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La vigne à Montmorency au XVIIIe siècle

C’est le vin et non les cerises qui, dès le moyen-âge, a fait la renommée de notre commune. Ce fait peut, de nos jours, surprendre ; mais la présence de vignobles sur nos coteaux est attestée par de nombreuses sources (1)

Des vignobles à Montmorency. Pourquoi ?

C’est pour répondre à la demande du clergé d’abord, puis à celle toujours croissante des seigneurs et enfin à celle des habitants de la capitale que la viticulture s’est développée depuis l’époque carolingienne au nord de la Loire en occupant peu à peu les coteaux de la rive droite de la Seine. Ces terres peu propices aux céréales mais bien exposées au sud-sud-est présentent des conditions climatiques (hiver peu rigoureux, gelées point trop tardives) favorables au développement des vignobles. Ceux-ci s'étendent alors de Pierrefitte au Plessis-Bouchard, en couvrant tout le flanc sud du coteau, notamment à Deuil, Groslay, Montmorency et Soisy.

Pourtant, de nos jours, 4 lieux-dits seulement rappellent cette activité :

Le plan du prince de Condé fournit quelques indications supplémentaires : il y est fait mention de «la reine des vignes» dans le quartier des Basserons, du «petit clos» près de la sente du Luminaire et enfin du «grand clos» au nord de «l’étang vieux» ce qui correspond à la rue des Basserons au nord de l'actuelle place Ch. Lebrun.

Où ces vignobles se trouvaient-ils ?

Nous connaissons, grâce à «l'État de situation du terroir d’Enghien»(2), dressé en 1785 à là demande de l’Intendant, la localisation de ces vignobles.

Une première zone se situe dans la plaine, au pied de la butte où se dresse la collégiale ; le vignoble de «la pointe de la Barre» y occupe à l’est 48 arpents (3) tandis que, des Chesneaux par les Loges et la Pointe Raquet, le plus important de nos vignobles (66 arpents) s'étend jusqu’à Soisy.

Plus au nord, se trouvent les vignes du coteau au vin réputé ; à l’est, dans le prolongement du Clos de Paris (alors sur Groslay) elles couvrent 53 arpents aux Engoulevents, aux Gratins, et par les Mathouzines atteignent Saint-Valéry. Au-delà de la butte commence le vignoble le plus réputé, celui qui s'étale sur 57 arpents aux Carrières, aux Basserons et sur le fief du Try.

Enfin, au nord du rû d’arras (sic) un dernier vignoble, plus limité (25 arpents seulement) occupe le versant menant vers l'Ermitage, les Longues Rayes et les Rougemonts.

En 1785, sur un terroir de 1619 arpents, les vignes en occupent 268, c'est-à-dire 92 hectares soit 16,5 % de la superficie de la commune, ville comprise. Les terres labourables occupant 583 arpents et les bois 434, les vignobles représentent presque 1/3 de la surface cultivée, ce qui est considérable.

Montmorency au XVIIIe siècle.
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Qui possède ces vignes ?

L'Assemblée Constituante ayant décidé en 1790 de remplacer la fiscalité d’Ancien Régime par le système plus précis, donc plus juste, de la contribution foncière, en a fait établir les cotes. Quelques-unes, conservées dans les archives municipales, indiquent ce qu'était en 1790, la répartition des terres dans 4 des 8 sections de Montmorency(4).

Ces renseignements, bien que moins précis que ceux de 1785 car les superficies parfois, la nature des cultures souvent, ne sont pas indiquées, permettent de constater l'importance des propriétés religieuses et l’émiettement de la propriété villageoise.

À chaque génération, la vigne familiale est partagée et devient souvent une parcelle exiguë.

Dans la section A (la ville) : la superficie varie de 2 à 55 perches (3) et sur 39 cotes, 13 ont moins de 10 perches.

