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Aubergiste à Montmorency au temps du Roi-Soleil

Les auberges à Montmorency

Les auberges à Montmorency
1 à 4 : auberges, 5: auberge Hardebeuf.

La situation de Montmorency, à l’écart de toute grande route, ne paraît pas faite pour favoriser l'installation des grandes auberges-hostelleries dans lesquelles relayent les chevaux et les voitures des voyageurs, des postes et des marchands, comme celles qui existent à Franconville ou à St. Brice. Il ne faut cependant pas oublier que la ville est le siège de l’administration du duché et qu’elle possède depuis longtemps un important marché qui a lieu tous les mercredis. L'auberge est un lieu de rencontres. On y mange, boit et dort mais aussi on y discute d’affaires privées, de ventes, de mariages ; des disputes et des réconciliations s’y produisent. C’est dans l’auberge qu’on apprend et commente les nouvelles locales mais aussi celles de la Cour donc de la France. L’aubergiste est l’un des hommes les mieux informés du village, comme le notaire ou le curé, car les langues se délient en mangeant et en buvant.

Sur la place du marché, la même qu’aujourd’hui, les hostelleries sont à touche touche : le Cheval blanc, qui existait bien avant que les Leduc ne le rendent célèbre, fait face à la Croix d’Or et à la Fleur de Lys qui se jouxtent, pour ne citer que les plus connues. Leurs grandes enseignes attirent les chalands et chacune d’entre elles a ses habitués: marchands forains venant parfois de très loin, parisiens ou gens des villages voisins. Outre le mercredi, jour du marché, le va-et-vient est incessant grâce au tribunal du baillage où avocats, procureurs et huissiers accueillent une nombreuse clientèle.

Les auberges sont des constructions très importantes et celles de Montmorency n’échappent pas à la règle. À l’hôtel proprement dit s’ajoutent les écuries et remises pour les voitures et tout un ensemble qui permet de vivre en autarcie ou presque ; ainsi à la Croix d’Or : un premier bâtiment donne sur la place, on y trouve la cuisine et la grande salle au rez-de-chaussée, des chambres à l’étage, le grenier au dessus et des caves au dessous. Dans le prolongement, mais perpendiculairement car ouvrant sur la rue du Crucifix, un autre corps de logis donne sur la cour et contient d’autres chambres. Cette cour dans laquelle on pénètre par une haute et large porte cochère est fermée sur les deux autres côtés par une écurie, une grange, un cellier et une étable à vaches et, au milieu, se trouve l’indispensable puits. On trouve encore, à l’arrière, le jardin potager et fruitier, entièrement clos de murs et de haies vives, une pièce de terre le prolonge. N'oublions pas la basse-cour, qui permet de fournir la table en volailles.

Tous ces bâtiments sont couverts de tuiles alors que d’autres auberges, telle le Cheval Blanc, ont encore des toits de chaume.

L'aubergiste qui préside alors aux destinées de ce bel établissement s’appelle François Hardebeuf.

Les Hardebeuf ne sont pas originaires de Montmorency. Les parents de François, Pierre et Marie Chaunier, ont dû s’installer dans la ville vers 1630 et, en 1637, Pierre s’y remarie.

Quelques années plus tard, s’ouvre en France une période difficile : la Fronde (1648-1653) ; pendant cette lutte entre les Grands du Royaume et le Cardinal Mazarin, la région parisienne souffre beaucoup et Montmorency n’est pas épargné. Partout où passent les troupes, elles vivent sur le pays ; aux réquisitions de bétail et de vivres s’ajoutent les meurtres, les viols, pillages et incendies ; des témoins décrivent le calvaire des pays dévastés : en 1652, 425 décès contre 55 à 60 en temps de paix, illustrent le drame de cette époque ; et, quand la vie normale reprend son cours, le duché de Montmorency, possession du prince de Condé, rebelle, est confisqué par le Roi.

Bien que le pain soit cher et la misère grande, la petite ville relève ses ruines et les marchés reprennent. Au milieu des années 50, le prix du setier de froment se stabilise autour de 13 livres tournois (en 1650, il s’était élevé à 30 livres). Cette période de vaches grasses permet de faire des projets : il est temps pour François Hardebeuf de «prendre femme».

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La politique matrimoniale des bourgeois de Montmorency

Tous les marchands de la ville possédant une bonne situation cherchent à s’allier avec les officiers du baillage, soit en donnant à leurs fils une éducation suffisante pour acheter une charge ou un office dans une maison princière, soit en faisant épouser à leurs fils ou filles l’un des enfants de ces familles dont l’ensemble forme la bourgeoisie montmorencéenne. Elles se marient de préférence entre elles, la ville étant suffisamment importante pour y trouver les alliances voulues, mais, si besoin est, on cherche dans les villages proches : Groslay, Deuil, Domont, Andilly, on va même jusqu’à St. Denis et Paris.

Toutes ces familles ont généralement des attaches à Montmorency car il est essentiel de bien connaître la famille du futur conjoint, ses tenants et aboutissants et d’éviter si possible d’avoir à demander une dispense de consanguinité. Le summum est d’accéder à une union avec quelques familles qui s’arrangent entre elles pour conserver les principales charges du baillage ; les officiers du Châtelet sont aussi très recherchés ; enfin, devenir ou épouser un bourgeois de Paris marque le sommet de l’ascension sociale et consacre la réussite de la famille.

