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La vie quotidienne à Montmorency

Le marché à Montmorency

Dès le Moyen-Age, des textes attestent de l’existence à Montmorency d'un marché le mercredi : au milieu du XVIIIe siècle, il prit une telle importance, qu'il se tenait non seulement le mercredi mais aussi le samedi. Le marché de Montmorency se tenait en plein champ et ne changea jamais de place : l’hôtel du Cheval Blanc, fondé par Leduc, en 1739, fut, longtemps la seule maison de la place.

La place du marché ou des «Ayons» n'avait jadis pour seul abri qu’une resserre pour les tréteaux et les planches (appelées aussi ayons) et ce n'est qu'en 1789 que les fariniers et les marchands de cochons offrirent au Prince de Condé de payer un sou de plus si on construisait une halle couverte : c'est ainsi que fut projetée la construction d'une halle sur la place du marché. Un document de 1789 constitue un excellent témoignage sur la manière d'établir un devis de construction à cette époque :

Devis des ouvrages de maçonnerie, charpente et serrurerie à faire pour la construction d'une halle projetée dans la place du Marché d'Anguien, laquelle halle sera exécutée suivant les plans, coupes et élévation cy jointe et suivant les détails cy dessous :

    Maçonnerie

    • Il sera fourni 10 «dez» (1) de pierre dure de bruyère de Chantilly ou à défaut, de pierre dure d’Arcueil en chaux, 17 pouces quarré de 4 pieds d'auteur. pour faire les poteaux de charpente.
    • Il sera fourni 11 bornes de pierre dure de bruyères de Chantilly posé aux endroits indiqués sur le plan, de chacune 9 pouces de gros à la tête et 15 pouces de gros au bas sur 3 pieds en haut taillé en forme ronde.
    • Il sera fourny 6 marches en pierre dure de chacune 5 pieds de long sur 15 pouces de large et de 6 pouces d'épaisseur. La dite maçonnerie sera faite et parfaite suivant les règles de l'art.
    Charpente
    • Il sera fourny 4 poutres servant d'extrait pour porter les faîtages de chacune 30 pieds de long.
      Toute la dite charpente sera faite en bois de chêne sec et de la meilleure qualité, assemblé suivant les coupes et profils et conformément aux règles de l'art.
    Couverture
    • La couverture sera faite en tuile de Bourgogne ainsy que les faitiers de la meilleure qualité en grand moule.

Aujourd'hui samedi 13 juin 1789, 10 heures du matin, par devant Maître François Michel Gobert, avocat au Parlement, procureur Général fiscal du Bailliage Duché Pairie d'Anguien par délibération du Conseil de S.A.S. Monseigneur le Prince de Condé du 20 mai dernier, sont comparus nombre de charpentiers, maçons et autres Ouvriers, tant de cette ville que des environs, qui ont été avertis par des affiches que nous y avons fait apposer, en présence desquels ayant représenté le plan et devis que nous y avons fait dresser des ouvrages à faire pour la construction d'une halle couverte sur la Place du Marché de la ville d'Anguÿen, avons déclaré qu'il allait étre présentement procédé par nous à l'adjudication au rabais des ouvrages mentionnés aux dits plan et devis.

... Ce après que personhe n'a voulu surenchérir et rabaisser nous avons jugé et adjugeons audit Jacques Sébastien Bridault, moyennant ladite somme de 4.420 livres qui lui sera payé, au moyen de quoi il s'est soumis par les présentes et s'oblige à l'entière exécution des clauses, charges et conditions de la présente adjudication.

Vu, agréé et approuvé et ratifié à Chantilly le 15 juin 1789.

Désormais, une grande halle servait de resserre aux farines et aux grains et une autre, au commerce de ces denrées.

Que vendait-on au marché de Montmorency ?

Des grains, des fruits, des tissus, des outils, des bestiaux, bœufs, chèvres, moutons et surtout des porcs. En effet, le commerce des porcs fut longtemps une des principales activités du marché de Montmorency.

Par les routes de Beauvais et de Pontoise, arrivaient les troupeaux de cochons destinés au marché du mercredi : puis les animaux non vendus étaient conduits au marché de Saint Denis par le chemin appelé alors «le Pavé aux cochon» (actuelle rue Saint Denis) ou bien à Poissy où se tenait le jeudi un marché très important.

