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La vie à Soisy sous Louis XIV d’après les déliberations des habitants

Les sources

De 1524 à 1685, puis de 1725 à 1733, Soisy-sous-Montmorency bénéficiait de la présence d’un «tabellion» (c’est- à-dire un notaire) local. Pour la période 1685-1725, un tabellion d’Anguien-Montmorency officiait pour Soisy. Parmi leurs minutes, figurent les procès-verbaux des Assemblées des habitants de Soisy et quelques actes assimilables. Pour la quarantaine d’années allant de 1659 à 1699, nous avons ainsi vu 21 procès-verbaux d’élections, 43 adjudications ou baux et 21 autres actes.

«Aujourd'hui, l'an 1674, le dimanche 23e jour de septembre, à l'issue de la Grand'messe, au son de la cloche à la manière accoutumée, a été faite l'élection de collecteurs par le procureur sindicq et le marguillier et la plus grande partie des habitants de la paroisse de Soisy, après avoir sonné ladite cloche...».

C’est sous cette forme que débutent les actes d’assemblée avec des variantes dûes notamment à la nature de celle-ci. La suite de l’acte dépend de son objet.

Quant au contenu, il ne donne jamais le compte-rendu des discussions à la différence de ceux de nos modernes conseils municipaux, ni le décompte des votes (sauf pour les élections). Les délibérations sont prises «d’une seule et commune voix».

Nous avons même la minute d’une assemblée qui ne s’est pas tenue. Les noms des présents sont restés en blanc, ainsi qu’un ou deux mots et il n’y a aucune signature. Pourtant le texte de la délibération y figure de bout en bout.

Les actes que nous voyons et l’assemblée «à l’issue de la messe» qu’ils mentionnent ne sont donc que la formalité finale et l’officialisation d’un processus que les sources soiséennes ne nous disent pas. Le tabellion devait lire «à haute et intelligible voix» la délibération préparée devant une assistance variable, inscrire dans les blancs les noms et le nombre de présents juridiquement nécessaires et recueillir leurs signatures.

Comparées aux actes ordinaires des mêmes tabellions, les listes de présents montrent qu’il s’agit de paysans, artisans, commerçants locaux «tous manants et habitants de Soisy». On ne voit jamais trace des possesseurs, nobles ou non, de la dizaine de fiefs que comptait Soisy, ni, sauf une exception (conflit avec les Oratoriens), des «bourgeois de Paris» qui y avaient l’équivalent de nos résidences secondaires. La raison en est fiscale : les assemblées ne réunissaient que ceux qui payaient la taille dans la paroisse. D'une part, les nobles et le clergé en étaient exempts, de l’autre, l’Île de France étant pays de taille personnelle, l’impôt était perçu au domicile des contribuables, donc dans la capitale pour les roturiers qui y avaient leur résidence principale. Leur nombre était donc fort réduit, comme nous allons le voir.

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Les élections

Elles concernaient trois fonctions :

Ces fonctions étaient annuelles et les titulaires changeaient à chaque fois.

Le nombre de votants est de l’ordre de 10 à 20. avec une exception à 33.

Le vote n’était pas secret et le procès-verbal indique le ou les noms donnés par chaque électeur. Il ne donne d’ailleurs que ces votes et n’énonce même pas le résultat, comme si la nomination relevait d’une autorité supérieure, au vu du procès-verbal.

Enfin, en 1699, le tabellion a fait émarger chaque électeur en face de son vote ou a noté : «a déclaré ne savoir écrire». Nous savons ainsi que cette année-là, ni le procureur sindicq, ni le marguillier ne savaient écrire. Cet art n’était donc pas requis pour ces fonctions, mais compte-tenu des méthodes pédagogiques de l’époque, ils savaient peut-être lire.

De toute façon, le fait qu’à quelques lieues de Paris, deux paysans aisés n’aient pas su écrire, donne une idée de l’analphabétisme rural.

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Les baux et adjudications

Ils sont faits à l'initiative du procureur sindicq pour les communaux ou du marguillier pour les biens de la fabrique.

Les adjudications concernent des herbes et des foins, les baux, l’exploitation des terres.

Ce sont les actes les plus simples. Le détail des enchères n’est pas donné, mais seulement le nom de l’adjudicataire, avec le prix. Ni les superficies des terres, ni les quantités de fourrage ne sont mentionnées. Mais leur nombre (50% des actes) suffit à montrer leur importance dans la vie locale.

