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Montmorency en Provence : campagne de 1536 a 1538

Introduction

De cette année 1993, les historiens de Montmorency de l'avenir, se demanderont : «Que pouvait-on faire cette année-là, sinon de parler du Connétable ?» Nous aurions pu nous contenter d'en dresser la biographie mais notre modeste revue n'est pas vraiment le cadre rêvé pour conter une histoire aussi riche ; nous avons donc été amenés à extraire un épisode choisi parmi ceux qui constituent un tournant capital dans la vie de notre illustre seigneur.

La campagne de Provence de 1536, ses tenants et ses aboutissants nous a semblé idéale pour cela puisque un de ses résultats les plus remarquables en sera l'élévation à la connétablie d'Anne de Montmorency. De plus, à ses prémices, s'est également déroulé un événement dont la suite sera grosse de conséquences pour la faveur dont jouira le Connétable auprès des successeurs de François Ier.

Si on y ajoute l'intérêt que je porte à ma terre natale tout concourait à ce choix.

Charles Quint et la France au début du XVIe siècle

François Ier - Clouet (B.N.)
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Précisons d'abord le contexte historique dans lequel va s'illustrer le futur connétable. Celui-ci est né quasiment avec les guerres d'Italie qui ont occupé à elles seules presque tout l'horizon de la politique extérieure de la France en ce début du XVIe siècle. Depuis 1494 notre pays, sous Charles VII, puis sous Louis XII, sous François Ier enfin, se débat dans le bourbier italien. Les alliances de circonstances, aussi vite défaites que faites, éclatent et se transforment en trahisons sournoises. La victoire de Marignan, en 1515, a semblé mettre un terme à cette gabegie d'argent et de vies humaines mais en fait cette date célèbre entre toutes, va coïncider avec un changement capital pour la France, d'ambition et d'adversaire. En 1519 Maximilien d'Autriche meurt et son trône vacant va relancer l'action. L'affrontement est d'abord électoral. Mais l'or des Fugger, en faisant pencher la balance du côté de Charles-Quint, précipite François Ier dans la guerre. Ce dernier a très mal supporté son échec et le désir de revanche le submerge aussitôt. Il ne va pas chercher bien loin le prétexte à une guerre qu'il appelle de tous ses vœux.

Charles Quint - gravure anonyme (B.N.)
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Ce sera une fois de plus le Milanais. Certes le duché de Milan est riche mais plus encore il est d'une très grande importance stratégique pour le nouvel empereur et donc pour le roi de France. Il se trouve, en effet, placé à des communications entre les états héréditaires d'Autriche et l'Italie du sud. François Ier n'a donc aucune volonté de lâcher ce lieu de tous les fantasmes des rois de France depuis 50 ans. De plus, il ne doute plus de la mortelle tenaille qui se referme sur ses terres. L'Espagne, grosse de ses richesses américaines et de ses terres d'Italie du sud, en est une des mâchoires tandis que l'héritage de Charles le Téméraire et de Maximilien en est l'autre. Les deux monarques ont vocation à unifier l'Europe et le choc des deux rivaux marque donc un épisode important de l'histoire de notre continent.

Pour cette guerre qui se profile, François Ier prend les mêmes précautions préalables que ses prédécesseurs. Il lui faut d'abord neutraliser ses adversaires potentiels, avant de se lancer contre son adversaire principal. Henri VIII d'Angleterre représente le danger le plus menaçant. Il est d'ailleurs marié avec la propre sœur de Charles-Quint. François Ier tente donc de le séduire avec les fastes du Camp du Drap d'Or en 1520. Pendant deux jours au milieu des festivités les plus diverses, les deux rois et leurs conseillers discutentettraitent. Bonnivet, grand amiral de France mène les discussions avec en face de lui le cardinal Wolsey. Mais à peine les flambeaux de la fête éteints, Henri VIII va s'entendre avec l'Empereur, peut-être jaloux des fastes de la cour de France, mais plus sûrement ménager de son avenir.

La stratégie anglaise de la balance de la suprématie en Europe se poursuit et se poursuivra encore longtemps! Le roi de France en tous cas juge qu'il a les mains suffisamment libres pour que débutent les opérations militaires qui commencent en 1521 dans le nord. Robert de La Marck, ancien compagnon de jeux de François Ier (et de Montmorency), vassal de l'empereur se retourne contre son suzerain et pénètre dans le Luxembourg. Mais l'armée impériale réagit énergiquement. L'armée française et Bayard, envoyés en hâte se réfugient à Mézières et reçoivent l'aide de Montmorency. Le siège dure un mois et arrête les impériaux qui se lançaient à l'assaut de la France.

