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Les États Généraux en 1789

La convocation des États Généraux

Lettre du Roi pour la convocation des États Généraux à Versailles le 27 avril 1789

De par le Roi,

Notre amé et féal, Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour Nous aider à surmonter toutes les difficultés où Nous Nous trouvons, relativement à l'état de nos finances, et pour établir, suivant nos vœux, un ordre constant et invariable dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos sujets et la prospérité de notre royaume.

Ces grands motifs Nous ont déterminé à convoquer l'assemblée des États de toutes les provinces de notre obéissance, tant pour Nous conseiller et Nous assister dans toutes les choses qui seront mises sous ses yeux, que pour Nous faire connaître les souhaits et les doléances de nos peuples, de manière que, par une mutuelle confiance et par un amour réciproque entre le souverain. et ses sujets, il soit apporté le plus promptement possible un remède efficace aux maux de l'État, et que les abus de tout genre soient réformés et prévenus par de bons et solides moyens qui assurent la félicité publique, et qui nous rendent, à Nous particulièrement, le calme et la tranquillité dont nous sommes privés depuis si lontemps.

A ces causes, Nous vous avertissons et signifions que notre volonté est de commencer à tenir les États libres et généraux de notre royaume, au lundi 27 avril prochain, en notre ville de Versailles, où Nous entendons et désirons que se trouvent aucuns des plus notables personnages de chaque province, bailliage et sénéchaussée. Et pour cet effet, vous mandons et très expressément enjoignons, qu'incontinent la présente reçue, vous ayez à convoquer et assembler dans notre ville de ..., dans le plus bref temps que faire se pourra. tous ceux des trois états du bailliage (ou sénéchaussée) de ..., pour conférer et pour communiquer ensemble, tant des remontrances, plaintes et doléances, que des moyens et avis qu'ils auront à proposer en l'assemblée générale de nos dits États, et de ce faire, élire, choisir et nommer ... sans plus de chaque ordre, tous personnages dignes de cette grande marque de confiance par leur intégrité et par le bon esprit dont ils seront animés : lesquelles convocations et élections seront faites dans les formes prescrites, pour tout le royaume, par le règlement annexé aux présentes lettres, et seront, lesdits députés munis d'instructions et pouvoirs généraux et suffisants pour proposer, remonter, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l'État, la réforme des abus, l'établissement d'un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l'administration, la prospérité générale de notre royaume, et le bien de tous et de chacun de nos sujets : les assurant que, de notre part, ils trouveront toute bonne volonté et affection pour maintenir et faire exécuter tout ce qui aura été concerté entre Nous et lesdits États, soit relativement aux impôts qu'ils auront consentis, soit pour l'établissement d'une règle constante dans toutes les parties de l'administration et de l’ordre public, leur promettant de demander et d'écouter favorablement leurs avis sur tout ce qui peut intéresser le bien de nos peuples, et de pourvoir sur les doléances et propositions qu'ils auront faites ; de telle manière que notre royaume et tous nos sujets, en particulier, ressentent pour toujours les effets salutaires qu'ils doivent se promettre d'une telle et si notable assemblée. Donné à Versailles, le 24 janvier 1789.

Signé : Louis
et plus bas : Laurent de Villedeuil

Il nous a semblé important de faire état de cette lettre en date du 24 février 1789. Elle contient à la fois les raisons de la convocation des États Généraux et le cadre dans lequel ils doivent avoir lieu. C’est par elle, concrétisation de la décision royale déjà prise le 8 août 1788, que commence la Révolution. Ce règlement général fut suivi de règlements particuliers. La prévôté de Paris reçut le sien le 28 mars 1789. Entre le 8 et le 12 avril, les huissiers du Châtelet distribuerent les assignations demandant la rédaction des Cahiers. Mais déjà l’élaboration de ceux-ci avait commencé dans les esprits, des modèles circulaient dans les villes et les villages. À Montmorency on manifesta vis-à-vis d’eux, un mépris affiché.

Le 7 décembre 1788, le greffier Couët qui expédiera les Cahiers d’Enghien (Montmorency), avait porté à l’attention des officiers municipaux, pour avis, une lettre envoyée de Nîmes, pour servir de modèle aux délibérations de toutes les paroisses du royaume.

