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La rue de la châtaigneraie (suite)

Au numéro 7, une plaque indique que le poète Henri Heine habita en ce lieu. Pourquoi Henri et non Heinrich? Comment cet écrivain allemand réussit-il à se faire adopter à tel point que, si certains contemporains gardant la prononciation allemande, écrivirent sur leurs enveloppes «Monsieur Heiné», son prénom. lui, fut francisé et que, aujourd'hui encore nous parlons de Henri Heine comme de l'un des nôtres.

C'est que ce poète, libéral et amoureux de la France, passa vingt-cinq ans à Paris. Chaleureusement acceueilli par les milieux artistiques et littéraires parisiens, il en devint vite l'une des personnalités en vue et fut, selon Monsieur Thiers, en bon connaisseur, «le Français le plus spirituel après Voltaire».

Qui est donc, en 1431, ce Rhénan qui quitte la Prusse réactionnaire de la Sainte Alliance pour la France de Louis-Philippe ? Né en 1797 à Düsseldorf dans une fumille juive assimilée, il a vécu quelques années heureuses dans le Grand Duché de Berg, confié en 1806 à Murat. Grâce à l'occupation française, il a pu, bien que juif, entrer en 1811 un Lycée impérial, mais les défaites napoléoniennes marquent le retour de la région à la Prusse : finis le libéralisme et l'égalité! Heine doit, dès 1814 quitter le lycée sans même pouvoir passer son examen de fin d'études.

Que faire? Peu attiré par la Banque où l'un de ses oncles pourrait le faire entrer, il parvient à faire des études de droit. Tout en poursuivant ses études juridiques, il s'intéresse à la littérature médiévale, découvre l'œuvre de Byron et écrit ses premiers poèmes. Converti au protestahtisme et devenu Docteur en Droit en 1825, il espère faire carrière dans l'enseignement mais, depuis 1823, une loi interdit aux israélites l'entrée dans les Universités,

Heine se tourne alors vers le journalisme, collabore aux «Nouvelles Annales Politiques de Münich» et poursuit sa carrière d'écrivain : ses premiers «Tableaux de Voyage» sont édités en 1826 puis, soit deux ans plus tard, «Le Voyage de Münich à Gênes», relation d'un séjour en Italie, dans laquelle il insère, véritable défi à la Sainte Alliance, l'hymne à la liberté que lui a inspiré sa visite du champ de bataille de Marengo : ... vue nouvelle race va fleurir... Avec la liberté de là naissance, les hommes en venant au monde emporteront avec celle-là, la liberté de penser et de sentir, de l'avènement desquelles nous, pauvres esclaves, nons n'avons pas le moindre pressentiment. Oh! comme il leur sera difficile de comprendre combien était épouvantable cette nuit... et combien cruels les combats que nous avions dû soutenir...»

Ce libéralisme est dangereux et sa situation devient délicate, d'autant que la nouvelle de la Révolution de juillet 1830 réveille l'enthousiasme de Heine, « Je connais de nouveau mon devoir... je suis le fils de la révolution» note-t-il dans son Journal en août 1830. Il saisit donc l'occasion de partir à Paris (la «Gazette d'Augsbourg» lui offrant d'y être son correspondant) et quitte sans regret sa patrie.

C'est précédé d'une réputation de poète, de chroniqueur et de libéral qu'il arrive le 20 mai 1831. Salué d'emblée pur les Saint-Simoniens du journal «Le Globe» : Le célèbre auteur allemand, Docteur Heine, se trouve depuis avant-hier à Paris. C'est un de ces hommes jeunes ef courageux qui, défendant la cause du progrès ne craignent pas à s'exposer aux inimitiés des canailles et des nobles...». Il est chaleureusement accueilli dans les Salons tel celui de la Princesse Belgiojoso et se fait vite des amis : Gautier et Béranger puis Dumas et Sainte-Beuve l'introduisent dans les milieux artistiques parisiens dont l'atmosphère l'enivre : «Paris, c'est le bonheur... On crée ici un nouvel art, une nouvelle religion, une nouvelle vie : c'est ici que s'agitent joyeusement les créateurs du monde nouveau»

Témoin privilégié du Paris romantique et révolntuonnaire, c'est d'abord cet aspect qu'il décrit dans ses premiers envois : «Les Salons» puis «la Scène françaises» mais la vie politique l'intéresse tout autant et c'est à Louis-Philippe et à ses ministres qu'il consacre les articles suivants.