La situation de François Ier, si elle semble se stabiliser dans le nord, se dégrade dans le sud où en 1522, Lautrec perd la bataille de La Bicoque et doit évacuer le Milanais. A cette défaite s'ajoute «la trahison» du Connétable de Bourbon qui rejoint l'armée impériale en 1523. L'Amiral de Bonnivet qui a pris le commandement est un incapable et Bayard est tué au passage de la Siesa. L'année suivante, la France est alors envahie par le sud est. Marseille est assiégée : avec l'aide de l'amiral d'Andréa Doria, elle résiste avec courage. Bourbon qui commande maintenant l'armée impériale doit repartir bredouille.

C'est une sorte de répétition générale de la guerre qui aura lieu 12 ans après et qui forme le sujet principal du présent article.

La contre attaque française ramène alors François Ier dans le Milanais. La capitale du duché est bien reprise mais le choix se pose : attaquer Lodi ou Pavie. Le roi poussé par Bonnivet, choisit Pavie contre l'avis de Montmorency.

Au début de l'année suivante, les 24 et 25 février 1525, la bataille commence. Montmorency, fait prisonnier dès le début du combat, assiste aux charges désastreuses du «Roi Chevalier» qui neutralise sa propre artillerie, s'empêtre dans ses propres fantassins et finit par se rendre après que «toute la fleur de la chevalerie française fut prise ou morte». Le royal prisonnier est transféré en Espagne à Madrid où il signe le 14 janvier 1526 le calamiteux traité qui aurait du donner, entre autres, la Bourgogne à l'Autriche (restituée, a sans doute, pensé Charles-Quint). François Ier, veuf, doit accepter en mariage la sœur de l'Empereur, Eléonore, veuve elle aussi, du roi du Portugal.

François Ier entouré par l'ennemi à Pavie.
gravure anonyme
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Le roi de France, libre en mars, mais qui a dû accepter de laisser ses fils en otage en Espagne, ne songe en aucune façon à respecter ce traité. Rassuré sur l'appui de son peuple par une assemblée des notables des trois ordres, sûr également du soutien d'une partie de l'Europe que la puissance impériale effraie, il repart vers l'Italie.

Lautrec atteint Naples, mais les Français décimés par la peste ne peuvent prendre la ville, la retraite est coupée. Une armée envoyée en renfort est battue. Cette fois, l'affaire semble entendue. Le 5 juillet 1529, c'est la Paix de Cambrai dite aussi Paix des Dames. Louise de Savoie signe pour son fils le Roi, tandis que Marguerite d'Autriche fait de même pour son neveu l'Empereur. Le traité de Madrid est quelque peu atténué, François Ier perd définitivement la Flandre, l'Artois, le Milanais. Il réhabilite «post mortem» le Connétable de Bourbon. Il paye les dettes de Charles-Quint à Henri VII d'Angleterre. On fixe la rançon des enfants royaux détenus en otage (2 millions d'écus d'or).

La période des guerres semblent s'achever. Charles-Quint a abandonné ses prétentions sur la Bourgogne qui lui tenait tant à coeur, tandis que François Ier voit s'envoler définitivement le Milanais.

Montmorency a largement profité sur le plan personnel de cette période. Redevenu diplomate à nouveau, en 1530, il mène les négociations pour la libération des enfants de France qu'il va chercher en Espagne. En 1532, il participe à l'entrevue de Boulogne entre François Ier et Henri VIII. Il reçoit même à cette occasion l'ordre de la Jarretière. Mais à partir de 1534, il entre en disgrâce. Des clans divisent la cour. Si Montmorency a l'appui de la reine Eléonore, il s'oppose à la pression belliciste de Chabot de Brion qui flatte les passions guerrières de François Ier. Le baron, Grand Maître de France depuis 1526, est au contraire un partisan de la paix avec l'Autriche. Sa conduite, pendant la guerre qui va commencer, le prouve amplement.

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Guerre en Provence (1536-1538)

C'est en 1536, en pleine déroute des troupes françaises qu'on l'appelle à l'aide. Car la guerre a encore repris entre Charles-Quint et François Ier. Le ressentiment du roi de France est toujours aussi vif contre son adversaire et Milan brille toujours du même éclat à ses yeux. Mais d'abord, il a bien fallu payer les désastres précédents, à commencer par la rançon des enfants royaux. C'est Anne de Montmorency qui a conduit toutes les opérations nécessaires à l'apurement de cette dette, énorme pour l'époque.

En 1535, pourtant, le moment a semblé favorable au roi de France pour réouvrir les hostilités.

