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Henri de Damville
Connétable de France -- Gouverneur du Languedoc
(1534-1614)

Enfance et jeunesse

Henri de Damville, deuxième fils du connétable de Montmorency, est né le 15 juin 1534 à Chantilly. Il doit son prénom à Henri d'Orléans, lui aussi deuxième fils du roi François Ier et futur Henri II. Quant à son nom il lui fut fourni par la châtellenie de Damville, apanage concédé à sa naissance, par son père. Damville est aujourd'hui un modeste chef-lieu de canton de l'Eure. Ses 1300 habitants et une position sur l'Iton n'en feraient pas une possession prestigieuse. Son orthographe, elle-même, est hésitante puisqu'on le trouve écrit D'Anville, d'Enville, Dampville, Danvylle, etc... Le nom de ce fief apparaît pourtant déjà sur le tombeau de l'arrière grand-père du jeune Henri ainsi que sur celui de sa grand-mère, Anne Pot. Le titre ira, plus tard, à son frère cadet Charles de Méru, amiral de France, après que lui-même soit devenu duc de Montmorency. Mais pour ses contemporains il restera Damville sans doute pour éviter une confusion avec son père.

De son adolescence et de sa formation nous ne savons pas grand-chose, sinon ses prouesses dans l'art équestre tant vantées par Tallemant des Réaux. Dès le début, on insista sur son éducation guerrière. Le maniement des armes prit l'avantage sur une formation intellectuelle, qui demeura assez réduite. Tout ceci n'empêcha pas une intelligence naturelle dont il donna de nombreux exemples au cours de sa carrière.

Henri Ier de Montmorency
Henri Ier de Montmorency

Sa jeunesse fut constamment bercée par les échos des prouesses et des mécomptes de son père, le Connétable. Sa chronologie personnelle se trouve mêlée dès le début aux guerres de religion. L'année de sa naissance, 1534, en soi, est symbolique puisqu'elle est marquée par l'affaire des placards, début de la répression officielle anti-protestante en France. C'est également l'année de la fondation de la Compagnie de Jésus qui fut à la pointe de ce combat.

Deux ans après, Anne de Montmorency commençait sa guerre victorieuse contre Charles Quint que devait couronner son accession à la connétablie. On peut imaginer Henri, à Chantilly, recevant l'Empereur de passage en France. De 1541 à 1547, la disgrâce du connétable donna certainement à son fils l'occasion d'assister à toutes les constructions somptueuses que le connétable réalisa, pendant cette période dans toute la France, de Châteaubriant à Écouen. En 1547, retournement de situation, Henri II succède à son père et la rentrée en grâce du connétable «son compère» se fait instantanément. En 1549 il dirige avec son roi, la campagne du Boulonnais contre les Anglais. Damville, qui n'a que 15 ans, y fait ses premières armes. C'est d'ailleurs dans un château de son père qu'en 1551 la paix est signée. Le jeune cadet reçoit à cette occasion la capitainerie et le gouvernement de la ville de Caen. Cette année-là, Anne de Montmorency dépasse ses ambitions les plus folles. Il devient Duc et Pair du royaume. Ce petit seigneur de l'Île de France voit récompenser la f1délité de ses ancêtres et de lui-même, à la couronne de France. Hormis les Princes du sang, il est désormais, l'égal des plus grands.

L'année suivante, la cour réside à Fère, tandis que Henri se trouve à Metz au côté de son père. Le connétable s'empare, par la ruse, de la ville qui ouvre la route vers l'Allemagne et vers une possible alliance avec la ligue des Princes allemands de Smalkade. Las ! l'année suivante, c'est l'échec. Metz manque de peu d'être reprise et c'est à François de Guise que revient l'honneur de la résistance. Une rivalité entre les deux familles débute à cette occasion. Elle va empoisonner la vie de Damville pendant de nombreuses années. Il va pourtant recevoir la récompense de ses services, sa châtellenie de Damville est élevée en baronnie. Il est, en outre, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi et capitaine d'une compagnie de chevau-légers.