«Lecture faite en entier de ce modéle d'acte de délibération envoyé anonymement ; les membres ont regardé ce modèle d'acte comme attentatoire à surprendre leur religion et donner des erreurs préjudiciables, d'autant qu'il n'est adressé à personne en qui on puisse marquer sa confiance. En conséquence décida que ce modèle, tout informe qu'il est, et destitué de pouvoir caractérisé, demeurera inséré aux minutes du greffe de cette municipalité, sans aucune approbation, ni reconnaissance préjudiciable».

«Les membres de l'assemblée de Montmorency ont à cœur de se défendre contre la moindre apparence de pression» (1).

Et pourtant, quand on compare les textes des Cahiers des villages voisins, on s’aperçoit que certains articles sont repris presque partout en des termes trop semblables pour qu’il n’y ait eu aucune connivence.

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Les élections à Montmorency

La lettre du Roi fixait bien l'élection des députés par ordre. Voyons comment les choses se passèrent effectivement à Montmorency.

La Noblesse
Elle avait le droit de voter autant de fois qu’elle avait de fiefs et de se faire représenter par un procureur fondé. Le vote du Prince de Condé, seigneur de la ville, eut lieu au siège de la Prévôté de Paris.
Le Clergé
Il vota soit directement pour le clergé séculier (R.P. Brodier), soit par délégation pour le clergé régulier comme les Mathurins (Me Hibert) ou les Oratoriens (Me de Berenger).
Le Tiers
Pour le Tiers le mode de scrutin était plus compliqué. Pouvaient voter, les habitants du lieu, nés Français ou naturalisés, âgés de plus de 25 ans et inscrits au rôle des impositions, le lieu de vote étant l’endroit ordinaire des réunions paroissiales. Le dimanche 12 avril, jour de Pâques, on fit lecture au prône dominical, de l’assignation prévôtale. Celle-ci stipulait que la rédaction devait avoir lieu dans les trois jours.

Pour Enghien le conseil paroissial se réunit le mardi 14 avril. Il rédigea le cahier qui suit (2). Le 18 avril eut lieu une réunion à l’archevêché de tous les députés du Tiers. Montmorency avait envoyé quatre députés :

Les députés fondirent tous les cahiers en un seul et le quart d’entre-eux les présenta à l’assemblée générale des trois ordres du bailliage, qui eut lieu le 24 avril.

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Analyse du texte

Article premier — Demander la liberté de tous les citoyens et que jamais elle ne soit génée en quelque manière que ce soit.

Le cahier de Montmorency tranche sur ses semblables par le côté abrupt de son entrée en matière. Il ne se perd pas en digressions, pas d’appel à l’expression populaire pour l’élaboration des lois, pas d’effusions lyriques vis-à-vis du Roi. Le premier article est très général. Après un bref appel à la liberté des citoyens (encore faut-il remarquer l’emploi du mot citoyen au lieu de sujet) on passe directement au sujet important : les impositions.

Art. 2 — Que les impositions qui seront jugées nécessaires soient réparties avec égalité sur toutes les propriétés, sans distinction de privilèges, rangs et dignités.

La haine des impôts est de tous les temps et de tous les pays. Mais, en cette fin du XVIIIe siècle, ils sont ressentis à la fois comme écrasants par leur volume et leur diversité, détournés de leur objectif (car les paysans n’en voient jamais la redistribution), profondément injustes, enfin, puisqu'ils touchent essentiellement les pauvres.

Ces fameux privilèges qui sont à la fois avantages financiers et signes de noblesse, donc qui touchent à la fois la bourse et la vanité des gens, sont certainement la cause la plus importante de la chute de l’Ancien Régime. Pas une année ne s’écoulait sans qu’on annonce la création d’un nouvel impôt ou l’augmentation d’un ancien. L'état est aux abois. Les prêteurs sont de plus en plus réticents à mesure que se creuse l’abîme du déficit. Déjà en 1786 Calonne n'a plus trouvé à emprunter. Le remboursement des seuls intérêts de la dette publique (on ne parle même plus du capital) représente 50 % des dépenses. C’est tout le système qui est à revoir. Seul un élargissement de l’assiette fiscale pourrait améliorer la situation, et c’est là l’obstacle majeur. On se heurte alors à l’opposition farouche des privilégiés. Tous les ministres se sont cassés les dents sur cet obstacle :

Deux intendants d'Île-de-France, Louis-Jean Berthier de Sauvigny et son fils Louis-Begnine François, ont bien songé à créer, par la refonte de la taille, un système fiscal très moderne et cela dès 1760. Ce système reposait sur trois bases :

Le résultat fut remarquable, sur le plan théorique du moins, car dans la pratique, le trop grand rôle donné aux commissaires chargés de répartition de l’assiette et de la perception souleva de nombreuses plaintes (l’habitude de s’en prendre aux fonctionnaires du trésor ne date pas d’hier).