En D (l'étang) sur 36 parcelles de 1 à 233 perches, 10 ont moins de 20 et 12 plus de 100 perches; quant à Soisy, section E, la superficie varie de 3 à 250 perches.

À cette parcellisation s'ajoute l'extrême dispersion de ces parcelles. Ainsi André Mazurier en 1790 exploite des terres labourables et des vignes réparties comme suit :

Ces micro-propriétés n’appartiennent pas aux seuls vignerons de Montmorency.

Par héritage, en effet, beaucoup de vignes sont passées entre les mains de viticulteurs de Groslay et surtout de Deuil. Le fait est évident sur la Barre : sur 240 cotes foncières, 80 (soit un tiers) appartiennent à des étrangers et 60 (soit le quart) sont détenues par des vignerons de Deuil ; il en est de même à l’Étang : 14 cotes et encore en ville : les propriétaires de 9 des vignes recensées habitent à Deuil.

Autre catégorie de micro-propriétaires : les enfants de vignerons qui ont quitté la paroïsse pour travailler à Paris, à Saint-Denis ou dans les communes avoisinantes. Ils ont conservé quelques pieds de vigne mais ils les louent, ce que font aussi les veuves, incapables de s’occuper elles-mêmes de leurs biens.

Tandis que la propriété villageoise diminue régulièrement, se constituent de vastes parcelles, propriétés de la bourgeoisie locale. Ainsi Me Caffin, avoué, (il sera maire en 1805) détient 141 perches de vignes, le plus gros propriétaire étant le sieur GOIX, Commissaire de la marine, qui, outre son domaine (l’actuel Hôtel de Ville) a acquis 3 arpents 20 de vignobles.

Cette propriété bourgeoise est parfois entre les mains de non-montmorencéens ; les notaires, les hommes de loi, les gros marchands de Deuil, de Groslay et même de Senlis (tel Me Watin qui possède 275 perches de vignes en ville et vers la Barre) semblent trouver rentable cet investissement à moins qu'ils ne veuillent simplement produire eux-mêmes, en louant leurs vignes bien sûr, leur vin de l’année.

Mais n'oublions pas les ordres religieux. Sur les seules 4 sections connues, ils possèdent 2785 perches.

Dans le secteur de la Barre, les Mathurins (5) ont 2 pièces de vignes dont la superficie n’est pas mentionnée ; les Oratoriens (6) quart à eux, en possèdent 14 arpents 18 perches et sont de loin les plus gros propriétaires avec presque le tiers de ce vignoble (14 arpents sur 48).

Vers les Loges et les Chesneaux, les Oratoriens n'ont que peu de choses (150 perches en deux pièces) : par contre, l’Hôtel-Dieu est fort bien représenté..

Au total, 26 arpents au moins appartiennent aux ordres religieux installés dans la paroisse, savoir : 20 arpents à l'Oratoire, 3 aux Mathurins, 2,70 au Temple, l’'Hôtel-Dieu se contentant modestement de 48 perches.

D’autres communautés ont des vignes. Les ont-lles acquises ? Leur ont-elles été données par les seigneurs de Montmorency ou par des paroissiens ? Toujours est-il que figurent sur les cotes : le prieuré de Deuil (60 perches), la Fabrique de Deuil (25 perches) la Fabrique de Soisy (12,5) et même la Fabrique de Saint Nicolas de Gonesse (72,5) perches) (7).

La politique de rachat des lopins que pratiquent bourgeois et communautés religieuses pour constituer de vastes parcelles d’un sul tenant, n’est possible que dans la plaine, vers la Barre (mais les vignerons de Deuil se défendent bien) et vers les Loges. C’est là que se trouvent les plus vastes parcelles : 250 perches au sieur Goix, 125 à la Demoiselle Gillet, 100 au Temple et à l'Oratoire.