Pour lors, il va continuer sa carrière en se démarquant un peu de son père. Il n'est pas l'héritier du titre. Son ambition ne peut être que gloire militaire. La dernière guerre d'Italie va lui donner l'occasion de s'illustrer. En 1556, le duc d'Albe, vice-roi de Naples se lance à l'assaut des États pontificaux et le Pape Paul IV appelle à son secours le roi de France, protecteur de la Sainte Église Romaine. Anne de Montmorency n'est pas partisan de cet engagement. Il pense que les troupes envoyées à Rome seraient beaucoup plus utiles dans le nord et l'est du royaume. La suite va lui donner raison puisque le manque d'effectifs va être une des causes de la défaite de Saint-Quentin. Mȧis Guise veut se tailler un royaume dans le sud de l'Italie. Un instant victorieux, il faudra le rappel personnel du roi, ainsi que des difficultés financières, pour mettre f1n à cette demiėre chevauchée françȧise dans la peninsule. Damville tira son épingle du jeu. Parti en Italie comme colonel de chevau-légers, il a combattu sous les ordres du maréchal de Brissac. Il a même provoqué en duel un proche de Charles-Quint le marquis de Pescaire. Revenu en France en même temps que le duc de Guise, il ne peut qu'assister à la defaite de Saint-Quentin en 1557, où son père est fait prisonnier. Ce qui ne l'empêche pas de recevoir l'ordre de Saint-Michel. C'est également l'époque des mariages, son frère François, héritier du titre, épouse Diane de France fille légitimée de Henri II. Tandis que lui-même épouse Antoinette de La Marck, petite-fille de Diane de Poitiers. La jeune épouse est issue de la celèbre et riche famille de Bouillon dont les terres ont toujours constitué le rempart de la France face aux invasions venues du nord. En cela il obéit certainement à la volonté patermelle et évite ainsi d'irriter l'auteur de ses jours comme l'avait fait son aîné. Mȧis il n'a, après tout, que 23 ans et son cœur est ȧilleurs. Il est amoureux comme bien d'autres, de la jeune Mȧrie Stuart, que doit épouser le dauphin François.

Les évènements de toutes sortes se telescopent à cette date. D'abord le traité de Cateau-Cambresis. Henri II et Philippe II s'abandonnent toutes leurs récentes conquêtes. Mais Henri II, sous l'influence de Montmorensy, abandonne beaucoup et, en particulier, l'Italie, qui, pour son malheur, est livrée à l'Espagne pour deux siècles. La rançon de l'ambassadeur-prisonnier, Montmorency, est ramenée de 3OO OOO livres à 200 OOO livres. D'aucuns y ont vu une rétribution pour services rendus. Le connétable a cependant réussi ce qui lui a toujours tenu à cœur : unir la catholicité contre le péril protestant dont la progression se fait toujours plus redoutable. C'est alors que le coup de lance malheureux de Montgomėry relance les Guise au détriment des Montmorency. Les lorrains sont en effet les oncles de Marie Stuart, femme du nouveau roi, François II. lls n'hésitent pas une seconde à abaisser le plus possible le connétable et sa famille. Ils l'obligent à démissionner de sa charge de Grand Maître, le dépossèdent de terres concédėes par le précédent roi. Les procès intentés directement ou téléguidés par eux se succèdent rapidement. Sous couvert de luttes religieuses, la rapacité des Guise s'organise. Les Montmorency en sont les premières victimes mais Condé estcondamné à mort.

La disparition brutale du jeune valétudinaire François II fait tomber la tension. Catherine de Médicis devenue régente (Charles IX n'a que 10 ans) sent le danger que représentent les Guise. Elle se cherche des alliés auprès des Montmorency et des Bourbons. Montmorency est rétabli dans ses droits et Condé amnistié. Et Henri dans tout cela ? Dès la fin du deuil officiel, Mȧrie Stuart doit s'éloigner. Damville ne se résoud pas à la voir partir. Il réussit à faire partie de l'escorte officielle. Il s'embarque avec elle le 15 août 1561 et l'accompagne en Écosse. Il faudra l'insistance agacée de son père pour le faire revenir dans son foyer.