Il ne fut, en aucune façon, question de toucher aux privilèges des riches. Cette dernière restriction rendait accessoire toutes autres transformations.

Art. 3 — Que les États Généraux fixent le temps de leur retour périodique.

Comment indiquer plus clairement le désir populaire d’une constitution permettant à la volonté populaire de s’exprimer librement. Car, qu'est-ce que ces États Généraux qui «fixent leur retour périodique» sinon une chambre de députés se réunissant régulièrement, comme c’est le cas actuellement.

Art. 4 — Que les deniers perçus pour la prestation de la corvée soient appliqués aux réparations et entretien des chemins vicinaux et utiles à chaque lieu.

La corvée pesait exclusivement sur les paysans. Elle était, à l’origine, dûe lorsque une paroisse se trouvait à proximité d’un chantier d’entretien d’une route royale. Supprimée en 1776, elle avait été rétablie par la suite. Mais la déclaration du 28 juin 1787 avait substitué à la corvée en nature, une prestation en argent ne pouvant excéder le 1/6 de la taille ou les 2/3 de la capitation. Il existait aussi des corvées seigneuriales soit réelles soit personnelles (basées sur les biens ou les personnes). L’«évaporation» de ces impôts était évidente puisque les routes restaient en l’état.

Art. 5 — Que la perception des impôts soit faite avec le plus de simplicité et aux moindres frais possibles.

La Perception des impôts posait aussi un gros problème car les frais qu’elle déclenchaïit alourdissaient ces derniers. Dans la plupart des cas, surtout dans les impôts indirects, cette perception était affermée à la Ferme Générale qui en garantissait l’adjudication (technique de l’homme de paille”). Les fermiers généraux jouaient un rôle de prêteur vis-à-vis du Roi auquel ils avançaient les impôts avant perception. Ils jouaient aussi un rôle d’écran, protégeant la majesté royale de la colère populaire, car c’est eux qui étaient considérés comme les responsables de la lourdeur de la fiscalité. Ce rôle à la fois rémunérateur et haïssable, leur sera fatal pendant la Terreur.

Art. 6 — Que le sel soit commercialisé dans toutes les provinces sans exception.

La Gabelle est encore de nos jours, le plus célèbre des impôts indirects de l’ancien régime. Sans doute parce qu’il apparaît maintenant comme le plus étrange. Montmorency se trouvait dans un pays de Grande Gabelle, c’est-à-dire où non seulement le sel est taxé à son plus haut niveau, mais aussi où la consommation d’une certaine quantité était obligatoire par habitant «Sel du devoir pour le pot et la salière».

Le gabelou était universellement redouté et haï et le faux-saunage puni de façon démesurée. On signale qu’à Domont, le sel acheté 2 liards en Bretagne, est revendu 14 sous, encore est-il «coupé». Le 8 mai 1788, un édit avait aboli les greniers à sel en tant que juridiction à Montmorency on n'était plus obligé d’aller à Soisy pour l’acheter. Je pense qu'ici l'expression de «commercialisé» doit être comprise comme «mise dans le commerce normal».

Art. 7 — Que l'exportation des blés et autres grains chez l'étranger ne soit jamais permise.

Parler «grains», c’est parler du pain, c’est-à-dire de la presque unique source de nourriture du paysan de l'Ile de France. Toute vie était suspendue à son existence. La moindre récolte insuffisante faisait grimper les cours dans des proportions très vite insupportables par la plus grande partie de la population. Aussi toute exportation de grains était vue comme une perte de substance criminelle. Déjà la libération du commerce du blé en 1774 par Turgot, fidèle aux thèses des Physiocrates (les libéraux de l’époque) avait provoqué les émeutes de 1775. Le peuple peu confiant dans les mérites de la loi du marché avait demandé la taxation du blé, d’où «la guerre des farines». À partir de 1783, commence une série d’années calamiteuses où les récoltes insuffisantes s'ajoutent aux catastrophes météorologiques, froid intense, rivières gelées, manque de vent pour les moulins etc... Malgré tout cela, la libre circulation des grains avait été de nouveau envisagée par l’assemblée des notables constituée par Calonne. Elle permettait une hausse du prix du blé, et donc du revenu des agriculteurs, et surtout des gros propriétaires fonciers. Toujours l'illusion physiocratique opposée aux routines. D’où la peur qu’exprime cette demande d'interdiction des exportations qui figure non seulement dans le cahier de Montmorency, mais aussi dans tous ceux de la région.