À Saint-Brice, les marchands de cochons devaient payer un droit de passage qui fut en vigueur jusqu’à la Révolution. Afin d’y échapper, ils prenaient un autre chemin et passaient par Piscop, puis par la «Fontaine aux cochons», où ils lavaient leurs bétes afin de les présenter propres au marché de Montmorency.

Pour le commerce des porcs, des officiers spéciaux, les «langueyeurs», devaient s’assurer que les porcs n’avaient aucune maladie contagieuse. Le Prince de Condé avait droit de langueyage sur tout le duché : cette taxe s'élevait à 2 sols 6 deniers par bête et en 1774, ce droit rapportait 700 livres au Trésor Ducal.

Montmorency se trouvait aussi sur le «chemin de marée», itinéraire clandestin emprunté par les mareyeurs qui voulaient échapper aux droits de péage qu'ils devaient acquitter tout au long des grandes routes joignant Dieppe ou St Valéry à Paris. Ainsi un arrêt de 1764 élève à 16 deniers la taxe de chaque charrette de poissons passant à St Brice : il fallait ajouter 6 deniers pour le retour au profit du Prince de Condé.

Montmorency, hors des grandes routes contrôlées par la police royale, devînt ainsi un centre de stockage du poisson caché dans les caves creusées dans le sable. Ainsi, en 1759, trois jurés saisirent chez la veuve Des Forges 38 feuillettes de harengs, grande quantité de maquereaux, saumons, et morues salées destinés à être vendus aux halles au meilleur prix : elle fut condamnée à une amende de 500 livres.

La réglementation du marché était très stricte. Depuis le Moyen-Age, le droit d'établir des foires, d’étalonner les poids et mesures appartenait au seigneur : il fixait le poids et le prix du pain, il prélevait des droits de «layde» pour s’indemniser des frais d’entretien des halles et des charges de police : droits de layde sur les grains et droits de petite layde sur les autres marchandises.

Le bailli assurait le fonctionnement du marché, protégeait les marchands des malfaiteurs, traitait les cas litigieux éventuels et établissait les prix.

Le procureur fiscal vérifiait l’étalonnage des mesures en usage dans la vallée de Montmorency : l’arpent de Paris et l’arpent des Eaux et Forêts ; il décidait l’attribution des étalages : les tables et les tréteaux furent donnés à ferme en 1788 moyennant une redevance de 600 livres : quand la place manquait, les marchands pouvaient placer des tables et des bancs dans les rues alentour mais seulement les jours autori.sés par le procureur.

La taxe de «tonlieu» sur les étalages s'élevait à 2 sols 6 deniers, mais à un sol seulement pour les marchands ambulants. En 1781, cet impôt rapportait 800 livres au Trésor Ducal.

L’achat des grains était interdit aux boulangers de Paris sur le marché de Montmorency. Une ordonnance royale du 8 septembre 1737 défendait aux boulangers de Paris et de ses faubourgs d’acheter du blé dans un périmètre de 10 lieues à la ronde. Le procureur fiscal veillait à ce que le pain soit de bonne qualité et d’un poids conforme aux règles fixées sous peines très sévères.

Montmorency avait un marché très actif mais contrôlé très strictement comme les autres marchés de l’époque : le poisson devait étre frais et de «bonne mort», toutes les vivres dignes d’être appliquées «à corps humain» et aucune poulaille et laitage, vin et fruitage ne provenaient de l’oustel d’un ladre ni d’aucun lieu d’épidémie...

Mais les droits étaient considérables : tonlieu, droits de vente, de circulation, de passage, de mesurage, de pesage : le 2 avril 1787 une ordonnance de police du bailliage de Montmorency taxa le pain à des prix trop élevés pour l’époque.