Outils de vigneron.
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Un fait est à noter : le développement dans cette plaine de cultures nouvelles : luzerne et asperges vers la Barre, vergers dans le secteur des Loges ou 195 arpents sont plantés d’arbres fruitiers ; l'arboriculture remplace la viticulture, car, sur les cotes foncières la mention «vignes» a souvent été rayée et remplacée par «arbres».

Vers les Basserons et le Try, dans la section nommée Soisy, la propriété villageoise est plus forte. Certes, l’Oratoire y possède 6,5 arpents mais les vignes sont mieux réparties entre des propriétaires assez variés : on y trouve des vignerons bien sûr, mais aussi des aubergistes comme Leduc, du Cheval Blanc, ou Laforge de La Bouteille ; un avoué Me Caffin, un marchand de bois etc. .,. c’est qu’il s’agit là d’un terroir réputé dont le vin est apprécié, les vignes convoitées, si bien que l’on n'hésite pas à agrandir son champ, en empiètant sur le terroir communal, comme l’indique le procès-verbal suivant : (8).

«Les soussignés Louis Caffin, maire de la commune de Montmorenci, stipulant les intérêts des habitants et François Laurent Leblond, couvreur, demeurant au lieu dit, s'étant transportés aujourd'hui à l'endroit du carrefour du puits, de l'aqueduc et de la fontaine de Basseron ; il a été remarqué que le dit sieur Leblond, propriétaire d'une pièce de vigne attenant ledit carrefour, .. s'est permis de défricher 66 ca de terrain ... dont la commune a toujours eu la possession et d'incorporer ce terrain à sa pièce de vigne par le moyen d'une haie d'échalas qu'il a fait planter à cet endroit et tout le long, en descendant jusqu'à la fontaine».

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La viticulture : un travail minutieux aux résultats aléatoires

Dans la région parisienne, c’est surtout par marcottage que la vigne est plantée (les sarments couchés en terre y prennent racine puis sont séparés du pied-mère et replantés ailleurs) (9). Le travail est minutieux et s'effectue grâce à la main d'œuvre familiale sur des parcelles exiguës, (les vignobles étant partagés à chaque génération), parfois des légumes sont cultivés sur les ados. Les champs ne sont pas clos ; seuls le sont ceux qui, plus vastes, appartiennent à des bourgeois ou à des communautés religieuses. Le travail est surtout le fait des hommes mais les femmes y participent, en assumant des tâches bien précises telles l’ébourgeonnement et, lors des vendanges, la coupe des grappes.

Les différents travaux se suivent tout au long de l’année, selon un calendrier que nous indique le Père Cotte (10) : « en février on procède à la taille ; fin mars un premier labour aère le sol ; en mai les hommes lient les ceps aux échalas de châtaignier (9) tandis que les femmes enlèvent les bourgeons superflus : en juin, survient le second labour (binage) suivi d’un troisième en juillet ; puis en août, c’est l’effeuillage qui doit permettre aux grappes de recevoir le maximum d’ensoleillement, améliorant ainsi la qualité du vin. Enfin, fin septembre se font les vendanges pour lesquelles on a besoin d’une abondante main-d'œuvre ; celle-ci est généralement constituée par la famille, les amis et, si nécessaire, des saisonniers».

Mais les résultats ne correspondent pas toujours aux espérances tant les conditions météorologiques sont contraignantes et variables. Quels sont donc les risques encourus ? les gelées d'hiver, de printemps, de mai quand les vignes sont en fleurs, ou même d’automne avant les vendanges : le temps froid et humide en mai qui empêche la fécondation «la fleur coule» et n’assure qu'une très médiocre récolte ; le manque d’ensoleillement en juin qui provoque une maturité tardive et donc une récolte limitée et de faible qualité ; la grêle enfin qui est toujours a craindre.