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Les impôts royaux

Les «manants et habitants de Soisy», seuls contribuables, donc, de la paroisse, étaient assujettis à trois séries d’impôts : seigneuriaux (le cens etc.), ecclésiastique (la dîme), et royaux. Nos sources ne renseignent que sur ces derniers.

La taille

L'autorité supérieure fixait pour chaque paroisse le montant de cet impôt, laissant aux collecteurs la charge de le répartir entre les habitants et de le recouvrer. Ces collecteurs étaient responsables sur leurs biens personnels de toute la recette. Il n’existait aucune base (du genre par exemple des actuelles valeurs locatives cadastrales) pour permettre une répartition objective. Pour leur sécurité et leur tranquillité, les collecteurs avaient donc tendance à surtaxer ceux dont la richesse était la plus visible.

Enfin, si les collecteurs ne pouvaient faire face à leurs obligations envers le fisc royal, il y avait contrainte solidaire sur tous les contribuables de la paroisse.

Un tel système ne pouvaient qu’entraîner des conflits entre les habitants, si bien qu’il existait un tribunal fiscal spécial (l’Élection) auquel le taillable s’estimant lésé pouvait s’adresser.

De fait, les quelques délibérations à ce sujet sont des actes de procédure qui ne pourraient être correctement exploités qu’avec le dossier judiciaire. Telles quelles, elles révèlent en neuf ans quatre procès. Dans deux cas, (1675 et 1676) les plaignants ont gagné et les habitants se retournent contre les collecteurs fautifs. Dans un de ces cas, il est mentionné un rappel d’impôts sur les autres contribuables. Une troisième délibération (1682) simple pièce de procédure intermédiaire, ne donne pas d’indication sur le résultat. Enfin, dans le quatrième cas, la délibération fait en 1673 appel d’un jugement rendu en 1648, soit 25 ans plus tôt. On comprend que 131 ans plus tard, les auteurs du Code Napoléon aient prévu des délais de prescription.

La taxe royale de 1691

En 1691, en pleine guerre de la ligue d’Augsbourg, le gouvernement royal en est réduit à faire flèche de tout bois financier : suppléments fiscaux, dévaluation, coupes draconiennes dans les budgets, fonte du mobilier d’argent de Versailles, etc...

C’est ainsi que le 20 mai 1691, une assemblée est convoquée par le marguillier de Soisy. La fabrique a été taxée de 464 livres 15 sols (1) demandés par Sa Majesté suivant «le rôle qui en a été arrêté au Conseil du Roy le 3 janvier dernier».

La fabrique n’a pas assez d’argent pour payer. Deux personnalités locales offrent de racheter des rentes perpétuelles qu’elles versent chaque année à la fabrique. Monsieur Ledroit était propriétaire du fief de Soisy de la Chaumette, actuel quartier des fleurs entre l’avenue de Paris, l’avenue Jean-Jaurès, le Champ de Courses et l’avenue Kellermann. II rachetait une rente de 4 livres, 7 sols, 6 deniers et une seconde de 5 sols, le tout par un versement de 92 livres 10 sols.

Le second rachetait une rente de 3 livres 2 sols 6 deniers par un versement de 62 livres 10 sols. Cette rente correspond à une maison achetée aux héritiers de Louis Esdy, l’acquéreur ayant récupéré la rente avec la maison. Le taux de rachat était donc de 20 fois la rente.

Bien que la délibération ne le précise pas, il apparaît que le solde, soit 309 livres 15 sols fut prélevés sur la caisse de la fabrique.

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Les vignes du curé

Le curé de Soisy était mort vers fin décembre 1659 et l'intérim était assuré par Me François de Fillemain. Le 2 février 1660, ce prêtre, le marguillier et sept autres personnes nommément désignées «tous faisant et représentant la plus grande et sainte partie des manants et habitants de Soisy» comparaissent devant le tabellion pour s’entendre lire une requête du prêtre et «l'ordonnance étant au bas d'icelle donnée par M. le Bailly de Montmorency ou Monsieur son lieutenant … datée du 1er Février 1660».

Cette ordonnance permettait au desservant de prélever 30 livres pour l’entretien des vignes appartenant à la cure, somme répartie entre la fabrique (20 livres) et «les person- nes. nommées dans la dite requête» (10 livres). Il est probable que ces personnes sont celles citées dans l’acte à côté du marguillier.

