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L'activité dentellière à Montmorency

Aux parisiens venus passer la journée dans notre ville, «les femmes de Montmorency offraient des bouquets de cerises enrobés des dentelles qu’elles avaient faites».

Cette affirmation de Julien Ponsin évoquant le Montmorency des débuts du XIXe siècle, ayant suscité notre curiosité, nous avons cherché a en savoir plus. Aucun indice d'une activité dentellière n'étant attesté (aucun outil ne nous est parvenu et la mémoire collective est muette, c'est dans les écrits du temps passé que nous avons trouvé trace de cette activité si répandue aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles.

Outre le renseignement donné par Julien Ponsin, nous avons trouvé pour le XVIIIe siècle 2 indications : une mention faite par le Père Cotte dans son Traité de Météorologie (1) et les données des recensements de 1791 et 1793 (2) qui attestent l’existence dans notre ville à ces dates de deux ouvrières et de deux marchands de dentelles. C'est peu.

Mais nous avons eu la chance d'obtenir de Madame de Buffevent, auteur d’une thèse sur «L'économie dentellière en région parisienne au XVIIe» qu’elle vienne, en février 1986, à l’Éden, nous faire part de ses découvertes. C’est donc en nous inspirant de sa conférence et de son livre, et en puisant dans les Archives Municipales que nous avons pu un peu mieux cerner la question.

Au XVIIe siècle, Montmorency, situé à la périphérie de la zone dentellière, participe peu à cette activité mais y emploie hommes et femmes.

L'activité dentellière apparaît au milieu du XVIIe dans le nord de la région parisienne et s’y localise dans 70 villages répartis le long de la route menant vers les Flandres, à la limite entre la Plaine de France et la zone fruitière et forestière de la vallée de Montmorency, c'est-à-dire de St Denis à Viarmes ; les villages les plus actifs étant Sarcelles, Écouen et Villiers-le-Bel, (3).

Notre cité, à l'écart de cet important axe routier, est peu touchée par l’activité nouvelle : vers 1680, on y recense 3 marchands et 3 ouvriers alors que, à la même époque, Groslay compte 14 marchands et 19 ouvriers et qu'à Villiers-le-Bel vivent 121 marchands et 161 ouvriers.

Qui travaille ?

Les femmes bien sûr, nombreuses à faire de la dentelle dès qu’elles ont du temps libre, apprennent dès 7 ans à manier les fuseaux, c’est une activité domestique, comme le tricot de nos jours, venant s'ajouter aux activités ménagères. Peu de professionnelles parmi elles : quelques jeunes campagnardes gagnent ainsi leur vie avant leur mariage mais c'est en ville, c’est-à-dire à Paris, que l’on trouve les femmes aux mains fines, non abîmées par les travaux des champs, qui, jouissant en outre d'un bon éclairage, sont les spécialistes de la dentelle à l’aiguille.

Les hommes, par contre, sont presque tous des professionnels, du moins ceux qui travaillent dans les secteurs situés en amont de la fabrication proprement dite de la dentelle : dévidage, filage et dessin des patrons utilisés par les femmes. Il s’agit là d'activités très spécialisées qui nécessitent un apprentissage de 2 à 3 ans ; cet apprentissage se fait généralement chez un artisan éprouvé : c'est Pierre Houzel qui, en 1680, prend à Groslay un jeune montmorencéen après s'être engagé par contrat à lui transmettre en 2 ans les rudiments du métier et c’est à un marchand de dentelles parisien que Jean Lespine, marchand de dentelles en notre ville, confie son fils en 1674.

Qu'apprennent-ils ? À façonner les fils d’or, d'argent ou de cuivre qui enrobent la soie ou le lin. À partir de lingots chauffés au rouge on tire un fil appelé trait ; mais ce trait à section circulaire doit être ensuite aplati en lames très minces et très flexibles pour donner le «battu» qui sera ensuite filé au rouet avec : pour le «battu fin» (c’est-à-dire les fils d’or ou d’argent doré) de la soie et pour le «battu faux» (c’est-à-dire du fil de cuivre rouge argenté ou doré) du lin. Les fils ainsi préparés dans nos villages l’étaient généralement pour le compte d’un marchand parisien qui fournissait le battu, reprenait les fils prêts à l'emploi et les remettait enfin aux dentellières.