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Le mariage de l’aubergiste

François Hardebeuf est un «horsin», un étranger. Mais, s’il a des sœurs, il est le seul fils et son éducation a été soignée. Cela lui permet d’épouser le 5 février 1657, une jeune fille de Deuil : Madeleine Lefèvre, dont le père Jacques, est le premier garde de la porte du Roi, fonction très enviée car elle permet d’accéder à la noblesse. C’est une famille très connue car très nombreuse ; elle a étendu ses branches sur toute la région.

L'oyer
L'oyer ou rotisseur.

Cette union, inespérée pour François, a été rendue possi ble par la situation familiale du garde : Jacques Lefèvre qui a 5 filles à marier, s’est, après le décès de Denise Baudouin sa femme, remarié avec «une jeunesse» Marie Gillet, alors que seule l’aînée de ses enfants venait de convoler avec un marchand de Deuil. Cela le rend moins regardant quant à l’origine et à la situation de ses gendres.

Née le 28 juin 1634, Madeleine est âgée de 22 ans ; elle va, pendant près d’un demi-siècle, présider aux destinées de la Croix d’Or. Les femmes d’hôtelier jouent un rôle si important que si ceux-ci deviennent veufs, ils se remarient le plus vite possible.

L'auberge, comme on l’a vu par la description des bâtiments, est à la fois un hôtel, un restaurant et une exploitation agricole. Le jour du marché, l’auberge est ouverte de bonne heure, certains clients sont même arrivés la veille ; patron, femme, domestiques s’affairent. Le marché n’est pas seulement un lieu d’échanges, c’est aussi un lieu de rencontre, de flânerie et, pour le village, un symbole de stabilité. Le plus souvent, le paysan vient de loin, à pied, en sabots, le bâton à la main et la besace sur l’épaule tandis que la femme porte un panier sur la tête ; partis de nuit, ils repartiront de même. Les voitures à chevaux sont dételées à l’auberge où l’on donne à boire et à manger aux bêtes fatiguées pendant que la foule examine et marchande les objets exposés, écoute les boniments de l’arracheur de dents ou du charlatan qui offre le remède miracle aux vertus universelles et à l’action inefficace, ou s’arrête pour écouter le marchand de chansons.

À la mi-journée, c’est le coup de feu dans les cuisines ; ceux qui ne mangent pas sur le pouce s'installent aux tables d’hôtes puis retournent à leurs affaires car longues sont les discussions avant de parvenir à un accord qui sera passé dans l’auberge, devant un verre de vin du pays et au son du crin-crin qui fait danser la jeunesse à la fin de la journée. Au milieu de ce remue-ménage et de ce travail incessant, Madeleine, toujours active et l’œil sur tout, met au monde des enfants qu’elle n’a pas le temps de nourrir et qu’elle confie à des nourrices. Mais, le ménage est béni de Dieu : 7 enfants parviennent à l’âge adulte 5 filles et 2 garçons.

Ambitieux pour sa progéniture, François Hardebeuf surveille leur éducation ; maintenant que sa situation est bien assise, marier ses enfants devient son grand souci car, ils sont (surtout les filles) trop nombreux pour que tous aient la même possibilité de s’élever jusqu’à la bourgeoisie locale.

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Le mariage des enfants

Denise, l’aînée, va comme il se doit, convoler la première: en 1679, elle épouse Martin Delaistre, un marchand au magasin bien achalandé de marchandises variées que nous connaissons par l’inventaire qu’elle fera dresser en 1700 au décès de son mari.

Cinq ans plus tard, Marie Madeleine devient la femme d’André Lambert dont la famille a toujours exercé des charges au baillage. André ne fait pas exception; il est procureur. Grâce à ce mariage, la famille Hardebeuf grimpe d’un échelon dans la société locale.

Pourtant, quand Catherine se marie en 1686, elle épouse un simple cabaretier.

Les années se suivant mais ne se ressemblant pas, en 1689, François est bien fier en conduisant Anne à l’autel : le marié, Guillaume Le Laboureur, bourgeois de Paris, appartient à une famille très connue, au sommet de la hiérarchie locale : les Le Laboureur ont été baillis du duché.

Ne pouvant monter plus haut, la dernière fille, Françoise, doit se contenter d’un maçon : Étienne Duchesne.

Des deux garçons, Pierre, l’aîné, doit reprendre l’auberge paternelle, c’est donc le plus jeune, Jacques, qui reçoit une éducation lui permettant d’acheter une charge et d’accéder à une nouvelle situation : il est huissier quand en 1711, aprés le décés de son pére, il épouse Denise Noblet, fille d’un chirurgien, de vielle souche montmorencéenne, comme la femme de Pierre : Marguerite Guyard. Les horsins se sont bien intégrés.

À la mort de François, quelques années après sa femme, la Croix d’Or n’est pas reprise par Pierre car celui-ci, marié depuis 1695, s’est installé ailleurs ; Jacques, espérant acheter une charge d’huissier, c’est le gendre survivant Etienne Duchesne, le maçon, qui reprend l’auberge en 1708, pour la somme rondelette de 3150 livres.

J. Géninet

Évolution du prix du pain
Prix du pain (en livres tounois) de 1643 à 1660.

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