Suivent leurs réserves. «Ils ne trouvent point qu'il soit raisonnable que les derniers d'icelle église seront employés à faire façonner les dites vignes appartenant à la dite cure». Puis ils expliquent que l’église a besoin de réparations pour lesquelles il faudra même emprunter, avant d’accepter de payer les 30 livres dont 8 avaient déjà été versées.

Enfin, l’acte fixe les conditions de paiement :

Pour comprendre le sens de cet acte, les premiers points à noter sont :

Le premier rend le refus de payer plus théorique que réel et le second met en évidence le souci de ne pas créer un précédent.

Notre acte apparaît donc moins comme le règlement d’un conflit que comme un accord pour faire face, en urgence, à une situation exceptionnelle, accord soumis à l’aval du bailli pour couvrir les intéressés.

On est donc conduit à penser que la mort du curé avait supprimé ou au moins gelé des ressources. II fallait donc trouver des fonds pour sauver les vignes et surtout la prochaine vendange pendant l'intérim.

Enfin, cet acte nous apporte deux informations :

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Réception d'un nouveau curé

Le 9 avril 1672, le curé d’Ermont procède à l'installation comme curé de Soisy de Michel François Provost, prêtre du diocèse de Coutances, avec la permission de l’archevéque de Paris et l’autorisation de l’archidiacre de Paris. Le curé précédent avait démissionné en faveur de Provost le 28 mars.

«Ce fait, le tabellion … a publié à haute et intelligible voix … la présente mise à disposition de la dite cure de Soisy au profit du sieur Provost à laquelle nul ne s'est opposé».

La cérémonie s’est déroulée en présence des curés d’Andilly et d’Eaubonne qui ont signé l’acte avec le marguillier et plusieurs habitants.

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Litige avec les oratoriens

Premier acte -- 28 mai 1673.

Le 28 mai, jour de la Saint Gernain, donc fête patronale de Soisy, tombait un dimanche. Le lendemain 29, à 8 heures du matin, M. de Launay, supérieur de l’Oratoire de Montmorency, entouré de plusieurs de ses prêtres, requérait le tabellion de Soisy de dresser un acte de notoriété des événements qui s’étaient déroulés la veille à l’église de Soisy.

Les prêtres de l’Oratoire s’y étaient présentés pour y célébrer la Grand-messe ainsi qu’ils avaient «roit et accoutumé de le faire en ce jour et l'avaient fait l'année précédente». Ils trouvèrent la grande porte fermée et, entrant par une petite, virent le «prêtre curé dudit lieu de Soisy chantant la Grand-messe quoique de ce jourd'huy, six heures du matin, ils lui avaient fait déclarer qu'ils la chanteraient ce jourd'huy (..) à l'heure accoutumée (...) et donner copie d'une sentence contradictoire» rendue quelques années plus tôt en leur faveur.

Les Oratoriens avaient préféré éviter un scandale bien que le curé, malgré leur opposition, ait donné la bénédiction «à un religieux cordelier qui était venu génuflexer devant lui avant qu'il monte en chaire pour y faire le panégyrique de Saint Germain».

Il s’agit là d’une pièce de procédure dans un procès en cours depuis un certain temps, et l’on ne peut vraiment l’apprécier en l’absence du reste du dossier. Il est quand même possible de faire quelques remarques.

Malgré la porte fermée, le curé ne chantait sûrement pas la messe dans une église vide, ce qui suppose un degré plus ou moins important de complicité des paroissiens.

De même, la présence du cordelier suggère que le curé pouvait compter sur certains appuis ecclésiastiques. Enfin, les Oratoriens savaient ce qui les attendaient, puisqu’ils avaient pris soin de faire signifier leur intention au curé dès l’aube.

Second acte -- 27 mai 1674.

Le même tabellion instrumente cette fois en sens inverse pour le curé, Messire Provost, à 4 heures de relevée à la sortie des vêpres. Dans cet acte de notoriété, le curé fait appel d’une sentence rendue le 5 mai par le bailli de Montmorency à la requête de l’Oratoiré.

Là aussi et sans l’ensemble du dossier, on ne peut apprécier l’affaire. Le point intéressant réside dans la liste des présents. C’est la seule fois qu’apparaissent les parisiens propriétaires à Soisy : «bourgeois de Paris» (et un d’Argenteuil), plusieurs avocats et un conseiller au Parlement, un commissaire à l’extraordinaire des Guerres (sorte d’intendant militaire). Leurs noms sont suivis d’un seul nom de paysan soiséen.

