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Anne de Montmorency : le plus grand propriétaire foncier du royaume

Il a été calculé que le Connétable, à la fin de sa vie, possédait, outre ses hôtels parisiens, 130 châteaux, terres et seigneuries dont dépendaient 600 fiefs.

Comment le baron de Montmorency a-t-il accumulé cette énorme richesse ?

C’est par une politique systématique, menée dès son accession à la tête de la châtellenie qu’Anne réussit à étendre ainsi ses domaines. Tous les moyens furent utilisés : achats, mariages, legs privés, (et même captations d’héritages prétendront certains contemporains) auxquels s’ajoutèrent les donations royales. Le processus fut toujours identique : à partir du noyau constitué par les terres héritées (le fief en Île-de-France) ou reçues en dot (terres des Poten Bourgogne ou dot de Madeleine de Savoie en Angoumois) le connétable agrandit ses biens par achats successifs au fur et à mesure que l’occasion s’en présenta.

Seules certaines régions l’ont intéressé : l’Île-de-France, berceau de sa lignée, la Bourgogne et le centre où Anne Pot, sa mère, avait des terres, la Normandie puis la Bretagne, sauf l’ Angoumois où sont sises les terres de sa femme, il n’a eu que peu de biens au sud de la Loire. Ses racines et ses intérêts se situaient dans la région parisienne, c’est pourquoi notre étude se limitera aux possessions de Île-de-France.

L'entreprise ne fut ni facile, ni rapide, il lui fallut, pour des raisons financières, procéder par étapes, et ses acquisitions s’échelonnèrent de son mariage à sa mort. Il lui fallut aussi supporter de nombreux procès.

Le résultat n’en fut que plus remarquable. : «Si l’on excepte les Princes du Sang, aucune famille du royaume ne possédait autant de domaines ni n’avait une clientèle de vassaux aussi vaste que les Montmorency...» (1).

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Les acquisitions en Île-de-France

Sa première tâche : rendre à la châtellenie ses limites anciennes.

Anne, désigné comme héritier en 1522, ne put alors compter que sur un fief amputé car son père, le baron Guillaume, avait du en céder une partie à ses deux frères aînés : Jean de Nivelle et Louis de Fosseux, fils d’un premier mariage. Troisième fils de Jean II, Guillaume n'aurait, en effet, jamais reçu le fief si ses frères n’avaient été déshérités pour avoir, lors de la guerre, qui mis aux prises Louis XI et le duc de Bourgogne, préféré se ranger aux côtés de ce dernier.

Ils tenaient de leur mère des terres de Flandre, (Wismes, Hornes) qui relevaient de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne et, plutôt qu’un héritage encore à venir, (la baronnie) la prudence «un tiens vaut mieux que deux tu l’auras» les avait incités à préférer garder leurs possessions flamandes.

Déchus par leur père de leurs droits sur le fief, ils n’en demeuraient pas moins membres de la lignée des Montmorency dont ils continuèrent à porter le nom . et les armes et, à ce titre, réclamèrent la part qui leur revenait du douaire de leur mère (2).

À la mort de Jean IT, Louis de Fosseux et les héritiers de Jean de Nivelle réclamèrent leur dû.

Guillaume conclut, en 1483, avec Louis, un accord qui laissait intact la baronnie : il lui céda l’hôtel que la famille possédait à Paris, le fief de la Tour au Bègue à Chaumont en Vexin et lui versa une rente confortable.

Par contre, la branche aînée, celle de Nivelle, refusa tout accord amiable et saisit la justice ; l’arrêt du parlement de Paris rendu en 1492, obligea Guillaume à céder aux héritiers de son frère le quart de ses terres et les droits seigneuriaux dont il jouissait dans la baronnie, à savoir : Écouen, Taverny, Saint Leu, le Plessis Bouchard et Conflans. Certes le centre du fief avec Montmorency lui restait acquis, mais cette perte de la partie occidentale fut durement ressentie par le baron qui, contraint et forcé, s’inclina mais affirma sa volonté de transmettre à son héritier le fief entier; tel que lui-même l’avait reçu.

L'occasion s’en présenta 30 ans plus tard.

La lutte sans merci engagée entre Charles Quint et François ler divisa à nouveau les Montmorency. Tandis que le descendant des Nivelle, Joseph de Montmorency, était sujet de l'Empereur, son cousin Anne, compagnon d’enfance du roi, servait les fleurs de lys. Après Pavie et sa captivité dans les geôles espagnoles, dont le tira le traité de Madrid négocié par Anne, François 1er confisque en 1527, les biens que Joseph de Montmorency, comte de Hornes, possédait en Île-de-France, et les offrit à son cousin. Prudent, celui-ci, qui craignait un nouveau procès, préféra négocier. Le comte de Hornes choisit plutôt que la confiscation pure et simple la cession de ses biens contre argent comptant.

