut lancée dans le monde. Sa situation matérielle s’en trouva transformée (rémunération doublée, loge spacieuse, promesse de devenir sociétaire... à 17 ans !). Un an après, son trailement atteint des sommets jugés jusqu'alors inaccessibles : 20.000 francs puis 60.000 francs par an. Ce pactole ne ne déversuit pas soulement sur Rachel mais également sur toute sa famille qui abandonna l'hôtel sordide dans lequel elle vivait depuis son arrivée à Paris, pour un appartement dans le Passage Vérot-Dodat(5).

En 1839, Rachel acheta sous le nom de son père (elle était toujours mineure) une maison à Montmorency, rue de la Châtaigneraie. Nul ne saura jamais vraiment ce qui amena la tragédienne dans votre ville. Est-ce Musset rencontré la même année? C'est plus vraisemblablement le succès déjà affirmé de la région.

Enghien est devenu à la mode depuis la guérison de Louis XVIII et les grands acteurs viennent y faire des cures ou même séjourner. Talma, Mademoiselle Mars, Virginie Dejazet sont de ceux-là. De là, on monte à Montmorency où l'auberge Leduc, la célèbre auberge du Cheval Blanc, ne désemplit pas. L'ouverture, en 1846, de la ligne de chemin de fer Paris-Pontoise accélérera le mouvement. Les résidents d'été, en un siècle, passèrent des 130 relevés par le Père Gotte en 1776 à 2.309 à la fin du XIXe siècle avec une accélération brutale au milieu du siècle. Les Félix saisirent l'occasion et se mirent à acheter des terrains sur la commune pour y faire construire des maisons à louer (voir l'annexe).

Cliquer pour remonter en haut des colonnes

La gloire

En quelques mois, la jeune tragédienne est devenue la coqueluche du Tout-Paris. Delphine de Girardin la prend sous sa protection, elle est présentée à Madame Récamier et à Chateaubriand, la comtesse Duchatel, femme du ministre de l'Intérieur, l'invite à sa table, Elle comble très vite les lacunes de son instruction, et, de toute façon, Maître Crémieux, son avocat, tient sa plume quand naissent des difficultés épistolaires. En même temps, la gloire qui lui tresse des couronnes de roses, lui on fait sentir les épines, le prétexte en fut la reprise de Bazajet où Rachel était Roxane. Jalousie professionnelle, antisémitisme, même J. Janin doute d'elle et son feuilleton du 26 novembre 1838 est très sévère, C'est Musset qui prendra sa défense dans la «Revue des Deux Mondes» et qui répliquera à J. Janin dans une lettre furibonde :

«Votre feuilleton est grossier : littérairement, vous êtes un enfant à qui il faudrait mettre un bourrelet et personnellement, vous étes un drôle à qui l'on devrait interdire l'entrée de la Comédie»

La polémique entre les deux critiques faillit se terminer sur le pré. Ce fut Janin qui rompit. Cette défense énergique émut Rachel et le 29 mai 1899, rencontrant Musset à la sortie du Français, elle l'invita à dîner au Passage Vérot-Dodat. Le poète a raconté la scène dans «Un souper chez Rachel»(6).

Fac-similé d'une lettre d'Alfred de Musset à Mme Jaubert, sa marraine.
Cliquer l'image pour l'agrandir.

L'idylle fut intense (pour Musset surtout). Le poète se mit aussitôt à écrire une tragédie pour Rachel. Ce registre dramatique ne lui était pas aisé et la pièce tourna court au bout de quelques scènes. Mais elle vaut la cause d'un séjour de Musset dans la petite maison de la rue de le Châtaigneraie. Paul de Musset, dans la biographie qu'il a donnée de son frère, on raconte les circonstances(7), page 221.

