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François de Montmorency Laval, premier évêque du Canada

L'enfance, l'adolescence

Château de Montigny
Château de Montigny à Montigny-sur-Avre

C'est à Montigny sur Avre, dans le diocèse de Chartres, que naît en avril 1623, le jeune François. Son père, Hugues de Laval, seigneur de Montigny, Alaincourt et Revercourt est un lointain descendant de Mathieu II de Montmorency : (15 générations le séparent de Guy de Montmorency-Laval né de l'union de Mathieu II et de sa seconde femme Emme de Laval). Bien qu'il soit cadet d'une branche cadette, le sire de Montigny porte toujours le nom et les armes que Guy transmit à ses descendants : «d'or à une croix de gueules chargée de cinq coquilles d'argent, cantonnée de seize alérions d'azur».

Les ressources du sire de Montigny sont limitées et les enfants nombreux ! François, qui a 7 frères et soeurs est, comme beaucoup de puînés, destiné à l'église ; il entre donc à 8 ans au collège de la Flèche tenu par les Jésuites. À la mort de son père, en 1636, les difficultés financières sont telles qu'il est pris en charge par son oncle maternel François Péricard. Celui-ci, qui est évêque d'Evreux, le nomme chanoine de sa cathédrale (ce qui lui assure une prébende), lui trouve un remplaçant et l'envoie poursuivre ses études à Paris, au Collège de Clermont où elles sont gratuites.

En 1645, devenu par suite du décès de ses 3 frères aînés, l'héritier du fief, il lui faut choisir de rentrer dans le siècle pour perpétuer le nom ou de rester dans l'Église. Il hésite, prend le nom de Montigny puis, finalement termine ses études de théologie. Ordonné prêtre en 1647, il cède tous ses droits sur le fief à son plus jeune frère.

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Les premières années de sacerdoce

À Paris, l'élève des Jésuites a découvert le renouveau du catholicisme français si manifeste en cette première moitié du XVIIe siècle. Depuis 50 ans, en effet, l'Église de la Contre-Réforme (1) a fait porter ses efforts sur 3 points et les progrès sont sensibles .

Mais il aspire vite à autre chose : faire connaître le Christ à ceux qui l'ignorent. Il a gardé à Paris des amitiés fidèles et sa réputation de piété et d'austérité est connue y compris des responsables de la «Congrégation de la Propagande» qui lui proposent en 1653, de partir en Extrême-Orient. Le projet échoue. François de Montigny reste dans son diocèse mais-il pense toujours à l'évangélisation des pays lointains. Or, en 1658, l'envoi d'un évêque au Canada parait indispensable et c'est ce prêtre si peu courtisan «un esprit raide et inflexible» dira de lui Louis XIV, que le Roi accepte d'envoyer en Nouvelle France.

Les Jésuites, qui ont leur mot à dire dans le choix du futur prélat car ce sont eux qui, au Canada, assurent les Missions mais qui ne peuvent espérer voir nommer l'un des leurs, ont proposé leur ancien élève. Appuyée par le roi et sa mère Anne d'Autriche, la candidature est agréée par le Pape Alexandre VII qui le nomme vicaire apostolique de la Nouvelle France avec le titre d'évêque «in partibus infidelium» (2).

Monseigneur de Pétrée, tel est désormais son titre, se prépare au départ quand survient le premier obstacle : l'archevêque de Rouen, qui a eu jusqu'alors le Canada sous sa juridiction, fait opposition et refuse de consacrer le nouvel évêque. La cérémonie a tout de même lieu, à Paris, dans l'abbaye de St. Germain des Prés et c'est le nonce qui officie ! Ceci suscite une nouvelle «levée de boucliers», politique cette fois : l'archevêque et le parlement de Paris, des gallicans i.e. des partisans de l'autonomie de l'Église de France, dénoncent l'intervention de Rome et soutiennent le prélat normand.

Alexandre VII, à nouveau consulté, se contente d'affirmer que le vicaire apostolique ne doit trouver aucune limite à son activité épiscopale au Canada. Mgr. de Pétrée doit se contenter de cette affirmation ambiguë et, c'est dans ces difficiles conditions qu'il arrive à Québec le 16 juin 1659.

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La découverte du canada

François de Laval a certainement lu, avant son départ les «relations» que, chaque année depuis 30 ans, les Jésuites envoyent en France pour tenir leurs lecteurs au courant de la vie et des problèmes de la toute jeune colonie qui a tant de mal à survivre. Il a, sans doute aussi, interrogé ceux qui y ont vécu et s'est fait une idée de ce qui l'attend.