La baronnie recouvrait son intégrité ; Guillaume avait, avant sa mort survenue en 1531, vu ses voeux exaucés.

Après 1527, une politique systématique d’achats permit d’accroître de façon notable les domaines d’Ile de France.

De son mariage, (1527), à sa mort, (1567), le Connétable a consacré 40 ans à «faire son pré carré».

Dans cette politique, plusieurs périodes peuvent être distinguées : celles où les achats furent importants alternant avec d’autres où, retenu par ses occupations militaires ou politiques, il sembla moins s’intéresser à ses domaines.

Dès 1527, après le rachat des terres du fief aux Nivelle, Anne qui n’était encore que le futur baron, vit ses possessions augmentées des terres constituant la dot de Madeleine de Savoie Monberon en Angoumois, Fère en Tardenois et surtout, en Île-de-France, le comté de Beaumont sur Oise et la seigneurie de Compiègne, don du Roi à sa cousine.

À cet apport non négligeable, s’ajoutèrent la même année les «espérances» que représentaient les biens que lui léguait son cousin Charles de Villiers, évêque et Comte de Beauvais. Il s’agissait de terres situées près de Villiers Adam et Villiers le Bel, dont il prit possession en 1535, à la mort du prélat.

La seconde période d’achats se situe entre 1541 et 1547 : le Connéable alors en disgrâce, consacra son temps à la Surveillance des travaux entrepris à Écouen et acquit des biens dans les environs.

Après 1551, enfin, quand la baronnie fut érigée en duché-pairie par Henri II, quelques acquisitions moins nombreuses eurent pour but de rendre plus homogènes les possessions du Connétable et de relier la région de Chantilly à l’Isle Adam et de là au Vexin. C’est autour de trois grands centres que fut créé cet énorme ensemble foncier. Le premier pôle fut la baronnie dans laquelle le Connétable voulut relier grâce à ses achats des terres jusque là séparées et constituer un ensemble cohérent. C’est ainsi que, au centre du même fief, Deuil et Epinay passèrent sous sa domination ; mais, c’est surtout vers l’ouest que, s’appuyant sur les bien légués par Charles de Villiers (qui lui permettaient de franchir l'Oise et d’étendre son influence dans le Vexin), il effectua le maximum d’achats. Aux seigneuries héritées : l’Isle Adam, Valmondois, Nesles la Vallée, Jouy le Comte et Livilliers, il ajouta après 1535, Epiais, Grisy, Valangoujard.

Plus tard en 1555, il acquit Longuesse et Vigny que lui céda le cardinal d’ Amboise; il s’agit d’un château construit en 1504 par le cardinal de retour d’Italie, ce fut l’un des tout premiers bâtiments de style Renaissance construits en France.

Vers 1450, les travaux entrepris à Écouen attirèrent son attention sur la plaine de France. qui devint son second centre d’intérêt; il yacheta alors les seigneuries de Villiers le Bel, Ezanville et Dumesnil Aubry (1544).

Le troisième pôle fut constitué par Chantilly et ses environs. Alors que le vieux château des Orgemont laissait place à une construction nouvelle, il étendit sa domination sur Senlis ( en partie), Montepilloy, Champversi, Courteuil etc.., renforçant ainsi son implantation dans l’actuel département de l'Oise où il détenait déjà détenait déjà les seigneuries de Méru achetée en 1536, de Mello héritée de François de la Rochepot en 1558 et Compiègne donnée à sa femme par François 1er.

Grâce à la forêt, il établit la liaison entre Chantilly et l'Isle Adam et de là avec ses possessions du Vexin et la baronnie. Ce sont, en effet, ces deux pôles : la baronnie agrandie et Chantilly avec ses dépendances qui constituèrent les bases foncières du «Duché Pairie» érigée par les Lettres Patentes du 2 juillet 1551, Écouen en étant exclue car ne relevant pas du Châtelet de Paris, donc du Roi.

Ainsi, donc, par legs et achats, le Connétable constitua l’importance assise foncière indispensable pour lui assurer prestige et richesse, lui permettre de faire construire deux des plus beaux châteaux de la Renaissance, Écouen et Chantilly et d’y recevoir avec faste le Roi et la Cour.

Ce puissant seigneur et grand mécène aimait beaucoup ses demeures d’Île-de-France. Peut-être regretta-t-il d’avoir à partager son temps entre la vallée de la Loire où séjournait la cour et ses autres châteaux: Fère en Tardenois ou Châteaubriant en Bretagne, où passa la Cour lors du grand voyage qu’entreprit Charles IX. Mais, à partir du moment où Henri II séjourna de plus en plus fréquemment à Paris, quand ses charges de conseiller du Roi et de Connétable le lui permettaient, il venait y chasser et se reposer loin du bruit et des soucis de la Cour jusqu’à ce que la nécessité le forçat à regagner son hôtel parisien.