Visiblement, les noms qui comptent sont ceux des parisiens. S’il n’y avait qu’un avocat, ce pourrait être le défenseur du curé. Mais leur pluralité et la présence d’autres professions suggère que le curé a rameuté des notables dont la mention dans l’acte pouvait faire bon effet La justice de Montmorency relevait en effet directement du Parlement).

La fin de l’histoire.

Elle nous est donnée quelque 75 ans plus tard par un historien toujours apprécié de nos jours, l’abbé Lebœuf qui vers 1750, écrit que «le Curé paye redevance en grains aux Pères de l'Oratoire de Montmorency comme représentant le Chapitre de chanoines qui y était. Ces Pères, par le contrat de leur établissement de Montmorency, sont en droit de venir chanter les premières et secondes Vêpres et la Grand-messe dans l'église de Soisy le 28 mai, jour de Saint Germain».

Les Oratoriens avaient donc eu gain de cause.

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Les réparations de l'église

L'église de soisy s/s Montmorency
L'église de Soisy-sous-Montmorency.

Nous avons vu que déjà en 1660 l’église avait besoin de réparations, un emprunt étant même envisagé. Le problème financier ne dut pas être facile à résoudre car ce n’est qu’en 1668, puis 1673 qu’eurent lieu d’importants travaux.

Les travaux de 1668

La minute comprend trois parties, que l'on retrouve encore de nos jours dans les marchés de travaux : le descriptif, le procès-verbal d’adjudication et le contrat avec le soumissionnaire.

Le descriptif

Il comprend 19 «items» qui se résument ainsi :

Les matériaux sont, avec les tuiles, des cailloux et du plâtre. Les cailloux sont sûrement de la pierre brute non taillée. Les réparations ont donc dû être faites comme plusieurs vieux murs encore debout à Soisy, en gypse local maçonné au plâtre.

L’adjudication

Elle eut lieu le dimanche 22 avril 1668 à l’issue des vêpres. Les enchères démarrent à 480 livres pour finir à 360 au bénéfice de Sébastien Esdy, maçon à Montmorency.

Le contrat

Il a été conclu le 25 avril.

Sébastien Esdy est associé à son frère Jean et le contrat est établi solidairement à leurs deux noms. De plus, les deux frères ont fait marché avec Pierre Brongond, marchand plâtrier à Montmorency, pour la fourniture du plâtre. Ce Brongond étant l’un des concurrents de l’adjudication, on est en droit de soupçonner des tractations pendant celle-ci.

On trouve ensuite :

Les travaux de 1673

L’adjudication a eu lieu le 10 septembre 1673. Il s'agissait de refaire «un quartier et demi de la voûte du chœur», quelques petites réparations à un pilier attenant au choeur et une réparation de charpente ou plancher.

Le marché fut adjugé au maçon de 1668, Sébastien Esdy, pour 70 livres, la fin des travaux étant fixée «au jour Saint-Michel prochain» (29 septembre).

La modicité du prix et du délai indique des travaux d’assez faible importance. La comparaison des descriptifs montre que les parties de 1673 n’étaient pas concernées en 1668. On était donc satisfait du travail du maçon.

Enfin, le contrat est beaucoup plus bref, et se ramène presque uniquement «à la charge pour l’adjudicataire de garantir les dits ouvrages dix années entières». La garantie décennale figure toujours dans le Code Civil.

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Conclusion

La première constatation est que ces actes ne nous donnent qu’une vue partielle de ce que l’on appelle aujourd’hui la vie municipale. Ils ne touchent en effet que les aspects formels et juridiques sans aucune donnée sur les discussions qui les accompagnaient, ni sur les activités qui s’exerçaient sans officialisation écrite.

Néanmoins, ce que nous avons vu éclaire certains aspects de cette vie :

À l'inverse, rien n’indique un disfonctionnement dépassant le niveau des petites anicroches inévitables. Il semble donc que durant ces quarante ans, la vie soiséenne se soit déroulée normalement.

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Jean Roubault


Notes

(1) 1 livre = 20 sols : 1 sol = 12 deniers.

(2) Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, Réed.1883 (T.Lp. 631-633).

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