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Montmorency en 1789.
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L'eau et les fontaines à Montmorency à la fin du XVIIIe siècle

D’après le cadastre du XVIIIe siècle établi sur ordre des Princes de Condé, le territoire de Montmorency était parcouru par 3 rûs, provenant des infiltrations pluviales du plateau des champeaux :

Les fontaines étaient nombreuses à Montmorency et parmi les principales, nous pouvons évoquer :

Mais ces nombreuses fontaines ne fournissaient qu’une eau peu abondante et de mauvaise qualité et nous laisserons deux témoins de cette époque livrer leur point de vue sur l’eau des fontaines et des puits de Montmorency.

Dans son «Mémoire sur la topographie régionale» (1782), le Père Cotte, curé de Montmorency et découvreur des qualités curatives des eaux d’Enghien, nous a dressé un très fidèle portrait de l’hydrographie montmorencéenne :

« "J'ai examiné au pèse liqueur de L. Deparcieux en 1772, les eaux de tous les puits de Montmorency, au nombre de treize, et j'ai pris l'eau de pluie, ou l’eau de rivière filtrée, pour terme de comparaison.

Il m'a paru qu'en général, la meilleure eau et la plus légère se trouvait dans les puits situés au haut de Montmorency, et par conséquent, dans le voisinage de la montagne qui borne la colline. Les puits creusés dans le bas contiennent l'eau la plus pesante et la plus dure. Je crois trouver la raison de cette différence dans la nature du terrain, que nous avons dit . . . être composé de sable et de glaise dans toute la partie qui avoisine la montagne, tandis que le bas de la colline est un banc de plâtre sur lequel l’eau coule ; et l'on sait que les eaux plâtreuses ne valent rien. On trouve aussi le plâtre dans les puits creusés au haut de la colline et à une très grande profondeur ; au lieu que dans la vallée, il s'y trouve presque à fleur de terre, et les puits y sont presque entiérement creusés dans la masse de plâtre.

Il en est de même des eaux des différentes fontaines qui se trouvent dans les environs de Montmorency, au nombre de neuf, je les ai soumises aux mêmes expériences.

L'eau des fontaines, qui coule au bas des Champeaux et dans le haut de Montmorency, est très légère ; elle dissout le savon et cuit bien les légumes mais celle qui coule au bas de la colline est pesante, dure, séléniteuse, en un mot, semblable, à peu de choses près, à l'eau des puits ; d'où il résulte que nous avons peu de fontaines dont on puisse faire usage. Celles dont l'eau est bonne sont peu abondantes ; elles le seraient davantage si on les creusait, et il serait possible, en réunissant toutes les sources qui se trouvent au bas des Champeaux, et en faisant usage aussi d'une mare d'eau qui se trouve sur les Champeaux mêmes, qui ne tarit jamais et dont l'eau est très légère, il serait possible, dis-je de former un réservoir dont on ferait venir l’eau à Montmorency ; mais la dépense qu'entrainerait une pareille entreprise na pas permis jusqu'à présent de l'exécuter. Les habitants de Montmorency sont obligés de boire habituellement une eau plâtreuse et séléniteuse, qui leur occasionne de fréquents maux de dents. Les personnes riches envoient chercher l'eau de Seine à Epinay ou à La briche, éloignés d'une lieue de Montmorency. Plusieurs recuéillent de l'eau de pluie, dont ils remplissent de grands pots à beurre dans lesquels ils la laissent déposer.

Toutes nos fontaines, en général, sont très peu abondantes et tarissent presque tous les ans l'été. Nos pauvres habitants ont bien de la peine à se procurer de l'eau dans ces temps de disette, et ils ne pensent qu'avec effroi aux terribles ravages que ferait un incendie, s'il avait lieu dans un temps où l'on n'a pas même suffisamment d'eau pour les besoins ordinaires.

Les femmes sont obligées, pour laver leur linge, de profiter de quelques petits amas d'eau pluviales qui se forment sur les Champeaux, dans les creux d'où l’on a tiré autrefois de la pierre ; l’eau s'y conserve longtemps parce qu'elle repose sur la glaise ; et ce sont vraisemblablement tous ces petits amas d'eau qui, en coulant insensiblement sur les lits de glaise dont les Champeaux sont formés, vont entretenir la mare dont j'ai parlé plus haut. L'eau en est toujours claire et limpide, on y pèche même de petits poissons.