Marie Stuart
Marie Stuart en 1560 en «Reine Blanche» par Clouet.

Sur le voyage du retour, de passage à Londres, Élisabeth I ne fut, dit-on, pas insensible à son charme...! Dès son retour, Damville est replongé dans la guerre civile. En mars 1562, c'est le massacre de Vassy, voulu par François de Guise. C'est le début de la première guerre de religion. Le cadet de Montmorency est nommé Amiral de France, charge enlevée à Coligny pour son adhésion à la foi protestante. À la bataille de Dreux le 17 décembre 1562, il assiste à la defaite de son père grièvement blessé et à la mort de sonjeune frère Gabriel de Montbéron. Il a par contre la joie de faire prisonnier le prince de Condé, chef de l'armée huguenote. L'annėe suivante, il devient par décision du roi et démission de son pėre, gouverneur du Languedoc, charge qu'il considère toujours comme son plus beau fleuron.

Damville en Languedoc

Quand il la reçoit, cette charge n'est pourtant pas une sinécure ! La plus vaste province du royaume est en train de devenir protestante. La première mission de Damville sera d'y ramener le catholicisme ; c'est-à-dire, avant tout, le pouvoir royal. Son entrée ȧ Toulouse fut grandiose et peu à peu les villes furent réduites ȧ l'obéissance. Celles qui résistaient, comme Pamiers, furent livrées au pillage. Damville ne négligeait pas l'action psychologique~: pour effrayer, il se déplaçait avec ses loups apprivoisés, entourés d'une garde d'esclavons (Croates et Albanais). Pour séduire, il multipliait fêtes galantes et spectacles somptueux, qu'il opposait à l'austérité protestante. Cependant ceux-ci ne désarmaient pas, Coligny, son cousin, s'opposait à lui et pourtant les catholiques lui reprochaient cette parenté suspecte. Montluc, le célèbre chroniqueur, qui n'a pas oublié la vieille haine qui l'oppose aux Montmorency, le dénonce au roi. Grâce à Damville le protestantisme est pourtant contenu partout en Languedoc. Un mȧriage est alors mis sur pieds pour contenir la haine et les ambitions. Grande surprise ! On apprend que Henri de Navarre, fils d'Antoine, chef des protestants, épouse Marguerite de France, sœur du roi et qui ne s'appelle pas encore la reine Margot. On connaît la suite, la Saint-Barthélémy, la mort de Coligny... Des massacres ont lieu également dans les provinces et les protestants s'arment pour défendre leurs vies. Damville parge l'affection de son père pour les Coligny. Il est bouleversé par le meurtre de son cousin. De plus, il sait que sa famille est très menacée. Son frère François, gouvemeur de Paris, a ėté mis ȧ la Bastille. Lui-même a échappé de peu à un empoisonnement «à l'italienne» dont l'origine ne fait pas de doute. Tous deux sont qualifiés de «Politiques», c'est-à-dire de catholiques faibles, prêts ȧ pactiser avec les protestants, ce qui peut constituer un arrêt de mort. Charles IX meurt. Catherine de Médecis, une nouvelle fois régente, en profite pour essayer de destituer Damville de son poste de gouverneur. Pendant ce temps Henri d'Anjou, le futur Henri III, qui a abandonné son royaumne de Pologne, termine sa fameuse chevauchée qui l'amėne de Varsovie en Italie. Damville le rejoint ȧ Turin pour lui exposer sa défense. Henri, que son séjour à l'étranger a éloigné des affaires françaises, ne veut pas prendre de décision et il ne veut surtout pas s'aliéner l'appui de sa mère qui lui sera nécessaire pour l'affermissement de son trône. Il demande donc à ses hôtes italiens l'incarcération du gouverneur du Languedoc. Damville reussit ȧ s'enfuir mais il bascule alors du côtė protestant, qu'il juge plus apte à assurer sa sécurité et son rang. Il appelle à la lutte contre la famille royale, qu'il assimile à des princes étrangers. Sa famille, qui forme un véritable clan, le rejoint alors de toute part.