«À l'heure du déjeuner, Alfred vint s'asseoir à table, comme à l'ordinaire. Il paraissait triste et répondait à peine aux questions que je lui adressais sur sa visite nocturne. On lui apporta une lettre qu'il lut et relut. Mademoiselle Rachel l'invitait à venir passer quelques jours chez elle à Montmorency, où elle avait loué une maison de campagne. Il partit d'un air joyeux, oubliant la boîte de pistolets que je remis à sa place. Je ne sais ce que contenait la lettre de Rachel, outre l'invitation, mais il est certain que, durant son séjour à Montmorency, le poëte amusa si bien son hôtesse par des dissertations sur les arts et des conversations légères ou sérieuses, qu'on ne le laissa retourner à Paris qu'avec bien du regret. Rentré à la maison dans une bonne disposition d'esprit, il écrivit à sa marraine une lettre où il ne parlait presque point de son séjour à Montmorency, contrairement à son habitude de rendre un compte exact de ses impressions à cette chère marraine : mais il racontait d'autres impressions plus récentes, à la suite desquelles cette lettre contenait la phrase suivante : «Qu'elle était charmante, l'autre soir, courant dans son jardin, les pieds dans mes pantoufles». Je me borne à citer ce passage, en laissant au lecteur le soin d'en tirer les déductions et conclusions qu'il lui plaira d'imaginer : il ne risquera pas de se tromper en pensant que cet incident dut produire une heureuse diversion aux galères de l'intelligence Ce fut comme un coup de vent qui emporta bien des idées sombres».

Ce fut la rencontre «étincelante» d'une tragédienne au début de sa gloire et d'un écrivain qui, à 28 ans, avait déjà écrit l'essentiel de son œuvre. «C'est un jeune homme de beaucoup de passé» aurait dit H. Heine à l'époque.

J'ai perdu ma force et ma vie
Et mes amis et ma gaîté
J'ai perdu jusqu'à la fierté
lui faisait croire à mon génie

La maladie, l'alcool surtout(8), étaient passés par là.

En 1840, au contraire, Rachel commence, elle, la série de ses longues tournées qui vont asscoir sa gloire internationale et précipiter sa fin. C'est Rouen qui l'accueille en 184i, c'est l'Angleterre, où la reine Victoria lui offre un bracelet d'or garni de ces simples mots : «Victoria Reine à Mademoiselle Rachels<-span>». Après le choc de la publication de sa correspondance intime par le docteur Véron et la première manifestation de sa maladie, elle revient dans la région parisienne et donc, à Montmorency. Notre ville sera le lieu où régulièrement elle reviendra refaire ses forces dont elle abuse.

Sa vie sentimentale aussi est très agitée. Le Prince de Joinville la séduit d'abord, il est le fils du Roi Louis-Philippe et vient de se couvrir de gloire en rapatriant les cendres de l'Empereur. Il l'aime, elle l'aime aussi sincèremment, mais la raison d'État les sépare bientôt. Ce sera sa seule incartade royaliste, elle revint bien vite aux Napoléonides(9} qui semblent l'attirer invinciblement. Elle débute sa liaison evec le Comte Alexandre Florian Joseph Celonna Walewski né en Pologue des amours de Napoléon et de sa «petite fiancée polonaise» Marie Waleska. Walewski lui donnera un enfant, né le 3 novembre 1844, qu'il reconnut. La liaison se termina au mariage du diplomate. Un autre Napoléonide, Arthur Bertrand(10), joyeux habitué de l'auberge du Cheval Blanc, lui donna un autre fils né le 26 janvier 1848, L'enfant fut baptisé à Montmorency, et nous reproduisons le texte de l'acte de baptéme consigné dons les registres paroissiaux de la Collégiale Saint-Martin. Mais il ne reconnut pas l'enfant. Elle écrit à l'époque à Jules Janin Le nouveau-né fut venu avec plus de circonstances atténuantes, je me serai permis d'en faire part à Madame Janin, maïs le pauvre petit arrive légitimement seulement dans mon cœur, je n'ai osé me confier qu'à mon ancien frère». Neuilly 1848.

Fac-similé de l'acte de baptême consigné dans les registres paroissiaux de la Collégiale Saint-Martin
  1. Alexandre Juan Antoine Colonna Waleski (le Parrain)
  2. Virginie Noury (la marraine}
  3. Léopold Le Hon
  4. Thuillier (Curé)
  5. Dinah Félix
  6. Rébecca Félix
  7. Rachel.

Cliquer l'image pour l'agrandir.

1848. La Révolution éclate et la monarchie de juillet s'effondre. Les révolutions ne sont pas des temps propices pour le spectacle. En fait, celui-ci descend dans la rue et les spectateurs suivent. Lockray, le nouvel administrateur du Théâtre Français, rebaptisé Théâtre de la République?>, se demandait comment remplir les caisses. Rachel vint alors à son secours et proposa de déclamer la Marseillaise (de la déclamer et non de la chanter). Tout le monde se pressa pour l'entendre, vêtue de blanc et scerrant sur son sein le drapeau tricolore. L'accueil fut tel que l'on organisa une tournée ea province. Marseille, Lyon, Montpellier, Nancy, Stransbourg, autant d'étapes, autant de triomphes(11).

