Les institutions de Montmorency à la veille de la Révolution
Montmorency est avant tout une communauté rurale telle que l’a définie
Marc Bloch dans les «limites d'un terrain, sujet
à diverses règles d'exploitation communes et surtout à des servitudes
collectives au profit d'un groupe d'habitants».
Sur cette communauté, trois pouvoirs s’exercent, en interaction
plus ou moins conflictuelle :
L'assemblée de village
Elle constitue le premier de ces pouvoirs. Elle a été
constituée longtemps par la réunion des chefs de familles,
vivant sur le territoire de la paroisse. Très vite toutefois,
elle a été dominée par les notables payant la Taille. À la
veille de la Révolution les Conseils des communautés
villageoises ont été réglementés dans les Pays d’élection et
donc dans le Vicomté de Paris'hors les murs dont faisait partie
Montmorency. Le règlement du 25 juin 1787 fixe le nombre et la
qualité des participants au Conseil. Ce sont :
Le Seigneur ou son représentant (membre de droit),
Curé de la paroisse (membre de droit) ,
Neuf membres élus (par les habitants de la paroisse
payant au moins 10 livres d’imposition).
L'Église
Elle constitue le deuxième pouvoir. Le Curé, en plus de son
influence, spirituelle, possèdait le pouvoir qui permettait
aux habitants du village d'exister légalement, l'État-Civil.
Bien que depuis 1695 plus rien ne lui en fit obligation, le
ministre du culte lisait au prône les ordonnances et avis
royaux et seigneuriaux. Il continuait à être considéré comme
celui qui éclaire les villageois Il prélevait la dîme
ou en touchait les revenus.
Le Seigneur
Maître de la Seigneurie, il constituait enfin le troisième pouvoir.
Il possédait la propriété éminente des sols, ce qui lui donnait
le droit de se constituer une réserve pour l'exploitation
directe, mais qui lui donnait également des droits sur les
habitants de ses terres.
Le premier de ses droits était évidemment celui de prélever des
impôts. Ceux-ci sont nombreux et se sont multipliés au cours
des siècles, droits de cens, de champart, corvées, banalités
etc . .. Tous ces droits seront abolis dans la nuit du 4 août
1789 comme «usurpés au préjudice de l’état
et imposés par la violence».
Le deuxième droit était celui de justice, il découlait du
premier et le protégeait. C'était celui auquel le Seigneur
tenait le plus car il affirmait son pouvoir sur les habitants
de ses terres et était lui-même à l’origine de profits. Depuis
les origines de la chatellenie, devenue baronnie puis duché,
les Seigneurs de Montmorency possèdent le droit de haute,
moyenne et basse justice. Cependant toute justice émanant du
Roi, celui-ci a toujours tenu à restreindre à son profit les
justices seigneuriales. Louis XIV a déjà réduit ces droits en
réunissant en 1674 au Chatelet, les justices de
l’Ile-de-France. De plus en plus se sont multipliés les «cas
royaux» que le Seigneur n'avait pas à connaître. Cependant,
comme nous l’avons dit, le pouvoir de rendre la justice était
le plus sûr moyen de faire rentrer les impôts qui accablent les
habitants de la seigneurie. Amendes, saisies immobilières,
confiscations diverses pleuvaient sur les récalcitrants. Par
contre en matière de justice criminelle c’était la justice
royale qui s’imposait de plus en plus.
Le Seigneur, le Prince de Condé à Montmorency, n'exerçait pas
personnellement, sauf exception, ses droits de justice. Il
déléguait son pouvoir à des officiers. Examinons le rôle des
principaux de ceux-ci :
Le Bailli
Sa fonction essentielle était de rendre la justice, de tenir
les assises, d'assurer la sécurité des habitants. Lui
échappent les «cas royaux» et également tout ce qui concerne le
clergé «Ce qui était donné. à Dieu ne pouvait être jugé que par
Dieu».
Nommé par le Seigneur, il doit présenter des aptitudes
professionnelles, vérifiées par un examen (la licence en
droit) et des stages. Comme pour tous les offices royaux, les
offices seigneuriaux étaient devenus vénaux. On peut donc
penser que le Baïlli avait à cœur de rentabiliser son
investissement initial et qu’il ne devait pas se contenter de
ses seuls émoluements.
L’étendue territoriale de la justice seigneuriale de
Montmorency nous est connue par un aveu de 1692, conservé
au Musée Condé de Chantilly.
«Premièrement à cause de notre dit duché et
paire d’Anguien, appartenances et dépendances d'icelui ; nous avons
tous droits de justice, haute, moyenne et basse dans notre
ville d'Anguien et dans les bourgs et villages de Groslay,
Saint-Brice, Deuil, Épinay, Soisy, Ermont,
Franconville-la-Garenne, Le Plessis-Bouchard, Saint-Leu,
Taverny, Saint-Prix, Margency, Moisselles, et Villaines, partie
du village de Belloy-en-France dans l'étendue du fief Gencien,
fief de la Motte sis à Stains, et dans les hameaux de
Poncelles, la barre Ormesson, Maugarny, la Briche. Cocquenard
et Grand Moulin de Garges appelé le moulin des Paillards et
terroirs des lieux et villages sis-dessus déclarés, et pour
rendre lad. justice et exercice d'icelle, nous avons officiers
dans lad. ville d’Anguien, bailli, lieutenant général,
procureur fiscal, et procureurs postulants, greffiers
d'audience et visitations et rapports d'experts et
sergents».