Art. 8 — Que les États Généraux fixent d’une manière certaine, les pouvoirs des intendants et des assemblées provinciales.
Des suppots de la chicanne
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Art. 9 — Que l'on s'occupe de la réforme, dont la législature civile et criminelle peut être susceptible.

Ces articles expriment le désir de réforme administrative face à l’imbroglio issu du passé, et de la féodalité. On sait que la Révolution s’y emploiera mais que c’est finalement l’Empire qui créera le cadre administratif qui est maintenant le nôtre.

Art. 10 — Que l'on supprime les basses et moyennes justices pour les réunir aux hautes justices, de manière qu'il n'y ait jamais que deux degrés de juridiction.
Art. 11 — Que l'on supprime également tous les tribunaux d'attribution.

Pour tout ce qui concerne la justice, nous renvoyons à notre article dans la revue n°7 de 1988.

Art. 12 — Que tous les privilèges exclusifs, génant le commerce et la liberté publique, soit supprimés.

Pour les privilèges, voir, pour exemple, les articles sur les droits viticoles.

Des Capitaineries et des Gardes de Chasse
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Art. 13 — Que la quantité de gibier qui ravage nos propriétés soit détruite ; qu'une loi prompte, simple et sans frais nous assure le paiement des délits qu'il pourrait nous faire.

La chasse est le passe-temps favori de la noblesse et le gibier est donc protégé. On lui ménage des remises, on interdit les haies vives autour des «héritages». Les gardes sont 1à pour vérifier que tout va pour le mieux... pour le gibier. Si, par malheur pour lui, un paysan excédé ou affamé se laissait aller à braconner, les sanctions étaient terribles, bannissement, confiscation de biens, amendes, voire galère ou... mort ! Aussi les gardes étaient-ils haïs autant que craints et certains, dans la forêt de Montmorency, disparaissaient dans des conditions très mystérieuses.

Dès 1788, dans beaucoup de paroisses de la région, on décida de passer outre toutes les réglementations et autant pour conserver le blé rare de cette année là, que pour se nourrir, les paysans s’attaquèrent au gibier. Les autorités se virent dans l’obligation de dépécher l’armée pour ramener l’ordre.

Aussi, dès que l’occasion leur fut fournie, les habitants de notre région se déchainèrent contre le droit de chasse. Montlignon et d’autres demandèrent même que la forêt soit murée. Le privilège de droit de chasse ne sera aboli que le 11 août 1791.

Jean-Jacques Rousseau, notre illustre hôte, revient au moins deux fois sur le sujet. Dans l'Émile au livre IV, où, parodiant à l’avance une comédie musicale célèbre et moderne, il fait un rêve «Si j'étais riche...» et on trouve parmi les actions qu'il ne commettrait pas :

«Mes vassaux ne verront point avec plaisir labourer leurs blés par mes lièvres, et leurs fèves par mes sangliers ; chacun, n'osant tuer l'ennemi qui détruit son travail, voudra du moins le «chasser de son champ» ; aprés avoir passé le jour à cultiver leurs terres, il faudra qu'ils passent la nuit à les garder, ils auront des mâtins, des tambours, des cornets, des sonnettes : avec tout ce tintamarre ils troubleront mon sommeil. Je songeai malgré moi à la misère de ces pauvres gens, et ne pourrai m'empêcher de me la reprocher ;

et dans Les Confessions au livre XI :

«À l'Hermitage, à Montmorency, j'avais vu de près et avec indignation les vexations qu'un soin jaloux des plaisirs des princes fait exercer sur les malheureux paysans forcés de souffrir les dégâts que le gibier fait dans leurs champs, sans oser se défendre qu'à force de bruit, et forcés de passer les nuits dans leurs fèves et leurs pois, avec des chaudrons, des tambours, des sonnettes, pour écarter les sangliers. Témoin de la dureté barbare avec laquelle M. le comte de Charolais (3) faisait traiter ces pauvres gens, j'avais fait, vers la fin de l'Émile, une sortie sur cette cruauté : autre infraction à mes maximes, qui n'est pas restée impunie. J'appris que les officiers de M. le prince de Conti (3) n'en usaient guères moins durement sur ses terres ; je tremblais que ce prince, pour lequel j'étais pénétré de respect et de reconnaissance, ne prit pour lui ce que l'humanité révoltée m'avait fait dire pour son oncle, et ne s'en tint offensé. Cependant, comme ma conscience me rassurait pleinement sur cet article, je me tranquillisai sur son témoignage, et je fis bien».