De retour à Paris, elle parut dans des pièces dont son interprétation faisait des chefs-d'oœuvre (Adrienne Lecouvreur de Scribe par exemple). Elle entrecoupait la suite de ses succès de longs repos à Montmorency.

Cliquer pour remonter en haut des colonnes

Le déclin

En 1850, elle favorisa la nomination de son ami Arsène Houssuye au poste d'administrateur de la Comédie Française et obtint, en retour, six mois de congés par an!

Congés fructueux puisqu'elle va les mettre à profit pour effectuer des tournées dont les bénéfices lui reviennent en propre.

En 1852, Berlin; 1853, la Russie ; 1855 enfin, c'est le départ pour l'Amérique et le coup de grâce. Rachel, épuisée, devra renoncer à effectuer la série de représentations prévues. Elle fait une première halte à Cuba puis, revenue à Paris dont le climat froid et humide ne lui convient pas, on lui conseille l'Égypte. Mais cela ne sert plus à rien, sa laryngite tuberculeuse atteint son dernier stade.

À son retour, elle ne résidera plus à Paris. En ce début de l'hiver 1857, elle quittera la Capitale pour venir se réfugier sur la Côte d'Azur. J.-Jacques Sardou {le cousin du père de Victorien Sardou) lui a offert l'hospitalité du couvert dans sa somptueuse villa. Elle y meurt le 3 janvier 1858 à 37 ans, victime de son art, «span C'est l'art qui m'a tuée, je l'ai trop aimé».

Transporté à Poris, son corps fut inhumé le 11 janvier au cimetière du Père-lachaise, au milieu d'une foule immense.

Rachel chantant la Marseillaise
Cliquer l'image pour l'agrandir.

Les raisons qui poussèrent Rachel au sommet de la Gloire sont maltiples. Les unes furent de simple opportunité, les autres lui appartiennent en propre.

L'époque que marqua Le début triomphant de la tragédienne n'est pas sans importance. Le théatre romantique avait lassé les spectateurs et les bourgeois Louis-Philippards avaient senti confusénent ce qu'avait de menaçant pour l'ordre social ce déploiement d'héroïsme coloré et d'outrances verbales. Il fallait retourner à la mesure du théatre classique, où les héros sont, avant tout, vainqueurs du combat qu'ils livrent à eux-mêmes, L'espèce des grands tragédiens était alors en voie de disparition. Enfin, Rachel vint, ete... Un contemporain écrit:

«En 183O, on découvrit enfin que la tragédie était rdicule. Mais elle avait la vie dure. On enverra Rachel pour ranimer la moribonde. ET il se trouve que ce grand& moyen de la sauver fut précisément ce qui l'acheva. On crut d'abord que c'était ta tragédie que l'on admirait mats on ne tarde pas à découvir que c'était sculersnt la tragédienne».

Neator Roqueplan in Paris Guide — À Lacroix 1867.

Le succès de Rachel se trouve aussi dans son personnage lui-même. La tragédienne était un monstre de volonté et de travail, Elle s'était faite elle-même (cf. (3)).

Son génie et son intelligence n'étaient contestés par personne. Comment expliquer sans lui, le passage rapide de la petite nomade baragouinant un français fortement teinté de yiddish, à la grande tragédienne qu'elle est devenue. En relisant chronologiquement sa correspondance, on est surpris de la rapidité de ses progrès.

Sur scène, Rachel rayonnait. Il est toujours délicat de vouloir reconstituer le jeu d'une comédienne disparue depuis si longtemps. Cependant, il a frappé profondément ses contemporains et les témoignages abondent. On peut même reconstituer les nuances de sa voix et ceci, avant l'invention des moyens de reproduction sonore. Rachel avait tellement soulevé d'enthousiasme un de ses admiraturs, G. de Hohenzollern, que celui-ci avait noté les inflexions de sa voix(12) en utilisant la gamme musicale!

Les seuls reproches formulés par ses contemporains furent ceux d'une perfection un peu glacée. Vigny, jaloux de ses succès (peut-être à travers Marie Dorval) disait : «Son talent manque d'âme» et on connaît le mot terrible de Frédérick-Lemaître : «Rachel, la perfection et rien de plus».

Rachel dans Phèdre, de Racine
Cliquer l'image pour l'agrandir.