«Tandis que le Roi levait quatre armées dans le but d'anéantir les protestants, Damville organisait pour eux la défense du Dauphiné, du Vivarais, du Laanguedoc, de la Guyenne et de l'Angoumois. Les Montmorency-Méru et Thoré, ses frères ; Lévis-Mentador, son beau-frère, Turenne, son neveu ; ses cousins Montmorency-Hallot, Fosseux, Crèvecœur et Boutteville ; la plupart de ses proches parents embrassèrenr sa cause, prêts à le suivre dans la bonne ou mauvaise fortune. Vers lui de nombreux seigneurs accoururent de toutes parts.»
...et bien sur le ban et l'arrière ban de tous dans ces seigneurs suivent immediatement la rébellion s'etend...

Écrire l'histoire de ce temps releve de la gageure «tant les alliances se révèlerent complexes, tant les chefs (en particulier François d'Alençon, qui pousse le modèle jusqu'à la caricature) s'engagent ou se désengagent au gré de leurs intérêts immédiats» nous dit Jacqueline Garisson, spécialiste incontestée de la période. Querelles dynastiques et ambitions féodales se mêlent dans un écheveau inextricable. Mais Damville, même s'il a recherché leur appui, n'a jamais embrassé 1a foi des protestants. Henri III et Catherine de Médicis n'ont pas beaucoup de mal à le retourner. Tandis que Thoré, son frère, reste à la tête des huguenots, c'est sans beaucoup de problèmes de conscience qu'il reprend les armes contre eux. La fidélité atavique de sa famille à la couronne et le peu de sympathie que les austères sectateurs de Calvin devaient lui inspirer, le poussent à cela. Il a donc le plaisir d'organiser un voyage triomphal de la reine mère à Toulouse en 1578.

Le nouveau Duc de Montmorency

L'année suivante son frère François meurt d'apoplexie et il devient troisième duc de Montmorency. Son frère Méru prend le titre de Damville. Le nouveau duc reste très attaché à sa province et y séjourne le plus souvent. Mais laisser se monter les intrigues de la cour est toujours dangereux, surtout quand l'enjeu en est le Languedoc, dont la richesse attire bien des convoitises. Anne de Joyeuse, favori d'Henri III, se pose en riva1. Son poids est considérable à la cour; n'est-il pas l'époux de Marguerite de lorrainne, sœur de Louise de Lorraine-Vaudemont l'ėpouse du roi de France ? L'influence de la reine sur son mȧri était très importante et l'affection que lui portait Henri III, indiscutable. Anne de Joyeuse, pour éliminer Montorency essaya une anne redoutable : l'excommunication, qu'il s'en alla demander au Pape Grégoire XIII. Ce dernier refusa d'admettre les prétendus penchants de notre duc pour le protestantisme. Au contraire, il mit en évidence sa fidélité à la foi catholique ainsi que celle de sa famille. Henri III fut obligé de céder et de confirmer Montmorency dans sa charge. C'est alors qu'un évėnement va tout bouleverser. Le roi eut le déplaisir de voir disparaître sa dernière chance de maintenir la couronne dans sa famille. Le 10 juin 1584, son frère d'AnJou (ex-d'Alençon) rendit un dernier hommage au bacille de Koch, si attaché à sa famille. Le couple royal était désespėrément stérile et son cousin Navarre devint l'heritier présomptif du trône. C'est l'aubaine pour Montmorency, qui depuis longtemps a choisi son candidat. En 1585, au grand dépit des Guise, il rencontre à Castres Henri de Navarre et il transforme ce qui n'était jusqu'alors qu'une amitiė personnelle en une véritable alliance politique. Face aux protestants irréductibles et aux ligueurs intransigeants, Damville devient un des chefs du parti des politiques, c'est-à-dire de ceux qui veulent s'en tenir à l'ordre normal de la succession au trône de France.