Le voici sur place : dans quel cadre lui faut-il vivre désormais et avec qui ? Québec, située au fond de l'estuaire du St Laurent, est une ville double : sur la falaise qui domine le fleuve se dresse «la ville haute» plus facile à défendre. Là, autour du fort St Louis, résidence du gouverneur, sont groupés l'église paroissiale, l'Hôtel-Dieu tenu par les Hospitalières, le collège des Jésuites et le couvent des Ursulines. En contre-bas, le long du fleuve, quelque 80 familles vivent dans le quartier du port où s'est concentrée l'activité économique. 500 à 600 personnes constituent la population de la «capitale» alors que la Nouvelle France ne compte, sur un territoire fort vaste aux limites mal définies (qu'y a-t-il au delà des grands lacs ? au nord et au sud du St Laurent ? ) qu'à peine 3 000 habitants.

C'est avec toute la pompe dûe à son rang que le nouveau-venu est accueilli, mais il ne tarde pas à découvrir combien sa tâche sera malaisée tant sont nombreux les problèmes que suscite son arrivée. Deux hommes représentent le Roi et se partagent le pouvoir : à l'Intendant revient en principe l'autorité civile tandis que le Gouverneur détient le pouvoir militaire ; mais, chacun cherchant à empiéter sur les prérogatives de l'autre, les conflits sont fréquents. Le gouverneur prétendant en outre avoir partout le premier rang, donc la préséance sur l'évêque, beaucoup de doigté sera nécessaire à Mr. de Pétrée pour s'imposer et faire respecter son autonomie.

Il lui faut aussi se faire accepter car ses pouvoirs sont contestés par le «grand vicaire» qui représente à Québec l'archevêque de Rouen, si bien que le clergé local attend pour savoir laquelle de ces deux autorités il lui faudra reconnaître. Et pourtant unir autour de lui ce clergé, mettant fin aux rivalités qui dressent les uns contre les autres Jésuites, Récollets et Sulpiciens est une tâche d'autant plus urgente qu'il n'existe que 25 prêtres pour enseigner, desservir les 3 paroisses existantes et assurer l'évangélisation des indigènes. C'est peu ! d'autant plus que les «sauvages» (c'est le terme usité à l'époque) sont nombreux et posent bien des problèmes.

Si les Hurons ont été dans l'ensemble bien disposés envers les colons après que Champlain ait su gagner leur amitié, il n'en est pas de même de leurs ennemis, les Iroquois, qui les ont presque tous exterminés et s'attaquent maintenant aux Français. De 1650 à 1656, dix Jésuites et de nombreux habitants ont été massacrés ; leurs attaques contre les fortins et les villages ont été si féroces et les moyens de défense des populations si insuffisants que l'on a un moment, en France, envisagé l'abandon de la colonie. En 1659, un calme précaire s'est établi mais la menace iroquoise reste redoutable, d'autant que leur agressivité est entretenue par «l'eau de feu» pour laquelle ils se sont découvert un goût immodéré. Mgr. de Pétrée estime donc que l'une des mesures à prendre d'urgence est l'interdiction de leur vendre de l'eau de vie mais cette prise de position, affirmée avec énergie, gêne les marchands qui troquent des armes et de l'eau de vie contre les fourrures que leur apportent les Indiens ; aussi s'opposent-ils avec force à l'évêque qui risque de porter atteinte à leur si lucratif commerce.

Habitué à vivre modestement, le vicaire Apostolique n'est rebuté ni par le climat ni par les difficiles conditions matérielles auxquelles d'ailleurs il s'attendait ; mais cet homme austère, venu accomplir une mission, est décidé à faire tout ce qui est en son pouvoir pour y parvenir. N'étant pas parvenu à un accord, difficile il est vrai, avec le gouverneur Mr. d'Argenson et n'acceptant ni l'opposition des marchands ni le manque d'empressement des clercs, François de Laval regagne la France en 1661, pour demander l'aide du maître du territoire : le roi Louis XIV.

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Louis XIV missionne Mgr. de Montmorency
Louis XIV envoie Monseigneur de Montmorency au Canada.

1663-1684 : deux decennies de labeurs et de combat

Vie de Mgr de Montmorency
L'enseignement, la création des paroisses et le soin des malades.

Le roi écoute favorablement ses demandes : il nomme un nouveau gouverneur Mr. de Mésy, envoie des troupes renforcer celles qui se battent contre les Iroquois dont les attaques ont repris en 1661, interdit la vente de l'alcool hors des villes et accorde une aide financière à l'église de la Nouvelle France.