Certes, ces calamités ne surviennent pas toutes ensemble, ni trop fréquemment, mais les vignerons se transmettent le souvenir d'années catastrophiques, tel l'hiver de 1709 si froid que non seulement la Seine mais aussi le Rhône ont gelé et qu’il n’y eut de récolte ni en 1709 ni en 1710. Autre année mémorable : 1740 : a un très long hiver succédèrent un été froid avec de la neige en juin, des gelées en juillet et un hiver précoce, il neigea en octobre et le raisin n'étant pas mûr, il n’y eut pas de ban de vendange, chacun sauva ce qu’il put, quand il le voulut (11). Quant à l’année 1771, elle fut, si l’on en croit le père Cotte, des plus médiocres :

«La récolte de vin a encore été des plus mauvaises ; la vigne avaït souffert des gelées de février et d'avril ; la fleur a duré fort longtemps de sorte qu'il y avait en même temps des grappes qui n'étaient point en fleur, d'autres en fleur, et une autre partie en verjus. Les chaleurs qui sont venues en juillet ont bien fait, mais le verjus fut attaqué alors par une espèce de ver qu'on appelle gribouri. La fin du mois de septembre ayant été froide, le raisin n'a pas bien muri ; on espère cependant que le vin aura plus de qualité que celui de l'année dernière : la récolte n'a été qu'à un tiers d'année commune»(12).

L'automne survenant, il faut vendanger. Les outils sont simples : serpettes, hottes en osier portées sur le dos, bachoues paniers en osier ou en bois que lon pose sur le dos des ânes pour porter les grappés au pressoir. Les vendanges se font générale- ment dans les premiers jours d'octobre mais peuvent varier de la mi-septembre (en 1806 22 septembre) à la mi-octobre (17 octobre 1805) selon que le soleil a suffisamment ou non mûri les grappes. Mais, en aucun cas, elles ne peuvent commencer avant que le seigneur qui décide de leur date, ait fait proclamer à son de caisse le «ban des vendanges». La date en est impérative : tout contrevenant est jugé et condamné à une forte amende, et pour éviter les maraudeurs, les vignes sont gardées, la police du bailliage est en alerte.

«Enjoignons à toutes personnes qui possèdent dans cette ville ou dans les villages de ce duché, des héritages en vignes, de garder les portes de cette ville et des villages au temps que le raisin est en maturité et sur l'avertissement qui leur sera donné par le syndic de la paroisse, comme aussi de tenir fermées les portes de derrière de leurs jardins et clos, à peine de 20 livres d'amende contre chaque contrevenant. Enjoignons aussi aux syndics et messiers de cette paroisse de tenir exactement la main à l'exécution du présent article»(13).

C’est après les vendanges que les pauvres peuvent récolter ce qui a été oublié, mais seulement à la date permise et légalement annoncée par le «ban de grapillage».

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Le vin : qualité ou quantité ?

Jusqu'au début du 18ème siècle, les cépages sélectionnés sont des «cépages nobles» : Pinot, Meunier (qui coule peu et mûrit vite) et Meslier ; ils donnent du raisin blanc (14) et un vin qui, bien que ne se conservant que jusqu’à Pâques, est apprécié. Ne dit-on pas que le Connétable Anne, gouverneur du Languedoc, se faisait envoyer du vin de ses pressoirs montmorencéens ! (15). Il est vrai que c'était au XVIe et que les vignobles languedociens ne constituaient pas alors «l'océan de vignes» actuel.

Après le rude hiver de 1709, il fallut remplacer les vignes gelées. Tandis que les coteaux conservaient leurs cépages traditionnels et, ce, jusqu’à l'époque où le Père Cotte put les voir et les décrire : «Presque toutes les vignes sont plantées en raisin blanc parce qu'on a remarqué qu'il réussissait mieux et qu'il durait plus longtemps que le raisin noir ; mais aussi le vin qu'on en tire a bien moins de qualité que celui du raisin noir ; parce que le blanc ne murit jamais parfaitement»(16). Dans les terres lourdes et grasses de la plaine, la replantation se fit en gamay noir ou bien avec un raisin d’Espagne dit : noireau ou teinturier qui donnait en grande quantité un vin de médiocre qualité mais très demandé ; c'est que la mode avait changé, les consommateurs préféraient les vins rouges et comme les impôts sur le vin avaient considérablement augmenté, on s'orienta vers la production de ce vin de qualité inférieure mais rouge et que l’on pouvait teinter avec le noireau ou même avec des baies de sureau que l’on y faisait macérer.