De la milice
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Art. 14 — Que l'on supprime le tirage ruineux des milices.

La milice a été créée en 1688 par Louvois, on peut la considérer comme la première mouture du service national. Les futurs miliciens étaient choisis parmi les hommes de 20 à 40 ans, célibataires (ce qui déclenchait une vague de mariages aux approches du tirage au sort). Ce dernier avait lieu, dans chaque paroisse, mais le nombre d’exemptés d’office était nombreux et donnait naissance à de nombreux passe-droits (4).

Les milices formaient un corps auxiliaire permanent depuis 1726, et portaient le nom de troupes provinciales depuis 1775. Leur service consistait surtout en défense de places. Il durait deux ans. Leur uniforme était blanc à parements bleus. Les miliciens étaient, en temps de paix, requis une à deux semaines par an. Mais pourquoi ce service était-il «ruineux» ?

Il comptait des contraintes personnelles, par exemple le milicien ne pouvait pas s’absenter sans avertir les autorités, mais il obligeait aussi à des contraintes financières qui s’ajoutaient à toutes les autres :

L'affaire était considéré comme suffisamment sérieuse et générale puisque la revendication a été reprise par le cahier général de Tiers-État de la prévôté de Paris.

Cf.(4) : « Il faut attribuer cette extrême répugnance des paysans de l'ancien régime pour la milice moins au principe même de la loi qu'à la manière dont elle était exécutée ; on doit s'en prendre surtout à la longue incertitude où elle tenait ceux qu'elle menaçait (on pouvait être appelé jusqu'à quarante ans, à moins qu'on ne se mariât) ; à l'arbitraire de la révision, qui rendait presque inutile l'avantage d'un bon numéro ; à la défense de se faire remplacer ; au dégoût d'un métier dur et périlleux, où toute espérance d'avancement était interdite ; mais surtout au sentiment qu'un si grand poids ne pesait que sur eux seuls, et sur les plus misérables d'entre eux, l'ignominie de la condition rendant ses rigueurs plus amères».

Suppression des dîmes et autres abus.
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Art. 15 — Que l'on supprime toute perception de dîmes.

L'église possède en 1789, d’après les évaluations les plus vraisemblables environ 10 % du sol sur le territoire national, mais plus de 20 % dans la région parisienne. Cette propriété était souvent mal gérée et ne rapportait pas ce que lon a bien voulu dire. Mais aux redevances «normales» que l’église percevait de ses fermiers, s’ajoutait encore la dîme. Cet impôt basé sur les récoltes, reposait essentiellement sur les masses paysannes, et Montmorency était largement pourvu en propriétés ecclésiastiques.

Art. 16 — Que dans toute la France, il n'y ait qu'une seule mesure et un seul poids.

Encore un article qui fait l’unanimité dans les Cahiers. Le projet était dans l’air depuis longtemps. Îl ne se passait pas un règne sans que des édits soient promulgués à cet effet. Mais en ce domaine comme en bien d’autres, le pouvoir royal se brisait contre les coutumes et les intérêts locaux. C’est ainsi que dans la seule Île de France, il existait 10 sortes d’arpents et que pour ce qui nous concerne plus directement, on ne mesurait pas de la même façon à Montmorency et à Domont.

Déjà défendu par Lavoisier en 1786, le projet d’unification sera évoqué dès le 27 juin 1789 à l’Académie des Sciences de Paris. Le 8 mai 1790 Talleyrand, présente à l’Assemblée Constituante et projet qui sera rejeté et ce ne sera enfin, que le 7 avril 1795, que le mètre sera adopté wcomme étant la 1/10.000.000 partie du quart du méridien passant par Dunkerque et Barcelonne».

Art. 17 — Que l'on ne reçoive plus de sujets à la profession religieuse et qu'il soit avisé de réunir plusieurs maisons.

Il s’agit là d’une doléance très générale. Le clergé régulier avait très mauvaise réputation (on se souvient des romans de Diderot ou de Sade). De plus, à la suite d’une baisse des vocations, le nombre des religieux était très réduit dans chaque maison.

