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Les femmes et la Révolution

«Les hommes éclairés parlent de droits naturels mais ne les reconnaissent pas aux femmes« et ils ont «partout fait contre elles des lois oppressives ou du moins établi entre les sexes une grand inégalité» constate Condorcet en 1787, et il ajoute «Je crois que la loi ne devrait exclure les femmes d'aucune place» (1).

«Liberté, Égalité, Fraternité» répond la bourgeoisie arrivée au pouvoir. Mais les femmes sont-elles concernées ? Leur vie quotidienne, leurs statuts civil et civique furent-ils modifiés par la Révolution ? À ces questions les archives municipales fournissent quelques réponses.

Le recensement de 1791 attribue à la paroisse 1664 habitants dont 880 femmes, soit 94 veuves, 295 femmes mariées et 163 célibataires de plus de 20 ans. Nom- breuses sont donc les femmes qui doivent subvenir seules à leurs besoins, mais majoritaires dans la commune, ont-elles influé sur les évènements ? Les ont-elles subis passivement ? En ont-elles tiré avantage ?

Peu de changements à noter jusqu’en 1792 : la monnaie de papier remplace peu à peu la monnaie métallique, mais le Roi est toujours là et la vie continue à s’écouler au rythme de l’Angelus. Si les ordres religieux ont été supprimés, le culte est assuré par l’ancien curé Louis Cotte, devenu prêtre constitutionnel (2); quant aux discussions politiques et aux élections, elles n’intéressent que les hommes et encore pas tous (3). Il a bien été question d’une nouvelle façon de mesurer tissus et liquides, mais refusant la révolution dans ce secteur, l’on continue à utiliser les vieilles mesures traditionnelles : aune, pouce et pinte sont préférées au «système métrique».

Avec l’été 1792 commence une nouvelle période ; avec la guerre (déclarée en avril), la chute du Roi (août), la République, le cadre des habitudes craque.

1er domaine : la religion : l'État civil mis en place fin 1792 et le divorce autorisé et rendu très facile n’ont que peu de répercussions ; mais, dès 1793, la descente des cloches, la démolition des croix des carrefours, la fermeture de l’église au printemps 94, modifient les habitudes. «le Temple de l'Éternel» ne sert que de lieu de réunion, baptêmes, mariages et obsèques religieux ne sont plus assurés. Autre changement : le nouveau calendrier obligatoire depuis février 1794 : il modifie le rythme de la vie (on passe de la semaine à la décade) et rompt les repères traditionnels, il a sans doute été peu utilisé par la population qui devait aussi s’habituer aux nouveaux noms des places et parfois des localités. Si le tambour annonce que «les habitants d'Émile doivent se réunir, les citoyens les plus jeunes sur la Place des Martyrs de la Liberté pour aller chercher des grains à Franciade, les autres sur la Place de la Loi pour accueillir les délégations des citoyens de Pont la Montagne et de Clairefontaine», gageons que la nouvelle sera transmise ainsi : «rendez-vous place St Jacques pour aller à St Denis et Place du marché pour accueillir les délégations de St Cloud et de St Leu». Il ne s’agit là que d’une petite complication qui n’a pas dû gêner beaucoup, sauf les fonctionnaires qui, outre les nouveaux noms des jours et des mois, devaient aussi apprendre ceux des départements. Ainsi quand le secrétaire note que le ban des vendanges aura lieu le 29 fructidor et que le conseil a discuté le 2e sans-culottide du sort des détenus, la population doit comprendre 15 et 18 septembre.

Des problèmes plus sérieux existent : tel celui du chômage. Beaucoup de femmes doivent en effet gagner leur vie ; la clientèle riche ayant émigré ou se cachant, elles ont abandonné la confection des dentelles, et se sont reconverties dans la fabrication des uniformes mais «plusieurs citoyens ont exposé que plus de 150 citoyennes de cette commune qui n'avaient d'autre ressource que leur travail pour subsister, étaient dans l'usage de travailler à la couture pour l'équipement des troupes de la République, qu'elles s'étaient toujours procuré de l'ouvrage à Franciade sur les certificats de la municipalité, mais que présentement ont refusait (sic) de leur en donner sous le prétexte qu'elles n'étaient pas du district de Franciade et qu'il n’en avait pas plus qu'il en fallait pour occuper les citoyennes de Franciade, pourquoy elles invitaient le conseil à prendre toutes les mesures qu'il croirait nécessaire pour leur procurer des travaux» (4).