La vinification connut, de ce fait, des changements et nécessita, au 18ème siècle, un matériel encombrant et onéreux (11).

Tant que l’on n'avait fait que des vins blancs, il avait suffi de presser les grappes et de mettre le moût en tonneaux ; le vigneron n'avait alors besoin que de tonneaux, il les faisait d’ailleurs durer le plus longtemps possible car les tonneaux neufs valaient cher. Quant au pressoir tout un chacun devait utiliser le pressoir banal qui, comme le four et le moulin, était le symbole du pouvoir seigneurial.

Deux textes attestent l’existence, dès le 12e siècle, des pressoirs banaux dans la baronnie. En 1182, Bouchard V donne annuellement aux religieux de Domont 2 muids (17) de vin à prendre dans ses pressoirs de Montmorency tandis qu'en 1229, Mathieu II exempte les moines de St Victor de «porter le marc à mon pressoir» (15). Les siècles passant, le pressoir banal fut généralement affermé, le seigneur se contentant de percevoir une somme fixe, correspondant au montant de la ferme. En fut-il ainsi dans notre ville ? C'est vraisemblable car les deux pressoirs installés dans le centre-ville en 1790 sont la propriété de deux gros vignerons : Aubain Daunard et Jacques Sébastien Bridault propriétaire de vignes et marchand de bois (18).

Outre les tonneaux personnels et le pressoir à usage collectif, les vins rouges nécessitaient des cuves, aussi vit-on apparaître, dès le milieu du 18e siècle, des cuves en bois de chêne, cerclées de frêne, volumineuses (elles contiennent de 8 à 12 muids) dans lesquelles après avoir foulé le raisin, on laisse fermenter le moût à l’abri de l’air. On obtient alors le «vin de goutte» qui, en tonneaux, sera enrichi du vin tiré du marc porté au pressoir, ce dernier se conservant mieux (14).

Les tonneaux fermés, une deuxième fermentation a lieu et fin octobre le «vin nouveau» est vendu, le surplus étant conservé dans les caves. Contrairement aux cuves, trop onéreuses pour que les petits vignerons puissent se dispenser d’avoir recours à celles de leurs voisins plus riches, il existe une cave dans chaque maison, aussi sont-elles parfois superposées. C’est là que pendant l’hiver, le vigneron travaille: il doit en effet, transvaser plusieurs fois son vin et le surveiller en remplissant ses tonneaux régulièrement pour éviter qu’il ne tourne au vinaigre ; cela nécessite de la place et un aménagement adéquat qu’il était possible de constater dans les caves des rues St Luc et du Dr Millet avant que ne reprennént les travaux de rénovation du centre ville.

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Une récolte fortement variable et dont le vigneron ne dispose que partiellement

Quel était le rendement moyen ? Il est généralement estimé à 20 hl/ha, atteignant parfois 25 hl s’il y a emploi de fumure, mais selon Louis Cotte, les Oratoriens ont récolté de 1769 à 1775 inclus 94,5 muids pour 6 arpents de vigne, ce qui correspond, d’après les calculs de M. Lachiver à 17,6 hl un rendement plutôt médiocre et encore n’est-il pas assuré chaque année.