Or, sans parti pris, c'était la voie de la raison. La monarchie française n'avait dû son succės, depuis ses origines, qu'à une étroite observance de cette règle de transmission héréditaire. Pourquoi se serait-elle pliée subitement aux circonstances ? La chute des Valois n'est pas sans rappeller la fin des Capétiens directs à la fin de l'époque de Philippe le bel. Un roi laisse trois fils et donc une succession aisée. Mais ces trois fils meurent sans héritier mâle. Il reste une fille, Marguerite, que la loi salique exclut et même une cousine proche, l'infante Claire Eugénie. La nėcessité fait rechercher un cousin issu d'une branche cadette. C'est Henri de Navarre. Il faut remonter loin, cette fois, puisqu'on rattache l'héritier présomptif au 6e fils de Louis IX, Robert de Clermont. Ce choix a reçu l'assentiment du roi légitime, pourtant chef naturel de la Sainte Ligue. Henri III facilite même l'accession au trône d'Henri de Navarre en éliminant, en 1588, les Guise de la manière que l'on sait. Damville, lui, sert son nouvel homme-lige et participe à la défaite de Joyeuse, Anne trouvant la mort à Coutras et son frère Scipion à Narbonne. C'est devant cette ville que survient la nouvelle de l'assassinat d'Henri III et Montmorency va donc proclamer l'avènement d'Henri IV.

Trois annėes folles vont secouer la France. La Sainte ligue suscite contre Navarre des ennemis innombrables. les Espagnols se répandent dans le pays. Des villes se soulèvent. Damville fait front de toute part. L'apaisement viendra de Navarre lui-même. Vainqueur à Ivry puis à Arques, il abjure une deuxième fois et entre à Paris redevenue capitale de la France. Il restait à Henri IV à recompenser une indéfectible fidélité. Le 8 dėcembre 1593, Montmorency devient connétable de France comme l'avait été son père.

Sa vie privée avait pris aussi un autre cours. Le 29 mars, il avait épousé, presque sexagénaire, Louise de Budos, une jeune veuve de 18 printemps. Rien de surprenant à cet évènement. Sa premiere femme, Antoinette de la Marck est morte en 1591 et, surtout, son seul descendant mâle issu de cette derniėre, Hercule, meurt cette même année, syphilitique, en Avignon. Cette absence de descendance constituait certainement une grande préoccupation pour le connétable, d'autant plus qu'il avait atteint un âge avancė pour l'époque et qu'aucun de ses frères n'avait d'enfant. Deux naissances très rapprochées vont le combler de joie, Marguerite-Charlotte d'abord et surtout Henri qui devint l'espoir de toute la race. Le roi lui-même demanda d'en être le parrain et lui donna son prénom. Il le tint même sur ses genoux pendant la cėrémonie du baptème, célébré par le cardinal Alphonse de Médicis, légat du pape et proche parent de la Reine. Désormeau nous apprend que son parrain lui assura (à 2 ans !) la succession de son père au gouvemement du Languedoc, rendant cette charge curieusement héréditaire. Le bambin fut certainement ravi d'apprendre, que par la même occasion, il devenait gouverneur particulier de Narbonne. Pierre de l'Estoile nous donne une description du repas qui suivit la cérémonie.

"Il y avait deux esturgeons de cent écus. Tous les poissons estoient fort dexrtement déguisés en viande de chair, qui estoient monstres marins pour la plupart, qu'on avoit fait venir exprès de tous les costés. Du fruict, il y en avoit pour trois cents cinquante escus ; et des poires de Bon Chrestien, tana qu'on en peut recouvrir, à un escu la poire."