Que faire ? Travailler à l’atelier du salpêtre ? On n’y veut pas de femmes. Il est, certes possible de répondre à lappel de la municipalité «Il sera fait... une invitation aux citoyennes de cette commune de s'occuper le plus promptement possible à faire de la charpie pour l'usage des soldats blessés aux armées pour la défense de la Patrie, de la déposer ensuite au greffe de la municipalité»... (5) mais il s’agit d’une activité bénévole alors que la guerre accroît les difficultés : la levée en masse votée en août 1793 a mobilisé tous les célibataires et veufs sans enfant de 18 à 25 ans, puis la limite d’âge a été repoussée à 40 ans. De ce fait, nombreuses sont les femmes âgées et veuves privées de «soutiens de famille» dont la situation est difficile. La République a prévu une aide pour les «parents des défenseurs de la Patrie» mais ces secours sont dérisoires et les difficultés telles que les citoyennes d’Émile réclament : «les citoyennes pétitionnaires ont dit que la Société Populaire avait trouvé leur demande juste et que leur créance devait être acquittée par la commune» (6).

La guerre, pour les femmes, c’est aussi la crainte du décès et des risques d'invalidité de leurs enfants. Tant que les départs ont été volontaires, seuls quelques foyers de républicains acceptaient les risques encourus, tel l’instituteur Louis Lemaire, dont 3 fils sont engagés volontaires, mais depuis que la levée en masse a été décidée, toutes les familles ou presque sont concernées. Sont touchées : les mères des appelés, telle Marie Lesguillier, veuve Leduc, dont le dernier fils Denis est «mort aux armées à 20 ans» (7) ; plus inattendues les mères d’enfants de 12, 13 ou 15 ans qui, voulant imiter Bara et Viala (8) sont venus s'inscrire à la mairie comme volontaires : il leur fallut consigner sur les registres leur opposition au départ de ces engagés précoces (4). Quelques fiancées aussi, peu nombreuses car généralement le mariage prévu a été célébré d’autant plus facilement que le nouvel époux se trouve ainsi exempté de la conscription. Mais cela suppose qu’il puisse nourrir une famille ; ce n’est pas toujours le cas, et les plus pauvres doivent partir ; parfois, le fiancé «y croit» et s'engage comme ce François Victor Dély, 25 ans, engagé volontaire dans l’armée de Dumouriez, dont le fils naturel naît, en son absence, en février 1793 (9).

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À la guerre et aux difficultés financières de plus en plus grandes s’ajoute le souci du ravitaillement. Comment nourrir une famille quand l’assignat ne vaut rien, que les boutiques sont vides, car la loi du maximum a eu pour conséquence de raréfier les marchandises et que bouchers et boulangers pratiquent le marché noir ? Les ménagères cherchent par tous les moyens légaux ou non, à se procurer du pain (il est rationné) de la viande (elle est rare et chère) ou des œufs, mais cela ne va pas sans risques. «Le citoyen Legrand a fait le rapport que le jour d'hui matin, il avait rencontré une femme proche la porte Bague qui avait un pain de 10 livres sous son bras, qu'il lui avait demandé son nom, à quoi elle n'a voulu répondre, qu'il lui avait demandé où elle avait acheté ce pain, et qu'il n'avait recu aucune réponse satisfaisante, qu'il s'est aussitôt saisi de ce pain comme trouvé en contravention...» (10).

De même en hiver, il faut trouver du bois pour se chauffer. En décembre 1792, les 23 ormes du cours (11) ont été abattus et l’hiver suivant c’est dans la forêt que l’on fait provision. «>Il a été fait rapport au Conseil par un de ses membres qu'il se commettait des délits dans les bois par des citoyens et des citoyennes qui vont journellement aux bois et qui se. permettent d'en couper. du vert, d'en vendre et d'en déposer dans différentes maisons à l'entrée de laditte commune» (12).

Ces femmes, mères de famille, gardiennes du foyer, aux prises avec mille difficultés, vont-elles, à la faveur de la nouvelle conjoncture politique, sortir de ce rôle traditionnel et devenir enfin des citoyennes à part entière ? Condorcet l'avait souhaité : «La République va-t-elle accorder l'égalité des droits à la deuxième moitié de la nation ? va-t-elle cesser d’exclure les femmes de la vie politique, leur accordant le droit de vote, et même les déclarer éligibles», Comme Condorcet l'avait souhaité?