Découvrant d'autre part, l'ignorance à peu près totale de l'élite parisienne en ce qui concerne son pays natal, il tente de remédier à cette carence en publiant dans «la Revue des Deux Mondes» et la Revue de Paris une série d'articles dans lesquels il présente les poètes d'Outre-Rhin. Ces «Lettres allemandes» ayant reçu un accueil très favorable, il essaye ensuite dans un ouvrage plus ambitieux (deux volumes sont prévus}, d'expliquer l'évolution politique et sociale de son pays, ce sera a «L'Allemagne depuis Luther>».

Travail et sorties (il est de toutes es Premières) lui laissent néanmoins des moments de loisirs qu'il partage avec «les rapins» ses amis C'est ainsi du'il découvre et, semble-t-il, apprécie les promenndes à ânes à Montmorency.

Venu la premiere fois, dès 1831 ou 1832, avce Clarisse, son amourette du moment, rencontrée au Jardin des Plantes, il revient quelques années plus tard accompagné cette foi. de Crescence Mirat, une jeune et fort jolie vendeuse de chaussures dont il a fait la connaissance en 1834 et qu'il préfère appeller Mathilde depuis qu'elle partage sa vie.

Cen délassemems champêtres ne font toutefois pas oublier à Heine son rêve de libération de l'Europe. Il est en relations, à Paris, avec tous les hammes décidés à changer le monde saints-simoniens et républicains français mais aussi réfugiés politiques : les Polonais Mickiewicz et Chopin, L'iltalien Mazzini et surtout des Allemands avec lesquels il fonde en 1694 «la Ligue des Bannis», Cette ardeur libératrice transparait dens les articies qu'il envoye à Angshourg et inquiète Metternich. Le Chancelier d'Autriche, soucieux d'empêcher touie évolution libérale en Europe Centrale obtient de la direction de «la Gazette d'Augsbourg» l'arrêt de la publication de ces articles trop dangereux.

Les difficultés finencières vont alors accabler l'écrivain : Mathilde dépense beaucoup et les revenus allemands se tarissent (ses articles jugés séditieux ne sont plus publiés juste au moment ou son oncle le banquier cesse de l'aider). Grâce à ses relations, Heine recevra l'aide de la monarchie française : le Président du Conseil, Adolphe Thiers, décide en effet de lui allouer une pension annuelle de 4,800 francs prélevée sur les fonds secrets aux Affaires Étrangères !

Malgré ces quelques nuages, se sont là les années les plus heureuses et les plus brillantes que connaîtra Heine ; le cercle de ses relations s'agrandit : en font partie Michelet, Quinet d'autres encore parmi lesquels Liszt qui le présente à Marie d'Agout et à G. Sand: en 1837 Heine séjourne à Nohant.

I1 prend de plus en plus l'habitude de ces séjours à la campagne car il ressent depuis 1842 les premières atteintes d'un mal incurable.

Pouvant encore se déplacer, bien que se fatigant vite, il va, seul en 1843, revoir sa famille en Allemagne (sa mère vit encore) puis y retourne avec Mathilde l'année suivante mais doit se rendre directement par mer à Hambourg; mieux vaut pour lui, en effet, ne pas traverser la Prusse où, depuis avril ordre, a été donné de l'arrêter. C'est que les relations qu'il entretient à Paris avec Karl Marx et Arnold Rüge sont fort mal vues du gouversement prussien qui, après avoir demandé en septembre 1844 un état signalétique du poète, oblient du gouvernement français en 1845 l'expulsion des trois hommes et l'interdiction de leur journal «Vorwärts».

Ainsi Heine doit partir! mais cette mesure suscite de si nombreuses démarches que le gouvernement de Guizot, arguant de la loi du 14 octobre 1814 (qui accordait à toute personne née dans le Grand Duché de Berg enire 1791 et 1801 Le droit de s'établir en France et s'appliquait donc à lui) revient sur sa décision. Grâce à ses anis, Heine reste en France et ne la quiticra plus.

Rassuré quant à sa shuation politique, le poète daii de nouveau faire face aux problèmes financiers. La pension que son oncle avait rétablie disparaît à la mort de celui-ci en 1844: il ne reste donc, pour couvrir les dépenses souvent extravagantes de Maihilde qui a toujours quelque achat à effectuer, que les revenus que lui procurent ses travaux et l'aide du gouvernement français; Guizot devenu Président du Conseil, bien que malmené par Heine qui lui reproche dans ses articles son «immobilisme» à, en efiet, maintenu la pension allouée par Monsieur Thiers.