Types militaires des guerres de François Ier.

L'armée française semble prête. Le roi a tiré les enseignements de ses défaites précédentes et l'armée a été profondément réformée. La cavalerie, arme noble par excellence, perd sa prédominance sur l'infanterie qui est en passe de devenir «la reine des batailles». Elle cesse d'être la piétaille qui achève les batailles que gagne la cavalerie. La noblesse accepte maintenant de servir dans ses rangs. Elle possède l'arquebuse dont l'efficacité s'accroît rapidement. L'artillerie, issue de ses rangs gagne en importance. Son point faible cependant, continue à être son recrutement. Elle est encore formée essentiellement de mercenaires dont la défection est toujours menaçante. François Ier, par son édit du 24 juillet 1534, a ordonné la levée de sept légions d'infanterie, soit environ 42 000 hommes, dont 12 000 arquebusiers. Six légions seront prêtes en 1535.

Reste à trouver le prétexte pour déclencher la guerre. Pour éviter de s'attaquer directement à l'Empereur, François Ier réveille une obscure histoire d'héritage de Louise de Savoie, sa mère, morte en 1531. Effrayé par la menace française, le duc de Savoie Charles II se place sous la protection de l'Empereur. C'est alors que la mort du duc de Milan, François Sforza, en 1535, libère le Milanais.

À la fin de l'année 1535, les troupes françaises pénètrent en Savoie. Charles Quint, de retour de sa campagne africaine, se trouve alors à la cour pontificale. Devant le pape, Paul II, il prononce un discours en espagnol comme s'il voulait éviter le français, qui est pourtant sa langue maternelle ; il dénonce la perfidie du roi de France et présente trois solutions :

Après son coup d'éclat et de propagande, il n'attend même pas la réponse à ses propositions et, dès le mois de mai il prend personnellement la tête de son armée du sud. Il franchit le Var le 26 juillet 1536. La stratégie choisie prévoyait que son armée avancerait par terre. Elle serait ravitaillée par mer par Andréa Doria, doge de Gènes et ancien commandement des galères royales françaises, «démissionné» par Anne de Montmorency sur un coup de tête, que le futur connétable avait souvent assez faible. Rien ne put le dissuader d'une tactique qui s'était pourtant avérée désastreuse en 1524. L'armée qui devait porter le coup fatal à l'adversaire français était imposante : cavalerie légère commandée par Gonzague, prince de Melfetto, troupes espagnoles du marquis del Vasto, lansquenets de Mark d'Ebenstein et de Gaspard de Fronsberg. Antonio de Leiva, capitaine général des troupes impériales, et le duc d'Albe sont de l'expédition.

Une armée entièrement italienne avait été massée à Coni. La ville avait été livrée par le marquis de Saluces, ex-allié du roi de France, à qui l'empereur avait promis en mariage la veuve du duc de Milan et le marquisat de Montserrat. Cette armée devait descendre par le col de Tende et la vallée de la Roya pour protéger le flanc droit de l'armée.

En face, la défense s'organise rapidement. François Ier reste à Lyon puis à Valence avec la réserve tandis que Montmorency, nommé «lieutenant général du Roy tant deçà qu'au delà les monts», descend à Avignon et s'y fortifie. Il désirait constituer dans cette ville le moyen principal de sa défense. Après avoir observé et demandé conseil (ce qui n'était pas dans ses habitudes), il décida de tenir les villes de Marseille, qui pouvait être ravitaillée par mer, et d'Arles qui tenait les communications par le Rhône. Le reste de la Provence serait évacué par ses habitants et entièrement brûlé pour empêcher le ravitaillement des assaillants.

«Pourquoy ledit Bonneval (envoyé par François Ier), voyant la chose requérir diligence, despéscha le capitaine Miolans, avec les gens qu'il avoit de la compagnie du comté de Tende, et deux mille hommes de pied, pour aller, le chemin de France, rompre tous les fours et moulins, brusler les bleds et fourrages, et defonser les vins de tous ceux qui n'avoient faict diligence de les retirer ès places fortes; aussi gaster les puys, jettant des bleds dedans afin de corrompre les eaues» (Du Bellay).

Ces durs sacrifices sont relativement bien supportés par les Provençaux qui oublient l'Édit de Joinville, qui, en 1525, les avait privés de leur autonomie, première étape de l'intégration de la province dans le domaine royal. La destruction atteint les villes qui pourraient servir de point d'appui à l'ennemi Grasse, qui ne possède pas d'intérêt stratégique important, voit ses fortifications démantelées. Même destructions à Draguignan, à Dignes. Le Luc, qui refuse d'être neutralisé, l'est de force. Castellane résiste victorieusement après que le sire de Bonneval ait fait détruire ses alentours. Senez est détruite par les impériaux. Du Bellay rapporte que dans les destructions opérées on avait sciemment épargné les vignes aux fruits verts à cette époque; leur consommation par les troupes impériales affamées provoquera les mêmes désagréments qui seront, paraît-il, ceux des Prussiens, à Valmy, deux siècles plus tard.