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Les hotels parisiens du Connetable

Pour remplacer ses hôtels plus anciens, le Connétable fit ériger rue Sainte Avoye l'Hôtel neuf de Montmorency.

Tout grand seigneur et, à plus forte raison tout homme chargé d’une fonction à la cour, se devait d’avoir un hôtel à Paris, le plus près du vieux Louvre ou de l'Hôtel Saint Paul. Or Guillaume, nous l’avons vu, avait cédé l’antique demeure de sa famille à Louis de Fosseux et cet : «Hôtel vieux de Montmorency» situé dans l'actuelle rue de Montmorency resta propriété de la branche cadette jusqu’en 1627.

Où donc Guillaume, gouverneur de la Bastille, résidait-il à Paris ? Il avait le choix car sa mère lui avait légué l’hôtel d’Orgemont, une construction de la fin du XIVe, sis rue Saint Antoine, entre la rue Payenne et la rue des Ballets ; puis, il hérita du corps de logis et des jardins qui constituaient l’hôtel de la Rochepot, situé du côté sud de la rue Saint Antoine, près du rempart de Philippe Auguste, demeure particulièrement bien située puisque toute proche de la bastille.

À sa mort (1531), Anne, l’aîné de ses fils, reçut l’hôtel d’Orgemont tandis que le cadet, François, sire de la Rochepot, héritait de l’hôtel du même nom. Voici donc Anne, baron de Montmorency installé rue Saint Antoine dans l’hôtel d’Orgemont. Il y resta peu de temps François Ier lui ayant fait don de deux demeures confisquées à des financiers accusés de malversations. La première située rue de la couture Sainte Catherine (actuellement rue de Sévigné) avait appartenu au financier Legay ; la seconde confisquée à Lambert Maigret, trésorier de France, lui fut donnée en 1535. Anne acheta alors les maisons qui entouraient cet hôtel, les fit démolir et, sur l'emplacement circonscrit par les actuelles rues des archives, Braque, du Temple, fit édifier rue Sainte Avoye l' «Hôtel neuf de Montmorency».

I1 s’y installa en 1548 et résida jusqu’à sa mort (1567) dans cette demeure dont la décoration particulièrement soignée témoignait de son goût pour l’art de la Renaissance et convenait parfaitement au riche mécène devenu en 1551 duc et Pair de France.

Le Connétable avait, de son vivant attribué à ses fils, qui, mariés et chargés de fonctions importantes, avaient besoin d’une demeure parisienne, les trois hôtels où il ne séjournait pas. À l’aîné François, il céda l’hôtel de la Rochepot qui, lui, était revenu après le décès de son frère, décédé sans héritier, au second Henri de Damville revint celui de la couture Saint Catherine, tandis qu’à Charles de Méru, le troisième, était échu l’hôtel d’Orgemont.

À son décès, en 1567, François, devenu duc de Montmorency, s’installe rue Sainte Avoye ; Damville choisit l’hôtel de la Rochepot et céda, Méru restant à l’hôtel d’Orgemont, sa demeure à son plus jeune frère Thoré.

Cette répartition fut remise en cause quand disparut en 1579, François de Montmorency : Damville, nouveau duc, gagna l’hôtel ducal ; ses deux frères préférèrent garder leurs résidences habituelles et l’hôtel de la Rochepot, vacant, fut vendu par Madeleine de Savoie au cardinal de Bourbon qui y installa des Jésuites. Cette maison des profès, jouxtant l’église Saint Pierre Saint Paul fut ensuite détruite ; le lycée Charlemagne, créé en 1797, occupe actuellement l'emplacement.

Quant à l’hôtel de la rue Sainte Avoye, il resta propriété et résidence des ducs de Montmorency jusqu’en 1632, date à laquelle la décapitation d'Henri Il à Toulouse, mit fin à la branche ducale. Il fut ensuite vendu et finalement démoli en 1838 lors du percement de la rue Rambuteau.

Hormis Écouen, heureusement sauvegardé, peu de traces subsistent des biens possédés par le Connétable à Paris et en province : les transformations apportées par les propriétaires successifs, tels les Condé à Chantilly, les destructions révolutionnaires, le temps enfin ne nous laissent que peu de possibilités d’admirer son oeuvre de bâtisseur sauf à nous référer aux gravures et aux descriptions des contemporains. Le souvenir toutefois en demeure, et quelques villes, pour rappeler qu’elles furent à un moment donné, fief du Connétable, ont de nos jours, conservé dans leurs armoiries les alérions de Montmorency.

Jacqueline Rabasse

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Notes

(1) Liliane Crété : Coligny.

(2) Le douaire est l’ensemble des terres qui, selon la coutume de l’époque, est, lors du mariage, attribué à la femme pour, en cas de veuvage, lui assurer des revenus convenables; ces biens étant ensuite parta- gés entre les enfants.

Plan de paris en 1575
(L'hôtel de Sainte Avoye est marqué par un X)

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