«Item nous appartient pareillement
toute justice à la réserve de la basse seulement dans les
villages et hameaux de
Sannois, Saint-Gratien, Eaubonne, Andilly Chauvry, Montsoult,
Piscop, Blémur, Le Luat, Montmagny, Villetaneuse, et terroirs
desd. lieux, à cause de lad. justice nous appartient tous
droits de justice et voiries dans tous les lieux ci-dessus
déclarés et dans toute l'étendue dudit duché»
(1).
Au XVIIe siècle les Le Laboureur vont exercer cette
charge sans autre interruption que celle de Jean
Mathas. Au XVIIIe, qui nous occupe ici, les Baillis
furent :
Jean-Baptiste Le laboureur, écuyer, seigneur
de Chateaumont, a succédé à Jean Mathas, et a quitté sa
charge en1718 ;
Nicolas Couet, avocat au Parlement depuis
1718, jusqu’au lendemain de la Saint-Martin,
1&thinsp,746 ;
Charles-Henry Ruel, avocat au Parlement, pouvu
en survivance au mois de juillet 1735,
lieutenant-général le 14 avril 1738, en exercice du
bailliage le lendemain de la Saint-Martin, 1746 et
Charles-Louis Desforges, bailli en 1785.
Le Lieutenant Général
L'autorité du Bailli s’appuyait sur un personnel relativement
nombreux. Le premier était le Lieutenant Général du
Bailliage. Il avait un traitement fixe qui correspondait
au 1/4 de celui du Bailli, id y ajoutait. des avantages en
nature qui devaient accroître de manière importante ses
revenus. Le Bailli était également assisté par des
procureurs eux-mêmes aidés par des substituts qui
en picoraient les restes...
Le Procureur Fiscal
Il était le défenseur des intérêts à la fois du seigneur et des
villageois. Il s’occupait de la bonne marche de la police et
pour cela avait la haute main sur les Sergents
(huissiers) et Commissaires de Police pour les basses
justices. Il contrôlait la perception des impôts du seigneur
dont il était souvent le régisseur. Au XVIIIe siècle les
procureurs fiscaux furent :
Jacques Mathas, pourvu en janvier 1685, décédé
en 1737, le 18 février ;
Jacques-Joseph Mathas, écuyer, avocat en
Parlement, son fils, depuis ladite année 1737 jusqu’au
31 décembre 1762 qu'il est décédé ;
Baudouin Cyprien Antoine, sieur de Montlouis,
avocat en Parlement depuis 1763, jusqu’à son décès le
12 février 1770 et
Me François-Michel Gobert, avocat
en parlement, pourvu et reçu vers le mois de mai 1770.
Le greffier
Le Greffier était également un personnage important. Il
siégeait au greffe (actuellement conseil des prud'hommes,
place de l’Auditoire). Dans la partie arrière de ce bâtiment
se trouvaient les cachots.
Pour conclure et illustrer ce que pouvaient avoir d’archaïques, les
droits du seigneur, dix ans avant la Révolution Française, nous
publions, ici, un texte qui nous a paru éclairant&bsp;: En 1779,
François Chartier, laboureur demeurant à Aulnay-ès-Bondi, homme
vivant et mourant des Religieuses Ursulines, établies à Paris,
Grande-Rue du Faubourg Saint-Jacques, se présenta devant
fean-Baptiste Sédillot, notaire général du bailliage d’Anguien, et
le requit de se transporter au logis de Me Charles Ruel,
bailli, et
de François Gobert, procureur fiscal, pour les instruire de l’acte
de foi et hommage qu'il devait accomplir comme mandataire des
Ursulines, pour leur fief Faverel, sis au Plessis-Gassot. Ils se
rendirent devant la principale entrée de la tour de l’ancien
château-fort de Montmorency.
Le sieur Chartier frappa du battant de la porte, se mit à genoux, tête
nue, et, par trois fois, demanda à haute et intelligible voix si Le Très Haut, Très Puissant et Très Excellent Prince
Monseigneur Louis-Joseph de Bourbon, Prince de Condé, Prince du Sang.
Pair et Grand-Maître de France, Gouverneur et Lieutenant général pour le
Roi en ses provinces de Bourgogne, d’Anguien et de Guise, était au
château, ou s'il y avait quelqu'un qui eut charge de Sa dite Altesse
Sérénissime de recevoir à la foi et hommage de leurs fiefs, et qu'il
était venu exprès audit lieu pour faire à Son Altesse Sérénissime
Monseigneur le Prince de Condé, les foi et hommage et serment de
fidélité qu'il doit et est tenu de faire en sa qualité d'homme vivant et
mourant pour raison du fief Faverel, sis au Plessis-Gassot, consistant
en 18 arpents ou environ de terre en plusieurs pièces(1).
Aux trois pouvoirs que nous venons d’énumérer, s’ajoutait celui
plus lointain du Roi que seuls les impôts rendaient véritablement
présent. Impôts soit directs (la Taille surtout mais aussi le 1/20
et bien d’autres), soit indirects (la sinistre gabelle, terreur des
populations par exemple) et les nombreuses taxes sur les vins (les
Aides) qui frappaient la principale activité économique de la
Communauté.
Voilà, donc, le survol d’une situation administrative dont la
complexité inextricable constituait un frein à la bonne marche du
royaume ; les élections des députés aux États Généraux
devaient mettre en évidence ces difficultés. Les institutions, trop
sclérosées, ne pouvaient plus se réformer il fallait donc changer
les institutions, ce sera la tâche première de la Constituante.