Si son génie n'était donc pas contestable, sa personnalité l'a été, en revanche, fortement.

Marquée par ses débuts misérables, Rachel aimait l'argent ou, plus exactement, elle fut toujours poursuivie par la peur d'en manquer. Son âpreté au gain était célèbre. lI est vrai aussi que l'argent gagné faisait vivre l'ensemble de la famille Félix qui avait, très tôt, compris quel parti elle pouvait tirer de la «petite», Elle procura à son frère Raphaël, devenu son imprésario et à ses sœurs, une position sociale qu'ils n'auraient pu espérer sans elle.

Cet esprit de famille, elle le reporta également sur ses enfants. À une époque où, dans son milieu, les enfants étaient surtout vus comme une calamité, elle leur porta toujours une grande affection, s'occupant personnellement de leurs petits problèmes d'enfants comme,plus tard, de leur avenir.

Un autre aspect positif de Rachel fut la fermeté de ses choix professionnels. Elle a pu se tromper mais jamais elle ne s'est laissée acheter. Ses convictions religieuses aussi furent inébranlables. Née juive, elle restera fidèle à la Foi de ses ancêtres(12) et ceci, malgré les pressions qu'elle à subies pratiquement jusque sur son lit de mort. C'était tout à son honneur car on ne peut pas dire que l'antisémitisme déclaré de l'époque ait aidé sa carrière.

Rachel eut à ses pieds tous les hommages qu'une comédienne pouvait espérer. Sa gloire attira dans notre ville presque toutes les célébrités de l'époque, La tragédienne à constitué un aspect essentiel de la vie de Montmorency au XIXe siècle, si riche à tout égard.

La vie courte et bien remplie de cette Montmorencéenne d'adoption méritait donc bien qu'on s'y attache.

Cliquer pour remonter en haut des colonnes

Annexe sur les biens de la famille Félix à Montmorency

Le travail effectué sur Rachel à Montmorency nous a permis de faire quelques découvertes sur les propriétés de la famille Félix dans notre ville.

Rachel, on de sait, possédait la maison de la rue de la Chätaigneraie(14) où elle a fait de nombreux séjours. L'achat de cette maison s'est effectué en 1899. Elle l'a revendue définitivement à son père le 1er novembre 1850 après l'avoir hypothéquée au même J. Félix en 1848.

Plan N° 1
Cliquer l'image pour l'agrandir.

Cette maison était située sur un terrain plus vaste que celui où elle se trouve actuellement. Elle donnait à la fois sur la rue de la Châtaigneraie au n° 10 et sur la rue de Grétry au n° 19.

Propriétaire de cette maison maintenant historique et des terrains avoisinants, Le père de la tragédienne possédait également de nombreux biens à Montmorency(5). Le rusé renard avait vu immédiatement l'intérêt qu'il y avait à acquérir des terres dans une cité qui s'ouvrait largement aux loisirs de nombreux Parisiens (voir le plan cadastral joint).

Jacques Félix figure après 1850 comme un des plus riches contribuables de Montmorency. Nous avons découvert sa présence sur les comptes-rendus des Conseils Municipaux, en effet, selon la loi du 18-07-1837 une liste des plus gros contribuables de la ville est dressée chaque année par le percepteur municipal. Ils sont appelés à siéger en même temps que les conseillers municipaux et en même nombre. Ils débattent de la levée des impôts locaux ordinaires et extraordinaires.

Plan 2
Cliquer l'image pour l'agrandir.

Le «père» Félix a donc siégé plusieurs fois el sa présence est signalée par sa signature.

Le frère de Rachel, Raphaël, fut également propriétaire dans notre ville.

Son deuxième fils, Victor-Gabriel, «Enseigne de vaisseau à bord de la frégate La Sybille à Toulon», en fut le dernier héritier, en particulier pour tout ce qui concerne le quartier de Clairvaux. Ce fils mourut en 1889 à Brazzuville après une carrière dans la marine, qu'avait suivie et aidée le Prince Napoléon.

Le plan 2 nous donne un aperçu des placements immobiliers que pouvaiernt effectuer certains spéculateurs en ce milieu du XIXe siècle si riche en éclosion de nouvelles fortunes.

À. Duchesne

Cliquer pour remonter en haut des colonnes

Notes

Valid XHTML 1.0 Strict Dernière mise à jour le 16/12/2022 à 22:26./.
© 2016-2024 Société d'Histoire de Montmorency et de sa région.