Pendant ce temps, Montmorency, comme nous l'avons dit, réside à Avignon. Il décide d'établir son camp non dans la ville même mais au confluent de la Durance et du Rhône, qui serviront à la fois de fossés naturels et de moyen d'approvisionnement. Sur le troisième côté dégarni du triangle, il fait creuser une fosse de 24 pieds d'ouverture. Il prévoit même, sur le modèle romain, un ruisseau central chargé d'évacuer les immondices. Des tranchées obliques séparent les hommes d'armes de différentes origines.

Une petite levée de terre lui sert de quartier général. Le roi, pendant ce temps, est toujours à Valence, qu'il fait aménager comme base arrière d'Avignon.

Porte drapeau -- Urs Graf
Dessin à la plume
(Bâle, cabinet des estampes).
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La situation devient vite très désagréable pour Charles-Quint. Ses troupes évoluent dans une campagne désertée et sans ressources alimentaires. Même les chevaux de sa cavalerie manquent de fourrage.

Les attaques des «partisans» provençaux sont incessantes ; tout groupe d'impériaux isolé est immédiatement attaqué. L'Empereur subit même un attentat d'arquebusiers qui, «snipers« avant la lettre, essaient de l'abattre au Muy. Un aide de camp de l'Empereur fut abattu à sa place. Les tireurs furent pendus sur le champ.

À partir d'Aix ou, plus précisément, du plan d'Aillane, l'Empereur tente d'attaquer Marseille en payant de sa personne et, en effet, il ne manque pas de courage. Sa dernière campagne d'Afrique lui a donné le goût de l'action personnelle. Mais laissons parler un contemporain, l'ambassadeur Guillaume Du Bellay : (L'orthographe de l'époque a été conservée).

«Se trouvant le 15 août dans ce camp (près d'Aix-en-Provence), l'Empereur préleva une force de trois mille Espagnols, quatre mille Italiens et cinq mille lansquenets, et sans déclarer ses intentions saug à ses capitaines, il les fit partir à minuit, afin qu'ils arrivassent là où il l'avait décidé, sans que les nôtres s'enrendissent compte. Lui-même, avant l'aube, était à cheval, emmenant en sa compagnie le duc d'Albe, Espagnol; le seigneur Alfonso d'Avalos, marquis del Vasto et le seigneur Fernando Gonzaga, Italiens, et le comte de Horne, Allemand, avec toute la fleur de ses gens à cheval. Avec cette troupe, il parvint tout près de la ville de Marseille, comme le soleil venait de se lever. Il la laissa là et, avec le marquis del Vasto et une bonne escorte d'arquebusiers, il sortie reconnaître personnellement les positions de la ville.

À la vue des premières maisons, il s'arrêta, et envoya le Marquis pour explorer un endroit où l'on pût placer l'artillerie, car on l'avait informé que la ville était vulnérable de ce côté. Mais le Marquis trouva que les nouvelles fortifications rendaient impossible cette mise en place et, d'ailleurs, nota que des hommes armés sortaient par un chemin haut dans le but évident de lui couper la retraite. En effet, il avait été découvert par ceux du dedans. L'Empereur, en rebroussant chemin, fut l'objet d'une attaque d'artillerie, dont les projectiles, faisant sauter des pierres du rocher qu'ils frappaient, firent beaucoup de mors et de blessés parmi les soldats de sa suite. Pendant sa retraite, ayant trouvé une source d'eau fraîche, il voulut s'arrêter pour prendre un léger déjeuner. Puis il revint à son campement».

Mais Marseille est bien défendue. Le roi a nommé Monsieur de Barbizieux (Antoine de la Rochefoucault) avec pouvoir de Vice-Roi. Celui-ci a fait couler des galères à l'entrée du port pour en interdire l'entrée. Il a également fait fortifier la citadelle de la Garde qui, dotée d'artillerie, domine toute la région. Quand l'escadre de Doria se résoudra à attaquer, elle sera repoussée à hauteur du château d'If. Elle n'aura pas plus de chance à Port de Bouc, dont la tour, défendue par les habitants de Martigue, lui résistera victorieusement.