De retour à Québec, Mgr. de Pétrée consacre toutes ses forces à organiser l'Église canadienne qui doit passer du stade de l'action dispersée, menée par quelques pionniers indépendants, à celui d'une activité structurée et organisée. Il lui faut donc contrôler les ordres religieux présents depuis une trentaine d'années, les encadrer et leur imposer ses décisions alors qu'ils sont habitués à agir seuls. Il faut également créer de nouvelles paroisses car la population augmente. Quelques églises sont construites qui s'ajoutent aux 10 édifices (7 de pierre et 3 de bois) qu'il a découverts en 1659. Mais le vrai problème est celui des desservants : les prêtres trop peu nombreux et dont certains résident obligatoirement dans la ville où ils ont leur collège, ne résident pas dans les paroisses. Groupés à Québec, leur camp de base, ils partent à deux visiter les différents villages, y séjournent quelques jours, baptisant et mariant les habitants puis reprennent canoë ou raquettes pour continuer leur longue tournée pastorale. Après plusieurs mois, ils se reposent à Québec avant de repartir pour une autre course aussi longue et épuisante que la précédente. Ce système permet à l'évêque de connaître les difficultés de ses fidèles d'autant que, lui aussi, se rend sur le terrain.

Pour augmenter le nombre des clercs venus de France et répondre aux besoins, Mgr. de Pétrée a, dès son arrivée, envisagé de recruter les futurs prêtres parmi les canadiens : la création d'un séminaire à Québec est l'un de ses objectifs ; le roi a donné son accord, reste à le construire ! Les problèmes financiers sont énormes : l'église canadienne est pauvre et la dîme, légère (1/26e de la production en général), (3) rapporte peu tant la population vit difficilement. Les ressources proviennent des subsides alloués par le roi (6 000 livres chaque année), de la somme prélevée par l'évêque sur ses propres revenus (1 000 livres) et d'aides ponctuelles comme les 2 500 livres données par les Jésuites qui, en attendant l'édification du bâtiment dont la première pierre ne sera posée qu'en 1678, assurent dans leur collège la formation des séminaristes.

Le second objectif de l'évêque est de développer l'enseignement primaire et technique car le Canada a besoin d'artisans, il fait ouvrir une «école des arts et métiers» qui s'ajoute aux écoles primaires tenues par les Ursulines, installées à Québec depuis 1639, et à celle que la Congrégation de Notre Dame vient d'ouvrir à Montréal. Les relations sont parfois malaisées entre ces communautés dirigées par des «maitresses-femmes» et l'évêque peu diplomate ; le même problème se pose avec les Hospitalières de Québec et Montréal.

Peu à peu, les conflits s'apaisent ; l'Église s'enracine et se développe si bien qu'aux yeux de Mgr. de Pétrée, le Canada n'est plus une terre de mission mais un diocèse ordinaire ; il rentre donc en France demander la transformation du vicariat apostolique en un évêché de plein droit. Son séjour sera long (1671-1675) car si Louis XIV appuie sa demande, l'archevêque de Rouen fait toujours opposition et Rome fait attendre 3 ans sa réponse. Cela laisse à François de Laval le temps de renouer avec ses amis, de trouver les appuis nécessaires à l'accomplissement de sa tâche notamment parmi les responsables de la Société des Missions Etrangères, fondée à Paris, peu après son départ. Mgr. de Laval, devenu évêque de Québec, pourra compter sur l'aide spirituelle et matérielle de la Société.

À son retour, il transforme l'église paroissiale en cathédrale, y crée un collège de chanoines, qui, faute de moyens, ne reçoivent aucune prébende, et lance enfin la construction du séminaire dont la direction est confiée non aux Jésuites mais aux Missions Etrangères. Il lui faut aussi, très vite, mettre fin aux conflits religieux qui, ayant repris en France (les gallicans soutiennent le roi dans sa lutte contre le pouvoir pontifical) se propagent dans son diocèse où les Franciscains-Récollets, gallicans, s'opposent aux Jésuites fidèles soutiens de la Papauté.

D'autre soucis apparaissent bientôt : le gouverneur Mr. de Frontenac entend, au nom du roi, contrôler la nomination des curés qui, selon le modèle français, résideront dans les paroisses et vivront de la dîme, ce qui, pour l'évêque est inadmissible ; la vente de l'alcool, qui n'a jamais réellement cessée, progresse à nouveau. À cela, s'ajoute la fatigue dûe aux tournées épiscopales ; Mgr. de Laval dont la santé commence à décliner doit songer a préparer sa Succession. Ayant légué tous ses biens au séminaire et confié le diocèse aux Sulpiciens, il regagne Paris en 1684.

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Évangélisation des indiens
Évangélisation des indiens.