Outils de dentellières.
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De tels fileurs sont mentionnés à Montmorency : en 1660, Nicolas Rousseau doit payer 24 livres de loyer annuel pour son atelier de fileur et en 1693, lors du décès d’un marchand parisien, les fileurs qui travaillaient pour lui, doivent rendre, pour inventaire, les marchandises d’or et d’argent qu'il leur avait confiées(3).

Il faut aussi apprendre à dévider ; c’est-à-dire à préparer le fil, à le tordre, à le mettre en pelotes et à charger les fuseaux.

De nombreuses façons sont donc nécessaires pour préparer le fil qu’utiliseront les dentellières : elles sont assurées par des ouvriers spécialisés, c’est pourquoi l’on trouve dans les registres des tailles (4) mention de «dévideurs de soie», «fileurs de soie», «ouvriers en or et argent» et «fileurs en faux».

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> Quelles sont les dentelles produites ?

Au XVIIe siècle, on travaille surtout «la blonde», dentelle de soie blanche ou à fil d’or qui est une dentelle lourde et chère utilisée surtout pour les vêtements de cérémonie ; mais sur leurs carreaux (5), les femmes de la campagne fabriquent aussi une dentelle plus commune faite de lin, donc écrue et surnommée pour cette iaison la bisette, d’où le nom de biszettières qui dès 1664 sert à désigner celles qui la produisent. (3)

Au XVIIIe siècle, la mode change et la dentelle devient une activité purement féminine

Désir de porter des dentelles moins lourdes, achat par la bourgeoisie de dentelles moins luxueuses, concurrence de Calais et Malines, telles sont, au XVIIIe siècle, les causes d’un changement marqué dans la fabrication de la dentelle. La production évolue mais les plus belles sont toujours produites en ville, à l'aiguille, tandis que dans nos campagnes c’est aux fuseaux que les femmes fabriquent celles qui orneront jabots et manchettes.

Le Père Cotte nous les décrit ces «biscaïres» (1) s’installant avec leur coussin sur les genoux, devant leur porte en été, dans l’étable en hiver, travaillant à chaque moment libre, y compris le soir à la lueur des chandelles, la veillée se faisant avec quelques voisines ; la position courbée finissant par être préjudiciable et par provoquer des déformations de la colonne vertébrale, surtout lorsque l'habitude s’en était prise très jeune.

Par contre, aucune mention n’est plus faite d'hommes travaillant les fils. C’est que l’on n'utilise plus l’or ni l’argent mais seulement le lin ; la seule activité masculine est celle des marchands ; deux sont mentionnés en 1791 et 1793 : (2) Nicolas Joly, né à Villiersle-Bel, et un parisien, Georges Desmarroix. Deux femmes seulement sont inscrites dans ces recensements comme «bistières». Il s’agit de 2 femmes seules, 2 célibataires de 50 et 56 ans qui subviennent à leurs besoins en faisant de la dentelle, mais elles ne sont pas et de loin les 2 seules femmes de Montmorency à exercer cette activité : toute la population féminine continue à manier les fuseaux, trouvant dans cette production un complément de ressources.

La dentelle est alors devenue un travail purement féminin, familial, le type même de l'artisanat textile diffus s’exerçant en milieu rural sous la dépendance des marchands parisiens.

Cette activité se poursuivra au XIXe siècle mais jabots et manchettes ayant disparu, la dentelle sera peu à peu remplacée d’abord par la broderie anglaise puis par Îa passementerie et finira par disparaitre à l'aube du XXe siècle quand d’autres ressources apparaitront dans notre ville.

Jacqueline Rabasse

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Notes

(1) : R.P. Cotte : Traité de Météorologie (Bibliothèque historique de Montmorency)

(2) : Recensements Archives Municipales.

(3) : B. de BUFFEVENT op.c. Éditions Société Historique de Pontoise.

(4) : la taille est l'un des impôts royaux

(5) : le carreau ou coussin est un petit métier que l'ouvrière pose sur ses genoux.

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