Vainqueurs du côté de la mer, les habitants de Marseille tentent des sorties du côté de la terre. Ils bloquent, par exemple, le 30 août et le 5 septembre, l'arrivée de vivres à destination d'Aix que des galères impériales ont apportés jusqu'à l'embouchure de l'Huveaune. Montluc nous a laissé le récit d'une opération de commando lancée contre un moulin du Plan d'Auriol qui approvisionne l'ennemi en farine.

Invasion de la Provence par les Impériaux.
(Cuivre allemand du XVIe siècle).
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La maladie se répand dans le camp adverse. Même les chefs sont touchés et Antonio de Leyva, un des plus fidèles compagnons de l'Empereur, meurt à Aix le 7 septembre. Pendant sa maladie, Anne de Montmorency lui a fait parvenir sa litière personnelle dans un geste de courtoisie qui ne lui est pas habituel.

Alors que faire ? Coincé dans le triangle des points forts choisis par Montmorency : Avignon, Arles, Marseille, l'Empereur a un moment espéré un renfort en provenance d'Espagne. Espoir vite déçu. La retraite dans ces conditions était inévitable. Le 14 septembre l'Empereur s'y résigne, la mort dans l'âme. Montmorency refuse de céder aux pressions de ceux qui auraient voulu qu'il se lançât à la poursuite de Charles-Quint. Celui-ci se moqua de cette prudence dans une lettre adressée à sa sœur la reine de Hongrie. «Et au regard de ma retraite de France, elle a été faite avec un très bon ordre et sans rien perdre. Et à la vérité m'en ont donné lesdits français assez bon loisir, car il ne s'en est guère vu durant ladite retraite».
{cité par Brigitte Bedos dans «Anne de Montmorency»).

C'était refuser de voir le soin qu'apporte Montmorency à le ménager. Et pourtant, lorsque sous les auspices du pape, il avait tenté, peu avant, une négociation, le Grand Maître s'était empressé de lui répondre qu'il était sûr d'amener le Roi au parti d'une paix conclue avec «sincérité, équité et raison». C'est François 1er qui avait refusé... Entre le roi, son suzerain et l'empereur, bouclier intransigeant de la foi catholique, Montmorency est déchiré. Mais le féodal, en lui, domine et dominera toujours. Il ne sera jamais félon mais jamais, non plus, il ne souhaïitera l'écrasement de son impérial adversaire. Et d'ailleurs la situation pour embrouillée qu'elle soit s'éclaircira très vite ensuite. Ceux qui le pressent d'en finir avec Charles-Quint deviendront le parti protestant ou côtoieront l'hérésie, comme Marguerite de Valois.

Montmorency, la reine Éléonore, les Guise, resteront le parti catholique. La cassure se fait déjà sentir. Et pourtant malgré ce qu'en dit Charles-Quint, la retraite fut un désastre.

«Depuis Aix jusques à Fréjus, où l'Empereur avoit premierement logé son camp, tous les chemins estoient jonchez de morts et de malades, de harnoïs, lances, piques et arquebusiers, et autres armes, et de chevaux habandonnez qui ne pouvoient se soustenir. Là eussiez veu hommes et chevaux tous amassez en un tas, les uns parmy les autres, et tant de costé que de travers, les mourans pesle mesle parmy les morts, rendans un spectacle si horrible et piteux, qu'il estoit miserable jusques aux obstinez et pertinax ennemis; et quiconque a veu la desolation, ne la peult estimer moindre que celle que descrivent Josephe en la destruction de Hierusalem, et Thucidide en la guerre de Peloponesse» (Du Bellay).

Camp de mercenaires allemands.
Dessin de A. Hoffmann.
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Une opération de récupération des troupes impériales eut lieu le long des côtes provençales. Une partie embarqua à Toulon dont la Tour n'avait jamais été prise. L'empereur choisit Fréjus comme port de départ en direction de Gènes. Des 60 000 hommes qui avaient franchi le Var en juillet, il en restait moins de 25 000, deux mois après.

Dans Fréjus même, des lansquenets allemands ne seront évacués que plusieurs mois après. Andrea Doria lança encore des attaques sur la côte ; c'est ainsi que, le 4 octobre, Sanary fut détruite. Il semblerait que le sort se soit acharné sur la personne même de l'Empereur. Après avoir quitté Gènes en direction de l'Espagne, il fut obligé de s'arrêter, malade, aux Îles d'Hyères et n'atteindra Barcelone que le 4 décembre. Les autres théâtres d'opérations s'avèrent aussi désastreux pour l'Empereur. Péronne résista, la Champagne se révéla une barrière plus résistante que prévue.

