Bandeau de navigation
aa-accueil bulletin publications conferences expositions sorties autres

Les prénoms révolutionnaires à Montmorency

Faut-il y voir un attachement à la tradition, la preuve que les événements révolutionnaires ne sont pas encore ressentis comme irrévocables puisque le Roi est toujours là ou bien la marque de la sagesse populaire qui attend de voir vemir, toujours est-il que, jusqu’en 1792, le choix des parents quant aux prénoms de leurs enfants ne change guère : ils continuent à puiser dans le stock propre à chaque famille. Seule nouveauté : le culte de Jean Jacques qui incite les plus hardis à nommer leurs filles Émilie, il y en aura 3 en 1791 et 1 en 1792.

Les idées nouvelles se propagent peu à peu, ainsi qu’en témoigne en 1792 le choix de Jean Baptiste Leturc, maire de Montmorency en 1790, membre du Directoire du district depuis 1791, il est aussi juge au tribunal. Le nom qu'il donne à son tils est, pour ce patriote convaincu, le moyen d’affirmer à la fois, sa foi en la Révolution, et son admiration pour l’un des hommes les plus en vue du moment : «Le 31 mai 1792, l'an 4 de la liberté, le sieur Jean Baptiste Leturc nous a dit que le jour d'hier... il lui est né un fils... que respectant les lois, les droits de l’homme et tous les bienfaits de la Constitution... cet enfant nouveau-né, il le nomme Libre Pétion (1) Leturc (2).

Seul à cette date à rompre avec la tradition, Le Turc a, dès 1793, des émules : il est vrai que le contexte politique change brusquement : l'arrestation et la mort du Roi, la proclamation de la République, l’arrivée d'hommes nouveaux à la Convention et ne l’oublions pas, le vote de la loi du 20 septembre 1792, qui établit l’état civil, tout ceci va inciter certains parents à affirmer leurs convictions politiques ou leur admiration pour les vertus «antiques» en choisissant de prénoms significatifs sur lesquels ne pourra s’exercer le contrôle de l’Église.

Sont ainsi enregistrées les naissances en 1793 d’un Républicain et d’un Phocion (3), et l’année suivante celle d’un Viala (4) ; il s’agit là des cas les plus extrêmes, ces choix sont le fait d’hommes chargés de responsabilités officielles (le père de Républicain est 1er juge au tribunal du district) qui, sincères ou non, affichent leur engagement politique.

Plus réticents ou plus avisés, d’autres ménagent l’avenir et accolent au prénom «dans le vent», choisi par opportunisme, ceux qu’impose la tradition familiale, tel cet employé de l’administration des Domaines Nationaux qui, demeurant à Paris section de Brutus, prénomme son fils Aimable-Brutus, ce qui ne manque pas de sel ! ou encore André Viez, un vigneron assez modéré semble-t-il puisque membre du Conseil municipal en 1790, il n’a pas été réélu mais qui, sait-on jamais ?, donne à ses jumeaux les noms de Brutus Cosme André et de Liberté Marie Geneviève ; de même figure dans les registres un Messidor-pierre (5).

Rupture avec le calendrier chrétien, référence à l’histoire actuelle ou antique et au calendrier révolutionnaire, les Montmorencéens font là les mêmes choix que leurs contemporains, mais ils optent aussi pour Émile et Émilie, prénoms qui permettent de s’affirmer partisans des Lumières et révolutionnaires sans excès et que portent non seulement les enfants, mais la ville elle-même (6). deux enfants sont même appelés Mont-Émile !

C’est ce prénom que va choisir en novembre 1793 le président du tribunal, membre du conseil municipal, qui, fait plus rare, demande officiellement la modification de son état civil. Dominique Robert «a déclaré que portant depuis l'instant de sa naissance le prénom de Dominique et reconnaissant que ce prénom était celui d'un prétendu saint qui, suivant la tradition, avait été l'inventeur et le protecteur de l'infâme Inquisition en Espagne, qui a livré au supplice tant de milliers d'individus et que ce prétendu saint n'avait été canonisé par ses semblables que pour consacrer la mémoire des actes de superstition et de barbarie qu'il a exercé lui-même et fait exercer, ledit citoyen Robert déclare que voulant désormais renoncer à porter ce prénom qui le déshonore, il choisit et porte dorénavant celui d'Émile. Il déclare en même temps que sa fille âgée d'environ 6 ans, ayant reçu lors de sa naissance le prénom de Jeanne Antoinette, il renonce pour elle à ce prénom comme rappelant le souvenir de la superstition et de la plus atroce des femmes que l’on nommait cy-devant Reine et donne à sa dite fille celui d'Émilie. Desquelles déclarations ledit comparant a signé acte...(7).

Dès 1795, Louis et Louise reviennent en force, Émile et Émilie se banalisent : on les trouve mentionnés une à deux fois par an ; un Brutus-Émile réapparaît lors du sursaut révolutionnaire de 1797 puis, la tourmente passée, on retourne à la tradition.

Mais, en 1804, nouveau signe des temps, l’état civil mentionne des Napoléon.

Jacqueline Rabasse

Cliquer pour remonter en haut des colonnes

Notes

(1) Pétion : maire de Paris en 1791, il sera Président de la Convention girondine.

(2) Archives municipales.

(3) Phocion : général et orateur athénien célèbre pour son désintéressement.

(4) Viala mort à 13 ans en 1793 en luttant contre les royalistes.

(5) Archives municipales : État Civil.

(6) Montmorency a décidé de s'appeler Émile en 1793.

(7) Archives municipales P.V. 30 Brumaire An II.

Valid XHTML 1.0 Strict Dernière mise à jour le 16/12/2022 à 22:26./.
© 2016-2024 Société d'Histoire de Montmorency et de sa région.