1771 fut selon L. Cotte une année catastrophique, la récolte ne représentant qu’un tiers de la normale et nous savons (14) que les années 1780 furent des années de crise viticole : après 4 années pléthoriques pendant lesquelles les prix, donc les revenus, ont chuté 1788 connaît une récolte normale :

1319 muids à Montmorency, 584 à Soisy, 2251 à Groslay mais à cause des intempéries les vendanges de 1789 et 1790 ne produisent que 636 et 695 muids dans notre ville et il en est de même à Soisy : (184 et 226) et à Groslay : (1117 et 1674).

De ces récoltes aléatoires, les vignerons ne disposent qu’en partie : nombreux sont en effet, les prélèvements obligatoires.

En premier lieu la Dîme, prélevée au profit des abbayes, prieurés ou des paroisses, elle est perçue en nature au pressoir même le plus souvent sinon à la cave : 5 1/2 pintes par muid (19) en général ce qui équivaut à 3 % environ.

Puis le seigneur intervient : en son nom sont perçus, en nature, les droits de pressoir prélevés sur la totalité du vin récolté ; selon les paroisses ce prélèvement atteint de 1 à 6 % (14). Outre ces «banalités» le seigneur a percu sur les vignobles de son domaine une taxe en argent «le cens» ; enfin il jouit du «banvin» ce droit lui assure pendant une période déterminée le monopole de la vente du vin.

Voici enfin le vigneron en possession de sa part de récolte. Peut-il en disposer tranquillement ? Que non ! D’autres personnes arrivent alors et réclament «le vin de quête» tel en 1786 le maître d’école de Montmorency Louis Lemaire qui expose la tradition (20) : «Le maître d'école de la paroisse d'Enghien a l'honneur de vous représenter . . . qu'il est dans l'usage de faire une quête de vin aux pressoirs dans le temps des vendanges . . . Cette quête est une aumône faite en faveur des pauvres enfants dont l’éducation qui lui est confiée et qui sont en grand nombre dans ladite paroisse et fait même une grande partie de ses honoraires...».

Est-ce tout ? Non, car alors interviennent les Commis des Aides c'est-à-dire le fisc royal.

Dès novembre toutes les caves sont visitées et chaque tonneau est jaugé et marqué : contenance et qualité sont indiquées.

Après le banvin, le vigneron s’il veut vendre son vin, doit déclarer au buraliste la quantité vendue et le prix reçu, payer le «droit de gros» 1 sol par livre soit 5 % et obtenir un congé (14) Notre vigneron en a-t-il fini avec les impôts ? En principe oui, car il a droit a une certaine quantité de vin non taxé pour son usage personnel, mais, s'il vend une partie de cette «réserve» sans le déclarer, attention : les contrôles sont nombreux et si les tonneaux contiennent moins de vin que prévu, il devra payer un «droit de trop bu» (21).

Veut-il vendre sa récolte au détail ? c’est possible s’il a une pièce qui s’y prête, quelqu'un pour servir et s’il est situé dans un lieu fréquenté : il place alors un bouchon devant sa porte (22) mais il doit bien sûr payer les taxes prévues : bien qu'ayant considérablement augmenté au 18ème siècle, elles restent toutefois un peu inférieures à celles perçues sur la vente en gros.

Les Montmorencéens doivent en outre verser au Roi un «don gratuit» (en fait obligatoire) : prévu pour 6 ans en 1758, il est toujours exigé en 1789 : il s’agit d’une taxe de 1 800 livres levée pour subvenir aux frais provoqués par les guerres de Louis XV et perçue à raison de 30 sols par muid de vin sur tout le vin non vendu en gros (vin de détail et vin de vigneron) (14). Le vin si lourdement taxé est cher ; à qui donc le vigneron qui boit peu vend-il ce vin, source de ses revenus ?

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À qui ce vin si cher est-il vendu ?

Aux marchands parisiens ? Non. Un arrêt du Parlement d’août 1759 leur interdit d’acheter leur vin dans un rayon de 20 lieues autour des murs de la ville, ce qui exclut tous les «vins français» c'est-à-dire ceux de l’Île de France. Seuls bourgeois et communautés religieuses peuvent faire entrer dans Paris le vin provenant de leurs vignes et destiné à leur consommation.