Armure de reitre (début du XVIe siècle)
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L'affaire de Tournon

Ainsi l'année 1536 fut une année faste pour le seigneur de Montmorency et comme un bonheur ne vient jamais seul, elle fut marquée par un événement mineur sans doute à côté de ceux relatés précédemment mais qui devait avoir de profondes répercussions sur sa carrière.

Le 10 août 1536 vers huit heures du matin trépassait brusquement, à 18 ans, au château de Tournon sur Rhône, François, dauphin de France duc de Bretagne. Après une chaude partie de balles, il avait bu de l'eau glacée et en quatre jours une pleurésie s'était déclarée qui avait emporté le malheureux. François Ier, qu'une profonde affection liait à son fils aîné, fut désespéré. Il prêta l'oreille à de méchantes rumeurs qui coururent aussitôt : le dauphin avait été assassiné.

À qui le décès de l'héritier du trône pouvait-il profiter, sinon à Charles-Quint ? On «interrogea» le jeune gentilhomme ferrarais qui avait présenté le fatal gobelet, Sébastien de Montecucculi. Celui-ci avoua tout ce que l'on voulait. Les procédés d'interrogatoire employés étaient tels qu'il aurait bien avoué tous les crimes commis dans le royaume. Jugé deux mois après, il fut condamné à mort et subit le supplice de l'écartèlement, punition des régicides.

L'empereur protesta vivement contre les soupçons. Le Bourgeois de Paris déclara :

«Charles-Quint disait que jamais rien ne lui était arrivé de plus sensible que cette accusation, (l'empoisonnement du Dauphin), et disait qu'il aimerait mieux avoir perdu toutes ses terres que d'en avoir seulement la moindre pensée».

En toute logique, on ne peut que l'absoudre. On voit mal, en effet, ce qu'aurait pu lui rapporter un crime qui reportait simplement la couronne de France sur le fils cadet, Henri. On savait celui-ci d'une nature robuste alors que le défunt, épuisé par des débauches qui devaient le rendre sympathique à son père, était de constitution plus faible. Plaignons au passage François Ier qui vit mourir le premier et le troisième de ses fils qu'il chérissait et survivre le seul qu'il détestait. La «piste» autrichienne eut la vie dure jusqu'au siècle suivant. Malherbe dans un de ses odes nous dit que :

«François quand la Castille inégale à ses armes
Lui vola son dauphin,
Semblait d'un si grand coup devoir jeter des larmes
Qui n'eussent jamais fin
».

La nationalité du malheureux Montecucculi inspira une autre hypothèse. Et si c'était Catherine de Médicis, la jeune femme d'Henri, qui avait désiré la couronne pour son mari. L'Italie n'était-elle pas le pays des empoisonneurs ? Ah ! Borgia (En plus le poison est arme de femme n'est-ce-pas ?) La relation entre Italie et poison était, à l'époque, telle qu'on utilisait le mot boucon tiré directement de l'Italien boccone (bouchée).

«L'assassin de glaive ou de balle
Ici se loue à peu de frais;
Le boucon, traitre en ses apprêts,
S'y vend comme herbe en pleine halle.
»
(Saint-Amant - La Rome ridicule).

Pierre de Ronsard, page du défunt, était arrivé quatre jours avant à Tournon. Il ne put qu'assister à l'autopsie.

«Je vy son corps ouvrir, osant mes yeux repaistre des poumons et du coeur de mon maistre tel semblait Adonis sur la place étendu»...

Anne de Montmorency ne prit pas part au débat, mais avec le recul on peut considérer cet événement funeste comme une chance de plus pour lui. Le défunt dauphin ne l’aimait pas. Montmorency ne s’était-il pas, avec sa diplomatie habituelle, moqué de la mode vestimentaire qu'arborait le jeune prince. Et la jeu- nesse n'est pas particulièrement patiente pour ce genre de reproche.

Le contraste qu'offrait le spectacle de ce jeune décadent avec son robuste cadet Henri était frappant. Ce dernier avait tout pour plaire au futur Connétable. De plus, le futur Henri II montrait un grand intérêt pour les affaires militaires et désira visiter le camp retranché d'Avignon où il fut reçu par Montmorency qui le logea dans sa propre tente. Le dauphin fut ébloui, il avait découvert son mentor. Après son départ, il écrivit :«vous tenez sûr, quoiqu'il advienne, que je suis et serai toute ma vie autant votre ami que homme de ce monde».

Il l'accompagnera ensuite dans les campagnes militaires, en 1537, après la reprise de la guerre dans le nord. Une grande amitié était née à laquelle Diane de Poitiers, devenue cette année-là justement la nouvelle amante/mère du jeune prince, devait apporter un concours empressé; c'était d'ailleurs à Écouen que :

«Diane faillit et comprenez sans peine
Duquel matir je prétend reparler
».