Jean Jacques Rousseau dans ses Confessions, confirme le jugement du P. Cotte sur la mauvaise qualité de l’eau de Montmorency qui contribuait à délabrer sa santé, déjà assez chétive !

«Je vivais à Montmorency depuis quatre ans sans y avoir eu un seul jour de bonne santé, Quoique l'air soit excellent, les eaux y sont mauvaises et celà peut très bien être une des causes qui contribuent à augmenter mes maux naturels».

Il écrivit également au Maréchal de Luxembourg :

« Ce n'est pas pour moi une chose indifférente que de bonne eau et je me sentirai longtemps du mal que m'a fait celle de Montmorency».

La mauvaise qualité de l’eau était à l’origine de nombreuses maladies, tels les goîtres, maux de dents, et d'estomac.

D'autre part, cette eau peu abondante a toujours posé des problèmes de répartition et de nombreuses transactions opposèrent les propriétaires des fontaines et les habitants de la ville. Ainsi un texte de 1774 évoque les accords établis entre les habitants d’Anguien et M. Le Duc de Lauzun, à propos de la fontaine Saint Valéry :

Les habitants et la communauté d'Anguien jouissent conformément aux transactions des 20 juillet 1631 et 20 septembre 1649 de la fontaine appelée Saint Valéry et de deux sources qui en dépendent renfermées dans le parc de la maison située au lieu d'Anguien, dont la propriété appartient aujourd'hui en totalité à M. le Duc de Lauzun et l'usufruit à Madame la Maréchale de Luxembourg.

Quoique toutes les eaux de la fontaine et de ces deux sources soient exactement employées pour l'usage seul des habitants sans aucune distinction, et pour le jardin de la maison dont il s'agit, il arrive cependant que dans les années de sécheresse les eaux de cette fontaine ne suffisent pas aux habitants. Pourquoi il est fait représenter à M. le Duc de Lauzun qu'il y avait possibilité de remédier à cet inconvénient en accordant aux habitants la faculté d'user des eaux d'une autre source qui tombe en toute ancienneté dans un bassin qui est au-dessus d’un autre bassin, le tout appartenant aux seigneurs Ducs de Lauzun, hors du grand parc et séparé de celui-ci par la rue&nbso;:
que pour cet effet il serait nécessaire d'établir des conduits de plomb, de faire un réservoir pour recevoir les eaux de la dernière source dont il vient d'être parlé avec une ouverture dans le mur de clôture pour donner la facilité de puiser l'eau.

À quoi le dit Seigneur Duc de Lauzun déférant pour l'effet seul de sa bonne volonté pour procurer à la communauté d'Anguien une abondance plus considérable d'eaux et lui faciliter les moyens d'en faire usage selon ses besoins, a consenti et consent de lui donner l'usage des eaux dont il s'agit et, à cet effet, de faire construire tous les ouvrages qui sont nécessaires pour l'établissement d'un réservoir, mais à condition :

  1. qu'il pourra disposer comme bon lui semblera du superflu des eaux et faire construire en tel endroit qu'il jugera convenable, se soumettant à n'en pouvoir faire usage au préjudice de l'utilité des habitants.
  2. que la communauté d'Anguien fasse faire seulement la voiture de tous les matériaux nécessaires pour la construction, se chargeant le dit Seigneur de Lauzun de payer le prix des matériaux et de la main d'œuvre l'entretien étant à la charge de la communauté.
  3. que la dite communauté continuera en outre à jouir comme par le passé de la fontaine Saint Valéry, mais sans pouvoir dans le cas de disette d'eaux en faire plainte ni recherche, à moins que le cours n'en fut intercepté par le fait du propriétaire de la dite maison.
  4. qu'il sera fait une délibération par la dite communauté où elle fera mention du présent exposé et des conditions auxquelles M. le Duc de Lauzun s'est prêté aux vœux des habitants, lesquels accepteront des conditions.

Copie de laquelle délibération en bonne forme sera remise au Seigneur Duc de Lauzun.

Nous voyons qu’à la veille de la Révolution, Montmorency n'était guère favorisée par la nature en ce qui concerne son approvisionnement en eau et les fontaines étaient à l’origine de conflits permanents.

Élisabeth Pochon

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Notes

(1) «dez» :ancienne mesure.

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