Est-il exporté ? Cela fut vrai au Moyen-Âge quand ce vin gagna par l'Oise les Flandres et par la Seine l’Angleterre, mais au 18ème siècle la concurrence des vins de Bourgogne et de Bordeaux est telle que ces débouchés se sont taris. De plus, de lourdes taxes frappent le vin qui voyage : droit de jauge à chaque vente et revente, péages, droits d’octroi à l'entrée des villes (14).

Ce vin de médiocre qualité ne peut supporter toutes ces charges ; il est donc vendu dans les cabarets des villages de vignerons mais aussi et surtout dans les guinguettes de ce qui est alors la banlieue de Paris Belleville, Montmartre, les Porcherons, la Courtille etc...(23)

C’est là que les Parisiens viennent les jours chômés boire ce vin bon marché mais souvent frelaté. La fraude, en effet, est fréquente. Ce n’est pas le vigneron qui est fautif, les «rats de cave» (24) font de trop fréquentes visites et rendent très difficile la fraude sur la quantité ; c’est donc sur la qualité que l’on triche : aubergistes et cabaretiers allongent le vin puis le teintent grâce aux baies de sureau et le servent à leur nombreuse mais peu exigeante clientèle.

Quand les Fermiers Généraux font élever de 1784 à 1787, à l’emplacement des Boulevards Extérieurs actuels, un nouveau mur, toutes ces guinguettes sont rattachées à Paris et dorénavant les droits d’octroi y sont perçus, à la grande colère des Parisiens «le mur murant Paris rend Paris murmurant» et au vif mécontentement des vignerons dont les débouchés disparaissent.

Il faudra attendre 1791 pour que la Constituante abolisse l'octroi et que «les vins français» entrent enfin librement dans la capitale.

Jacqueline Rabasse

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Notes

(1) Citons parmi les auteurs contemporains :

(2) nom de Montmorency depuis que les princes de Condé en sont les seigneurs

(3) cf. M. Rue op.c. l'arpent local correspond à 100 perches carrées de 18 pieds de côté, soit 34,19 ares ; une perche vaut 34,19 m2.

(4) les cotes des autres sections ont disparu.

(5) Les Mathurins sont des religieux responsables de l'Hôtel-Dieu. A leur sujet, cf. la revue de la Société d'Histoire n°5

(6) Pour les Oratoriens cf. Revue de la Société d'Histoire n°4

(7) On appelle ainsi, sous l'Ancien Re les quelques notables élus qui, au nom des paroissiens, gèrent les biens de la paroisse.

(8) Archives municipales P.V, 29.3.1 808

(9) pour les facons culturales cf. M. Lachiver op.c.

(10) Louis Cotte : Traité de météorologie 1 774

(11) Lachiver Op.c.

(12) L. Cotte op.c.

(13) J. Ponsin Police du biailliage 1 773 article 20.

(14) sauf indication contraire, toute cette étude reproduit, en le simplifiant le livre de M. Lachiver.

(15) J. Ponsin Revue

(16) Louis Cotte cité in Lachiver op.c.

(17) Chiffres de M, Lachiver op.c. 1 muid équivaut à 268 litres

(18) Archives municipales : cotes foncières de 1 790.

(19) une pinte —0,931 litre

(20) Requête adressée à la Régie des Aides, citée in Lachiver op.c.

(21) cf. les cahiers de doléances de Montmorency

(22) bouchon : touffe de feuillage servant d'enseigne au cabaret puis nom du cabaret lui-même.

(23) Les Porcherons se situaient à l'ouest de la rue du Faubourg Montmartre, la Courtille située à l’est de la rue du Faubourg St Denis se prolongeait par Popincourt jusqu'au Faubourg St Antoine.

(24) surnom donné aux Commis des Aides qui avaient le droit de perquisition.

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