Cette amitié dura jusqu'à la mort accidentelle d'Henri II, qui fut pour Anne un drame véritable. N'oublions pas qu'il demanda que son coeur fut placé auprès de celui d'Henri II ainsi que le défunt roi en avait exprimé le désir. Le roi lui rendit bien cette amitié et la faveur royale servit parfaitement la carrière du Connétable tant qu'elle put s'exercer.

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La reprise de la guerre

Mais la guerre, à peine arrêtée au Nord par la trêve conclue en juillet par la sœur de Charles-Quint, Marie de Hongrie, reprend en août en Italie. Charles d'Humière, allié à Montmorency, est battu par le marquis del Vasto. Le Grand Maître se dirige alors vers l'Italie, enfonce le Pas de Suse et donne le Piémont à François Ier qui peut s'en servir de monnaie d'échange pour recouvrer le Milanais.

Le 16 novembre, on signe une trêve à Leucate, en décidant d'une rencontre qui eut effectivement lieu au début de 1538 à Nice. Bizarre rencontre où les protagonistes et le Pape, qui devait servir de conciliateur, ne se virent jamais. Paul III, qui avait été l'instigateur de cette rencontre, cédant à la demande pressante de la reine de France Eléonore et de sa sœur Marie de Hongrie, avait demandé à la ville de Nice de lui offrir l'hospitalité. Le duc de Savoie, qui détenait cette ville comme le dernier lambeau de ses états, était prêt à accepter, François Ier le pressait de refuser mais l'Empereur qui venait d'arriver dans la rade de Villefranche le pria instamment de recevoir le Saint Pontife ; c'est alors que les niçois firent un début de révolution pour obliger Charles II, le malheureux duc, à tenir bon. Ils avaient gardé de trop mauvais souvenirs des derniers passages des armées étrangères. En 1524, lors de la première invasion espagnole en Provence, la ville avait été pillée par... Montmorency, dont on ne dira jamais assez tous les bienfaits qu'il a apportés à cette province en général. Le pape se réfugia donc dans un établissement religieux alors situé en dehors de Nice, le couvent des Franciscains (qui fut détruit par les Turcs quelques années après, en 1543). Actuellement on peut voir un monument commémoratif de son passage, la croix de marbre, que tous les Niçois connaissent.

La croix de larbre -- rue de France à Nice.
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Le climat n'était pas à la confiance. L'Empereur, méfiant, n'avait pas quitté les galères qui l'avaient amené dans la rade de Villefranche, de l'autre côté du cap de Nice où Eléonore, sa sœur et reine de France, lui rendit visite. Un événement comique se déroula à cette occasion. Il est peut-être à l'origine de la vocation balnéaire de la Côte. L'Empereur et sa sœur se trouvaient entre deux bateaux, sur une passerelle, quand celle-ci se rompit et les deux monarques se retrouvèrent dans l'eau tiède et alors tout à fait claire, de la Méditerranée. On rit beaucoup. Quant à François Ier il trouva abri au château de Villeneuve (actuellement Villeneuve-Loubet) à quelques lieues à l'ouest de Nice, propriété du beau frère de Montmorency, Claude de Tende. Une trêve de 10 ans fut signée le 18 juin. Charles-Quint, invita sur le chemin de retour, François Ier à venir le rencontrer à Aigues-Mortes, ce qui fut fait le 14 juillet. Les deux monarques échangèrent des cadeaux, leur ordres respectifs, Toison d'Or contre Collier de Saint-Michel et on se sépara très contents les uns des autres.

La paix régnait enfin entre les deux royaumes, une paix qui allait mettre fin à la faveur du baron de Montmorency, faveur qu'il ne retrouvera plus qu'avec l'accession de son jeune compagnon Henri, au trône de France.

Mais depuis le 10 février 1538, Montmorency est Connétable de France, la cérémonie a eu lieu à Moulins, capitale du dernier connétable en titre, Bourbon. La cérémonie fut grandiose.