Art. 18 — Que l'on supprime toutes les loteries et tous les jeux du hasard.

De nombreux cahiers de doléances évoquent la question, mais, généralement, on la rattache à la critique des cabarets, guinguettes et autres, auxquels on reprochaïit d’être le lieu privilégié de débauche et de rixes. Pourtant la vogue des loteries venait de loin et de haut. C’est François Ier qui l’a ramenée d'Italie. À la veille de la Révolution l’engouement est considérable. A Paris Rétif de la Bretonne décrit dans ses «nuits», la foule des miséreux qui se presse en guenilles, sur les lieux de jeux. La loterie Royale a été créée en 1776. Dans le budget de 1788 elle rapporte environ 9 millions de livres au trésor, somme qui passe à 12 millions en 1789. De nombreux pamphlets dénoncent cet enrichissement de l’État, basé sur la crédulité des plus pauvres. Talleyrand lui-même (la vertu incarnée... dans un bas de soie) brosse un tableau alarmant des désordres provoqués par la passion du jeu : «Que l’on se hâte donc de fermer ces bureaux, nombreux, toujours ouverts, toujours affairés...». La Révolution, par l’intermédiaire d'Hèbert fermera la loterie devenue nationale, mais elle sera vite rétablie par les Thermidoriens.

Art. 19 _ Que chaque paroisse nourrisse ses pauvres pour les empêcher de mendier dans les paroisses voisines.

Il ne faut, sans doute pas, y voir une forme d’égoïsme propre aux Montmorencéens. Les cahiers subissent aussi l’influence de l’histoire immédiate. L’année 1788 avait été rude, grêle, froid intense. Depuis plusieurs années les récoltes avaient été catastrophiques. Tout ceci ne prédisposait pas à une charité désordonnée. De plus, la présence de l’hôpital devait amener de nombreux pauvres dans la ville. Ceux-ci, avant de partir devaient demander un viatique à la population. Alors...!

Art. 20 — Que l'on établisse des chirurgiens et des sages-femmes éclairés dans les campagnes, et qu'on leur assure un traitement.

L'accouchement est encore au XVIIIe siècle, dans les campagnes, un acte grave, dont l’issue est incertaine et dangereuse à la fois pour la mère et l’enfant. Jusqu’ au bout,œ la mère continue les travaux des champs et ne s’arrête qu’au moment crucial. Or, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle on s’est peu préoccupé des accouchements. On pensait en effet qu'il s’agissait d’un acte naturel pour lequel les connaissances médicales ne pouvaient pas être d’un grand secours. Le médecin du bourg était quelquefois consulté pour une maladie, jamais pour un accouchement. De plus, en tant qu’homme, il pouvait difficilement approcher la parturiente, l’accouchement était avant tout une affaire de femmes. Celle qu’on appelait avant tout était la matrone. Celle-ci ne recevait aucune formation spécialisée, seule sa propre expérience lui servait de Faculté. La réputation de son habileté se transmettait de bouche à oreille et certaines acqueraient de cette manière une réelle célébrité. Il s’agissait toujours dans ce cas d’un acte de dévouement tout à fait désintéressé à charge de revanche. Il ne serait pas venu à l’esprit de la matrone de demander la moindre rémunération. Chaque village possédait sa «mêre sage» devenue la sage-femme. Il fallait cependant être acceptée et prêter serment (cf N° 7 de notre revue).

Sa grande force demeurait sa parfaite connaissance de la jeune accouchée qu’elle côtoyait tous les jours. Ces accouchements n'étaient pas exempts de rites magiques et l’accoucheuse était suspecte aux yeux de l’église.

La volonté d’en finir avec ces errements peu en accord avec le siècle des lumières avait ému les corps politiques et, en 1786, on avait lancé une vaste enquête sur les sages-femmes du royaume. Mais déjà de nombreux ouvrages théoriques avaient paru et même des appareils de démonstration existaient comme celui de Mme Du Coudray à Reims (1778). La question était donc dans l’air.

Art. 21 — Que l’on supprime les droïts sur les vins et sur tous ceux d'entrée et de grosmanquant vulgairement appelé trop bu, comme étant à la charge des cultivateurs.

Parmi les impôts et taxes, il en est de particulièrement détestés en notre pays de vignobles, ce sont, évidemment les droits sur les vins. Là encore, les ordres privilégiés se partagent les droits sur le dos des seuls viticulteurs roturiers.