Henri fait élever ses enfants légitimes et naturels (6 au total) à Chantilly, sa maîtresse, Catherine de Richery, aidant Louise de Budos à surveiller la joyeuse troupe. L'heureux père n'exerçait, lui, sa puissance patermelle que de très loin. Mais les couches répétées de la connétable devait l'affaiblir au point que, le 26 septembre 1598, Henri se retrouva veuf pour la deuxième fois. La mort de sa jeune épouse l'affecta profondément. Il ordonna que son corps fut inhumé dans le caveau familial de notre collégiale Saint Martin. Les circonstances de la mort de Louise de Budos demandent que l'on s'arrête un peu, ne serait-ce que pour mettre en évidence la superstition qui constitue la face cachée de la foi profonde de l'ėpoque... C'est Sully lui-même (repris plus tard par Saint-Simon) qui en a donné le récit. Sans doute le remȧriage du connétable avec une jeune femme très belle, certes, mais peu fortunée avait-il excité beaucoup les imaginations. Sa beauté (qu'elle transmit d'ailleurs à ses enfants) n'était-elle pas la beauté du diable ? On se mit à raconter que se promenant dans la campagne, elle aurait rencontré une pauvresse à qui elle aurait fait l'aumône. En échange celle-ci lui aurait, alors, donnė un anneau qui devait tourner la tête de celui qu'elle désirerait épouser ; ce fut donc le duc Henri. Mais, juste châtiment de l'intrigue, un jour qu'elle bavardait avec ses femmes, on annonça un noir cavalier qui insistait pour la voir. Trois jours après cette mystérieuse entrevue dont la duchesse sortit très effrayée, elle mourut dans des souffrances horribles et, elle, qui était si belle devint instantanément hideuse à voir.

L'histoire eut une suite dans le troisième mȧriage du connétable. Louise de Budos avait recueilli une jeune tante devenue veuve, Laure de Clermont-Montoison, comtesse de Dizimieu, qui devint, après la mort de sa nièce, la gouvernante très aimée et très aimante des deux enfants légitimes du duc de Montmorency, Henri et Charlotte-Marguerite. Laure se trouva donc, comme le dit Tallemant des Reaux "sous la main du connétable", qui l'épousa. Il n'eut même pas la patience d'attendre la dispense papale rendue nécessaire par la parenté qui le liait à sa nouvelle épouse et qui lui fut octroyée a posteriori. L'emballement du connétable, qui n'avait jamais ȧ ce point manqué de présence feminine, sembla suspecte. C'est ainsi que l'on fait réapparaître le celèbre anneau que Louise, mourante aurait donné à sa tante ! Toujours est-il que le charme tomba dès la fin de la céremonie, célebrée un an mois pour mois après la mort de la précedente duchesse. Se fondant sur les fameux liens de parenté, Henri de Montmorency, cette fois, demanda l'annulation du mariage. Le Pape refusa fermement. Le piège qu'il avait armė lui-même, s'était refermé. Du jour au lendemain, la pauvre Laure fut exilée à L'Isle-Adam puis à Offemont où elle dût, pour survivre, quémander une pension qu'elle obtint à grand peine. Une nouvelle fois, on la déplaça à Villiers-le-Bel. Les enfants du connėtable, se souvenant des soins dont la malheureuse les avait comblés dans leur petite enfance, l'aidèrent de leur mieux. Il fallut cependant attendre la mort de son père pour que Henri II, nouveau duc de Montmorency, accorde à sa belle mère une pension qui lui permettra de finir sesjours tranquillement. Elle mourut 40 ans après son mȧri à l'âge de 83 ans.

Dans le gouvernement des enfants, lui avaient succédé du Travet pour Henri et Diane de Valois, duchesse d'Angoulême, sa tante, pour Marguerite-Charlotte.

La viellesse et la mort

Les péripéties de sa vie sentimentale ne devaient pas faire oublier au connétable les devoirs de sa charge. La ligue s'effondrait de partout, Mayenne fait sa soumission en 1595. Sur la poitrine du connétable le cordon du Saint-Esprit remplaça celui de Saint-Michel, devenu caduc. Le roi lui fit l'honneur de l'envoyer accueillir Marie de Médecis à Marseille. Le bon roi Henri, d'ailleurs, venait souvent à Chantilly pour y rencontrer son «compère». Celui-ci, pour ces visites était obligé de quitter Pézenans sa ville de prédilection. Après en avoir longtemps habité le château, il avait acquis en 1585 le domaine de la Grange des Prés à quelques lieues de là. De cette petite metairie, il devait faire sa résidence favorite. Il la préférait même, dit-on, à ses demeures de l'Île de Frarace que, pourtant, il avait aménagées à grands frais. Le temps a fait son œuvre et nous n'avons plus la possibilité de pouvoir apprecier le charme de cette résidence. EIle était surtout renommée pour ses jardins, ses grottes et les pièces d'eau qui l'ornaient.