C'est sa santé qui inquiète le plus l'écrivain; la paralysie à gagné les yeux, la langue et les lèvres et, en 1846 Heine écrit à Campe, son éditeur de Hambourg«je ne puis être sauvé». Le bruit lui étant insupportable, le poète cherche à passer la belle saison au calme, hors de Paris,

C'est alors qu'il séjourne à plusieurs reprises à Montmorency.

eje me trouve depuis six semaines, menant ure vie des plus agréables dans une délicieuse maison de campagne. Nous avons un grand jardin, presque un parc, avec de grands arbres». C'est ainsi que, dans une leitre à sa mère, Heine décrit en 1847 la maison de la rue de la Châtaigneraie. (Cette maison a êté démolie en 1872 mais le jardin est toujours le mème)

C'est en 1845 qu'il vient pour la première fois ; il passe à Montmorency tout l'été, se reposant, travaillant aussi, car ses amis ne l'oublient pas. Rüge par exemple lui demande de Zürich où il s'est réfugié de nouveaux poèmes (lettre d'août 1845 adressée à Montmorency, propriété de la bibliothèque de Düsseldorf). Il se lie ausui avec quelques voisins parmi lesquels la famille d'un montmorencéen célèbre : Julien Ponsin, qui nous a laissé ce témoignage : «Henri Heine était l'ami de notre famille, aussi l'avons-nous connu dans notre extrême jeunesse. Le seul souvenir qui nous en soit resté, c'est qu'il était toujours couché sur une chaise longue, et qu'on nous défendait de faire le moindre bruit en jouant... mêne le tic-tac d'une montre l'incommodait».

Gardant un bon souvenir de son séjour, il revient les deux années suivantes ; il apprécie le calme du lieu, le chant des oiseaux : oux rossignols du jardin s'ajoutent les nombreux perroquets que Mathitée à installés dans La moison et les hôtes de la volière placée dans Le jardin. Il se repose, se soigne mais ne peut lire; aussi est-il heureux de recevoir des visites (la proximité de Faris lui assure la venue de quelques amis fidèles, dont «le bon Théo», qui lui permettent de suivre l'actualité parisienne et le stimulent intellectuellement. Car la brillante causerie de Gautier, Heine ne la trouve pas auprès de Mathilde, dont le rôle est autre: «me femme est gaie comme un pinson et elle m'égaie dans mes beures de tristesse» et le poète s'ennuie.

Après avoir passé l'autonne et l'hiver à Paris, Heine est de retour en mai 1817 ; il se déplace encore à cette époque et c'est à Montmorency qu'en Juin Mignet lui adresse un billet pour une séance de l'Académie des Sciences morales et politiques. Son séjour se termine fin septembre, ce fut sans doute le dernier car, après une nouvelle attaque en juin 1848, il est totalement paralysé et reste désormais dans la capitale.

Commence alors la doulourense période qu'Heine appelle «le sépulcre du matelas». Cloué au lit, il pmvient encore à éerire et publie en allemand Le Romancero (1851) et Le Livre de Lazare (1854) mais malgré la traduction de ses poèmes (Gérard de Nerval traduit notamment ceux que publie la Revue des Deux Mondes), il tombe peu à peu dans l'oubli dont il ne sort qu'en 1855 lorsqu'est publiée «lutèce», édition revue et corigée des articles qu'il a consacrés à la France et publiés dans «La Gazette d'Augsbourg» de 1840 à 1844. C'eal un succès et le publie redécouvre l'existence du poète, dont les dernières années n'ont été éclairées que par la présence de Mathilde «Ma femme entre dans ùa chambre belle comme l'Aurore et son sourire dissipe tous mes soucis...» et la fidélité de quelques écrivains,

Heine meurt à Paris le 17 février 1856.

C'est en France, au cimetière de Montmartre, que repose celui qui fut. non seulement un grand poète mais aussi l'un des chroniqueurs politiques les plus clairvoyants de son époque. Inquiet dres menaces que le militarisme prussien représentait et pour l'Allemagne et pour l'Europe, Heine le dénonça à plusieurs reprises. L'avenir, hélas, lui donne raison. De 1933 à 1945 Heine fut victime du racisme nazi, son œuvre fut interdite susf son poèmelJe plus célèbre «is/span class="citation">La Lorelei qui, trop connu. continua à être publié, mais le fut comme étant d'un «auteur inconnu».

Jacqueline Rabasse

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