D'abord le moins gourmand (si j’ose dire en la matière), le clergé. Comme tous les producteurs de gros fruits, le vigneron doit la dîme à l’église mais dés que le raisin est devenu vin, celui-ci est dîmable à son tour. Cet impôt se lève directement dans la cave. (à Paris 8 pintes par muids) cette dîme n’a jamais été très forte, sans doute la faible qualité des vins locaux est-elle à l’origine de cette mansuétude (à quoi bon faire des provisions de vinaigre !). Puis vient le Seigneur. Il dispose, lui aussi, de droits nombreux. Les uns sont dérisoires, comme par exemple la «banalité du pressoir» qui existe dans presque toutes les paroisses et dont aucun cahier consulté ne parle, ce qui prouve son peu de poids.

Mais d’autres sont beaucoup plus lourds, le «banvin» par exemple donnait l'exclusivité de la vente au seigneur pendant une partie de l’année et permettait de profiter des meilleurs cours en créant la rareté.

D’autres droits existent, souvent insignifiants, mais dont la multiplication, la perte de temps qu'ils occasionnaient, les faisaient ressentir comme vexatoires par les vignerons. C’est enfin le procureur fiscal, représentant le seigneur, qui fixait, «le ban des vendanges» et donc le début de celles-ci. Basée, avant tout sur le moment le plus favorable aux intérêts du propriétaire du fief, cette date était souvent contestée.

Le roi ne pouvait pas se désintéresser de cette source intarissable de rentrées fiscales que constituait la vente des alcools. Il fallait donc payer :

Tous ces droits sont en augmentation constante au cours du XVIIIe siècle et, si on lui ajoutait le prix des futailles, ils grevaient de plus de 50 % le prix de vente du vin à la production.

Les «gros manquants» ou «trop bu» sont des amendes sur les vins constituant la provision personnelle du vigneron et donc exempts de droits. (semblable au 1000° d’alcool que tout bouilleur de cru peut actuellement soustraire aux taxes fiscales).

Ces quantités de vin étaient souvent soupçonnées (et sans doute à juste titre), d’être revendues sans paiement de droit, d’où l’appellation de «gros manquant» (manquant au gros).

À tous ces impôts à la production s’ajoutaient des taxes à la consommation, par exemple les droits d’entrée, perçus par les octrois aux portes des villes.

Ces droits fixés pour tous les vins, pénalisaient les vins de la région parisienne de faible valeur marchande. Par contre, ils touchaient moins les vins de Champagne ou de Bourgogne, dont les prix pouvaient mieux supporter les taxes et qui de toute façon ne s’adressaient pas à la même clientèle. I1 ne restait plus aux pauvres qu’à aller consommer en dehors des limites des villes, dans les guinguettes souvent rudimentaires qui fleurissaient un peu partout. (y compris à Montmorency).

Les vignerons de Montmorency, comme ceux d'Argenteuil ou de Suresnes, voyaient avec angoisse se construire le «mur murant Paris» ou mur des fermiers généraux qui ruinait leur chance d’écouler de cette manière leur production. Leur participation aux journées chaudes du début de la Révolution, fut sans doute plus tournée contre cette menace, que soutenue par le désir de donner une constitution à la France, comme le proclamaient les esprits éclairés du temps. L’octroi de Paris ne fut supprimé que le 30 avril 1791 à minuit, ce qui donna lieu à des manifestations de joie bien arrosées.

Art. 22 — Que l’on proroge la durée de tous les baux à un loyer, qui ne pourront être moins longs de 18 ans.

Mettre une terre en culture demande beaucoup de temps. Seul un bail agricole long permet à un fermier de pouvoir profiter vraiment de son travail.

Art. 23 — Que l'on supprime toutes les voiries, tous les arbres plantés le long des chemins par les seigneurs hauts-justiciers sur nos héritages.

La voierie dont il est question ici est en fait le droit de voierie. Celui-ci permettait en effet, au seigneur, sous prétexte de «consolidation de voies de communication», des expropriàtions de fait par plantations d’arbres au bord des chemins. À l’époque où la moindre parcelles de terrain faisait l’objet de toutes les convoitises, non seulement les souches mais également l’empattement incultivable sous les frondaisons diminuait d’autant les surfaces cultivables.

Art. 24 — Que les prisons soient toujours saines.