En 1793, les Sans Culottes au pouvoir veulent l'égalité : ils suppriment la distinction entre citoyens actifs et passifs, acceptent la présence féminine dans les sociétés populaires (mais seulement en tant que spectatrices) tolèrent même l'existence de clubs de Femmes, mais leur conception de l’égalité ne va pas au-delà, et le manifeste féministe lancé en 1791 par Olympe de Gouges, qui réclame le droit pour les femmes de participer à la vie politique n’a suscité que réprobation.

Qu'en est-il à Montmorency ? Certaines femmes, comme dans toute la France, participent à la vie locale :

Cette participation n’est le fait que des éléments proches des Sans Culottes qui ne représentent qu’une minorité, agissante il est vrai.

Toutes les femmes par contre, doivent appliquer et respecter la loi ; elles sont astreintes au port de la cocarde tricolore, même si cette obligation n’est pas du goût de toutes «... il a été fait lecture du rapport fait au greffe de la municipalité : par le citoyen Chéron contre 2 citoyennes pour ne point porter la cocarde nationale au mépris du décret qui enjoint à toutes les femmes de la porter, d'avoir affecté de les attacher à leurs bonnets d'un côté qui n'annonçait aucunement la couleur tricolore, et d'avoir même insulté et menacé ledit Chéron dans l'exercice de ses fonctions, ainsi qu'il appert de son rapport» (14).

Elles doivent pouvoir fournir éventuellement un certificat de résidence (M.A.F. Laisnée, 58 ans, marchande de dentelle en demande un le 21 fév. 1794) ; mais pour les nouvelles venues, il s’agit d’un certificat de domiciliation : en font ainsi la demande une ci-devant religieuse à l’abbaye de Montmartre (15) ou les femmes de la noblesse obligées de quitter Paris, telle Marie Jérosme Bernarde Calvo Louise de Mortemart de Boisse domiciliée à Montmagny (16). Il a même fallu que la seule femme fonctionnaire présentât un certificat de civisme pour rester en fonction, il s’agit de Marguerite Nizard, factrice de la poste aux lettres qui l’obtint sans difficulté (17).

Patriotes, suspectes ou opposantes, nobles, ouvrières ou bourgeoises, la population féminine de Montmorency englobe toutes ces catégories. Quelles sont les positions politiques de ces femmes ? Y a-t-il des attitudes spécifiques ?

Sont suspectes en 1793 et 1794 les anciennes nobles et les bourgeoises qui vivent de leurs rentes: telle Mme Marotte du Coudray dont la sœur, ex-religieuse, est revenue à la maison, qui subira des visites domiciliaires pour s'assurer qu’elle ne cache pas un prêtre réfractaire et dont les filles devront présenter des certificats de résidence.

L’hostilité des vignerons des Gallerands et de leurs filles est patente : outre la non application de la livraison des grains réquisitionnés, et les propos antirévolutionnaires qui semblent fréquents sur le passage des élus municipaux, il leur est reproché de ne pas porter la cocarde et même d’avoir voulu arracher l’arbre de la Liberté : «Le citoyen Gérard s'est présenté au conseil en conséquence de l'invitation qui lui en avait été faite relativement à sa sœur qui s'était permis de vouloir déplanter l'arbre de la Liberté à la rue des Gallerands, sous le prétexte qu'il était sur son terrain». (17)

Convaincues et fort actives sont, par contre, les femmes des Sans-Culotte, notamment celles dont les maris sont membres du Comité de Surveillance. Ne disposant que de revenus modestes et confrontées aux difficultés matérielles, elles sont intransigeantes, remarquent tout et dénoncent toute atteinte à l'égalité. Les dénonciations adressées au Conseil municipal sont nombreuses : elles visent le marché noir ou la non livraison de vivres «... dénonciation faite par plusieurs citoyennes d'Émile contre le citoyen Cléry épicier, au sujet d'une quantité de beurre qui a fait transporter chez la citoyenne Ducoudray au lieu de le distribuer dans sa boutique» (18).

«Plusieurs citoyennes d'Émile se sont présentées au Conseil et ont dit qu'ayant appris que le jardinier du citoyen Goix avait des pommes de terre à vendre, elles s'y sont transportées et ont été surprises que la femme du jardinier leur avait dit qu'elle n'en avait plus à vendre, que partie de ces pommes de terre était destinée pour planter, et qu'elle avait reçu l'ordre d'envoyer le reste à Paris chez le citoyen Goix. Sur quoi le Conseil a nommé 2 commissaires pour aller constater la quantité de pommes de terre qui sont chez le citoyen Goix»(19).