André Du Chesne, monillustre homonyme du XVIIe siècle, donne une description très vivante de la cérémonie. Qu'il me soit permis de la donner après en avoir un peu modernisé l'écriture sinon l'expression. «Tous ces services apportèrent un tel contentement au Roi et lui semblèrent si signales qu'il n'estima pas les pouvoir dignement reconnaître s'il n'honorait Anne, seigneur de Montmorency de l'office du Connétable de France qui était vaquant depuis la retraître de Charles de Bourbon. Par quoi étant au château de Moulins le dimanche dixième jour de Février 1537 (1), il lui mit en main l'épée de la majesté royale comole de gloire que peut espérer un sujet. Ce qu'il fit du consentement de tous les princes et grands du royaume et avec des paroles qui surpassaient encore la splendeur de cette dignité. Les cérémonies qui s'y gardèrent furent très solennelles. Car après que l'écuyer Pommereul au lieu du Grand Ecuyer eut apporté en la chambre du Roy l'épée royale qui était une épée d'armes ayant le manche d'or émaillé de fleurs de lis, le Roi en la présence de Messeigneurs le Dauphin, et autres Princes du sang et de plusieurs Gentilhommes et chevaliers de l'ordre, déclara au seigneur de Montmorency Grand Maître de France; qu'il voulait lui doner l'état de Connétable. De quoi, le Grand Maître s'excusa disant n'être digne d'un tel honneur, n'y ne l'avoir mérité : mais puisque sa majesté le voulait, il l'en remerciait humblement. Lors le Roi sortit de sa chambre pour aller dedans la grande salle de cet ordre. Au devant marchèrent tous les Suisses et archers de sa garde avec les tambours et fifres sonnant. Après passèrent les chevaliers de l'ordre tous richement parés avec le grand ordre au col et à l'entour d'eux les deux cents gentilshommes de la Maison du Roi portant leur haches. Ceux-ci furent suivis de six herauts revetus de leurs cottes d'armes, la tête nue. Après lesquels marchea l'Ecuyer Pommereul ayant sur son bras l'épée Royale dedans le fourreau, et nu tête. Puis sortie Monsieur le chancelier, et le Roi après lui, accompagné des cardinaux de Lorraine et de Carpy, legat de France. À la suite du Roi allèrent Messeigneurs le Dauphin et le duc d'Orléans, puis les cardinaux, le Veneur de Guiry, du Bellay et de Chatillon, lesquels furent suivis de Monsieur le Grand Maître qui mena la Reine de Navarre accompagnée de Mesdames les duchesses de Vendosme et d'Etampes. (La Reine) était vetue d'une robe de velours cramoisi, bordée d'un bord (sic) de surfiliere d'or et d'argent. Ainsi le Roi arrivé dans la grande salle s'assit sur un siège ou était un petit banc orné d'un tapis de drap d'or et sur celui-ci la vraie croix. Sur laquelle Monsieur le Chancelier commanda au Grand Maître de Montmorency de mettre la main pour prêter le serment au Roi comme il fit. puis le Roi s'étant levé de son siège, l'ecuyerPommereul haussa l'epée avec le fourreau et la ceinture et la bailla à Monseigneur le Dauphin, des mains duquel le Roi la prit pour la mettre au côté de Monsieur le Grand Maître. Ceci fait les Princes qui étaient proches de lui aiderent à passer la ceinture et le Roi même la lui bailla. Puis ayant tiré l'épée du fourreau il la bailla dans la main du Grand Maître qui fit une grande révérence à sa Majesté. Et incontinent les trompettes sonnaient et les herauts d'armes commencèrent à crier : Vive de Montmorency, Connetable de France. Alors tous sortirent de la salle au même ordre qu'ils étaient venus, excepté que le nouveau connétable se mit devant le Roi, portant l'épée jusque dedans la chapelle où fut célébrée la messe et la tint en sa main tant qu'elle dura».

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Que dire en conclusion ?

En 1538, Montmorency a atteint le sommet de sa puissance, le duché pairie qui allait lui être accordé en 1551 n'en sera plus qu'une consécration supplémentaire.

Il est apparu comme le rempart le plus solide de la monarchie française. La disparition d'un dauphin hostile permettait la promesse de l'accession au trône d'un jeune monarque qui lui était très attaché. Connétable de France, il avait la puissance qui, liée à sa richesse, lui permettait tout.

Et pourtant de lourds nuages s'accumulent à l'horizon. Sur ce fond de guerres médiévales, un mouvement est en marche qui va dominer la deuxième moitié du XVIe siècle : la Réforme. En 1535 Genève est devenue protestante et c'est de cette ville que Calvin lance en 1536 ses «Institutions de la religion chrétienne» base d'un calvinisme beaucoup moins respectueux des puissances temporelles établies que le luthérianisme.

Le Connétable va se trouver pris dans le tourbillon qui emporte sa propre famille, la puissance royale et les autres pays européens. Il y laissera la vie.

André Duchesne

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Notes

(1) selon l'ancien calendrier qui commençait alors à Pâques. Le début de l'année fixé au mois de janvier décala d'un an toutes les dates.

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