Les prisons du bailliage de Montmorency se trouvaient (et d’ailleurs se trouvent toujours) derrière le bâtiment qui abrite aujourd’hui les Prud’hommes (Ex Justice de Paix). Vouloir que ces prisons soient toujours saines est signe de préoccupation sociale et puis on ne sait jamais... !

Art. 25 — Que les colombiers et les droits de banalités soient supprimés.

Sur la dénonciation des colombiers se retrouvent tous les cahiers de doléances, et l’on comprend l’angoisse des cultivateurs qui voyaient disparaître une partie importante des semences dans le gésier de ces grâcieux volatiles. Ce que l’on comprend beaucoup moins, évidemment c’est la multiplication des colombiers privés après la Révolution. Sans doute les pigeons des pauvres respectaient-ils le grain des pauvres !

> Art. 26 — Que l'on supprime la puissance du Pape en France et les droits qui lui sont attribués

Cet article surprend dans un cahier qui s'intéresse avant tout aux préoccupations matérielles et locales. C’est une revendication gallicane. Cette doctrine qui privilégie, en matière temporelle, l’autorité du Roi sur celle du pape, avait surtout dominé le XVIIe siècle. Elle avait été mêlée autant au combat contre les jansénistes qu’aux affaires uniquement financières comme la Régale. Bossuet en avait été la plus éclatante illustration. En 1682, l’assemblée du clergé de France avait publié une déclaration fracassante sur la liberté de l’église de France vis-à-vis du pape. La querelle s’était terminée en 1693 par une défaite politico-religieuse de Louis XIV. Les heurts devaient s’atténuer au XVIIIe siècle. Cependant le gallicanisme devint alors l’affaire des parlementaires, alliés des jansénistes contre les jésuites. La tradition gallicane se perpétua donc. Elle a, certainement inspiré l’auteur du présent cahier.

Art. 27 — Qu'un fermier ne puisse cultiver plus de 300 arpents à la fois.

Sous l'influence des physiocrates s’est développé ce que Jaures appelle le capitalisme agricole. Montmorency fait partie de l'Île-de-France, région pilote où s’est développé ce phénomène de concentration de capitaux et de terres. Il est sans conteste le garant des progrès de l’agriculture mais il se fait aux dépens des paysans pauvres. Il met en péril toute une organisation communautaire basée sur une multiplicité des parcelles adaptées aux besoins de chaque agriculteur.

Cet argument a été repris dans le Cahier du Tiers État de la Prévôté et du Vicomté de Paris hors les murs (article 14 Agriculture).

Et en général, demander aux États Généraux tout ce qui sera nécessaire au bien public, quoi- que non exprimé au présent cahier.

Voilà donc ce texte, pièce locale, constitutive d’un corpus exceptionnel pour l’histoire de notre pays. Ce cahier ne se comprend, en effet, que si on le rattache aux autres. [l n’est qu’un cri parmi tant d’autres, mais il fait partie de cette rumeur qui en s’amplifiant sans cesse, devait ébranler la société féodale du XVIIIe siècle.

André Duchesne

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Notes

(1) Cité dans ‘Montmorency au cœur de l'histoire’ de R. Chapuis.

(2) Le cahier de doléances de Montmorency fut signé par : Bridault, syndic; J. Marin; Leblond; Jonvelle ; Levasseur ; Bellant ; Leblond; J. Bridault ; André Viez fils; Opéron; Marin; Orieus; Clément ; Leguiller ; Gobert ; Balluet ; Levacher; Leturc; Caffin;C. Bellavents; D. Pay; Leturc ; Dubois; Vilain; François Vilain; Framboisier; Baptiste Bourgeois; Leveau; Pierre-Maniaque Leroy; F. Josse; Vilain; Ledreux; Lecouvette Bourgeois ; Delacroix-Levasseur ; Berson; Jean Bourgeois; G} Henry; Sauvage ; Chartiez-Duhamel; H. Levasseur ; Surmulet ; Adam Lancien; Dubëis; Bourgeois; Louis Daumas; Mercier ; Humblot; Leblond; Nas Saluce; Joseph Dumand-Bocquet; J.R. Pelheir ; Deno; L.B. Viez Lehuron ; Pichos; Louis Richa ; Chéron; Ledex.

(3) Tous les deux appartenaient à la famille du Prince de CONDÉ.

(4) cf. L'Ancien Régime et la Révolution — Tocqueville — Paris 1988.

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