Les dénonciations ont aussi pour but de faire respecter l'égalité devant la mort : les «embusqués» sont vite repérés : «Les Citoyennes Veuve Fouloi, femme L. Vacher, femme Martin Émeri, la Veuve Richer, la femme Antoine Bourgeois, la citoyenne Villain, toutes domiciliées à Émile, se sont présentées au Conseil et ont observé que le citoyen Auguste Bance fils, soldat de la première réquisition sert journellement les maçons et, est en état, par conséquent, de rejoindre son bataillon, et ont demandé qu'il soit visité par le citoyen Baudran chirurgien d'Emile» (19). N’oublions pas les logeuses et les lingères qui s’empressent de prévenir le comité de Surveillance de tout élément qui leur parait suspect.

Les femmes ont donc volontairement ou non participé à la Révolution : emprisonnées, ruinées, décapitées pour certaines, patriotes, mères des défenseurs de la Patrie pour d’autres. Que leur a donc apporté cette période ?

Les bourgeois libéraux, partisans des «droits naturels» et auteurs des «principes de 89» ont fait disparaître l’Ancien Régime politique et social mais, dans le monde nouveau qu’ils construisent, et dont les bases sont la liberté et l'égalité, ils entendent cantonner leurs compagnes dans leur rôle traditionnel d’épouse et de mère dépendante du chef de famille.

Les Jacobins eux-mêmes, vont mettre le holà à cette tentative d’émancipation féminine : en novembre 93 Olympe de Gouges est guillotinée, et en guise d’oraison funèbre le Moniteur écrit «Elle voulait être homme d'état et il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d'avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe». Ce point de vue est celui des sphères officielles : «On demande aujourd’hui le bonnet rouge, on ne s’en tiendra pas là ; on demandera bientôt la ceinture et les pistolets» renchérit le Comité de Sûreté Générale qui, craignant la «masculinisation des femmes» décide en brumaire an II la fermeture des clubs de femmes car «...ces sociétés, .. sont composées d'espèces d'aventurières, de chevalières errantes, de filles émancipées, de grenadiers femelles» (Fabre d’Eglantine).

Que les femmes restent à la place que la nature leur a destinée. «Depuis quand est-il d'usage de voir la femme abandonner les soins pieux de son ménage, le berceau de ses enfants, pour venir sur la place publique dans la tribune aux harangues ?» (Chaumette)

Unanimes donc les hommes de 1793 et si eux, à cette date, réagissent ainsi, qu’en sera-t-il plus tard quand le Premier Consul prendra le pouvoir ? Le code civil fera des femmes des mineures car Bonaparte, misogyne, dira à Sophie de Condorcet :«Je n'aime pas que les femmes se mêlent de politique». «Vous avez raison, général, répondit-elle, mais, dans un pays où on leur coupe la tête, il est naturel qu'elles aient envie de savoir pourquoi».

Alors ? 1789 : Liberté, Égalité, Fraternité ? OUI, mais pas pour tous. Les femmes devront attendre 150 ans pour obtenir le droit de vote, et quelques années de plus pour que le code civil soit révisé.

Jacqueline Rabasse

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Notes

(1) Cité in Condorcet de E. et R. Badinter.

(2) Prêtre constitutionnel ou jureur, qui a accepté la Constitution Civile du Clergé.

(3) Jusqu'en 1793 on distingue les citoyens actifs qui votent et les citoyens passifs.

(4) P.V. février 1794.

(5) P.V. 6 novembre 1793.

(6) P.V. 12 janvier 1794.

(7) Recensement de 1793.

(8) Tous deux ont été tués à 13 ans dans l'armée républicaine.

(9) État civil de Groslay.

(10) P.V.17 nivôse —6 janvier 1794.

(11) Le cours planté d'ormes correspond à l'actuelle rue Jean Mhlin.

(12) P.V. 14 nivôse —3 janvier 1794.

(13) P.V. 30 juillet 1791.

(14) P.V. 22 décembre 1793.

(15) Mars 1793.

(16) Avril 1794.

(17) Février 1794.

(18) Mai 1794.

(19) Février 1794.

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