1688-1708 : deux décennies de repos et de méditations

La désignation du nouveau responsable de l'église canadienne va demander 4 ans ! Les candidats sont peu nombreux et les qualités exigées exceptionnelles. Les mêmes difficultés sont à prévoir :

Ce dernier point étant d'autant plus actuel que Jolliet et le père Marquette d'abord, Cavelier de la Salle ensuite, viennent de descendre le Mississipi et sont en train de rattacher au Canada toute la plaine qui s'étend des grands lacs au Mexique : cette région qu'ils ont appelée Louisiane, en l'honneur du roi, relève en effet du diocèse de Québec.

Une autre complication est à craindre : François de Laval n'a pu se réhabituer à la vie que l'on mène en France : il a obtenu, non sans peine, la permission royale de retourner dans le pays si différent et si rude qu'il ne parvient pas à oublier. Quelle sera son attitude face à un successeur qui utilisera vraisemblablement d'autres méthodes que les siennes et peut ne pas souhaiter la présence, même silencieuse, de l'ancien évêque ? Se taira-t-il ? Manifestera-t-il son opinion bonne ou mauvaise ? Sa présence, quoiqu'il en soit, ne peut être que gênante.

C'est le silence qu'il choisit. Retiré dans une petite chambre du séminaire, consacrant son temps à l'oraison et aux soins des malades «Monseigneur l'Ancien» ne se permet aucune intervention officielle et ne témoigne pas de l'amertume que suscitent les changements apportés dans l'organisation du diocèse. Le nouvel évêque impose en effet le modèle métropolitain, celui que lui-même avait combattu, : toutes les paroisses ont désormais des curés résidants et relèvent du seul évêque et non plus du séminaire .

Sans doute s'est-il résigné, lui qui, dans un pays en pleine transformation, apparaît comme l'homme d'un passé révolu. Les paroisses sont passées de 5 à 35, les prêtres de 25 à 102 tandis que le nombre des religieuses hospitalières et enseignantes triplait et que la population quintuplait. 15 000 habitants au moins, constitués de jeunes nés sur place, (les familles nombreuses caractérisent déjà le monde rural de la Nouvelle France) et d'immigrants venus de Normandie, du Perche ou du Poitou etc. sont en train de mettre la région en valeur, ignorant le danger que représentent les colons anglais installés un peu plus au sud, en Nouvelle Angleterre.

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Le souvenir

Portrait de Claude Duflos
Claude Duflos, burin de 1708.

À sa mort, en 1708, quelle image la jeune génération garde-t-elle du prélat ? Celle de l'homme autoritaire qui a fait renvoyer 3 gouverneurs et dont les conflits avec les communautés religieuses ont, en leur temps défrayé la chronique ? Ou celle du missionnaire qui a tout sacrifié au Canada, est revenu y finir ses jours et grâce à qui s'est implantée l'Église .

C'est ce deuxième aspect que vont retenir les canadiens français quand leur pays sera devenu colonie anglaise. Pour garder, dans un monde anglo-saxon et protestant, leur identité qui repose sur la francophonie et le catholicisme, les habitants groupés sous la houlette du clergé catholique, vont exalter le rôle joué par les «pères fondateurs» notamment celui du premier évêque de Québec, chef de file de ceux qui ont créé le Canada français.

Une statue de François de Montmorency-Laval, érigée en 1908, se dresse aujourd'hui devant la cathédrale ; la base du monument est ornée de bas-reliefs qui commémorent l'oeuvre accomplie : mission, scolarisation et implantation des paroisses. De même, quand, en 1852, fut ouverte dans les bâtiments de l'ancien séminaire, la première université francophone, elle choisit le nom et les armes du fondateur de ce lieu ; c'est pourquoi les documents de l'Université Laval sont encore de nos jours, scellés des alérions des Montmorency et des coquilles d'argent des Laval.

Trois siècles se sont écoulés depuis le séjour de François de Laval. Son souvenir est toujours vivace dans la «Belle Province» qui, fidèle à sa devise «Je me souviens» et reconnaissante, a obtenu, en 1980, la béatification de son premier évêque.

Jacqueline Rabasse

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Notes

(1) La Contre-Réforme est le mouvement de remise en ordre et de lutte contre les abus qui apparaît dans l'église catholique à la fin du 16e siècle.

(2) évêque «in partibus infidelium» se dit d'un évêque dont le titre est purement honorifique .

(3) Dîme : impôt en nature levé sur les produits agricoles et destiné à l'entretien des bâtiments ecclésiastiques et du clergé, il est généralement d'1/12 ou 1/13ème de la récolte.

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