La ville de Pézenas n'était pas oubliée pour cela. Ses églises bénéf1cièrent de ses largesses, une reçut une cloche, l'autre un vase sacré, un ornement sacerdotal. Mais sa grande œuvre fut certainement la création du collège qui devint plus tard celui des Oratoriens. Son fronton portait cette inscription "Qu'il soit heureux et florissant cet asile sacré des Muses, élevė par le roi Très chrétien Henri IV et que le très illustre Montmorency, connétable de France, a doté généreusement et a consacré sous de favorables auspices à la postérité, l'an 1600".

Henri de Montmorency-Damville

C'est dans cette ville que l'atteint la nouvelle de l'assassinat d'Henri IV. Le choc est terrible. Malgré l'affrontement qui l'avait opposé au roi l'année précédente à propos du mȧriage de son fils Henri, malgré également les assiduités séniles dont son souverain poursuivait sa fille, le connétable restait très attaché à son roi. Tandis que, malgré sa vieillesse, il se précipitait à Paris pour les funérailles et pour saluer le nouveau roi, à Pézenas, son gendre, le duc de Ventadour, présidait en son nom un service funèbre fastueux. Ce sera son dernier voyage dans la capitale. La mort de son compère marquait la fin d'une époque, de son époque. Le XVIe siècle se terminait. Siècle sanglant, funèbre mais en même temps, riche de tous les espoirs que cette période tourmentée portait en elle. La monarchie était stabilisée. Elle se centrait de plus en plus sur la personne du roi.

Les Grands devaient se résigner à ne plus être que de simples exécutants de la puissance royale. Pour ne pas l'avoir compris, le flls du connétable, Henri «l'orgueil de sa race» perdra la vie à Toulouse sur les lieux mêmes de son gouvernement.

Le vieux connétable se sent mourir. Il préside bien encore une fois les États du Languedoc «ses États», mais la vie le quitte peu à peu. En 1613 , dernière joie, son fils vient, à Pézenas, épouser Marie-Félicie des Ursins, nièce du Pape. En mars 1614 lui qui, toute sa vie, a aimé le luxe, revêt l'humble bure des Capucins du Tiers ordre de Saint François. Et c'est dans la nuit du 2 avri1 1614, qu'en paix avec sa conscience, il rend son âme à Dieu, avant la fin de sa quatre-vingtième année. Laissons parler Albert-Paul Alliés, historien de Pézenas .

« Il avait demandé par testament que ses funérailles eussent lieu sans pompe et que son corps soit déposé dans le Couvent des Capucins, qu'il avait fondé près du sanctuaire de Notre-Dame-du-Grau à Agde. Selon son désir, aucun monument ne fut élevé sur sa tombe. L'église de Notre-Dame-du-Grau ayant été bouleversée à la Révolution, on a perdu la trace de sa sépulture. L'historien de la Grange des Prés, Madame Bellaud-Dessalles, a accompli pour la retrouver de longues et vaines recherches».

«La translation de ses cendres se fit en grande cérémonie, cependant en l'absence de son neveu et gendre, Anne de Lévis, duc de Ventadour, en ce moment à la cour. Le cortège était formé de gens d'armes, de nobles et de cinq cents pauvres vêtus de drap neuf portant à la main un grand cierge de cire blanche. Les États généraux de la Province, assemblés à Pézenas, prirent l'initiative de faire célébrer en son honneur un service funèbre dans la Collégiale de Saint-Jean. Les détails de cette cérémonie furent empruntés à celle par laquelle on avait honoré la mémoire d'Henri IV, quelgues années auparavant».

Henri de Montmorency désira cependant que son cœur retrouve ses pères dans la collégiale Saint Martin. Il fut le dernier des Montmorency à être enseveli dans notre ville.

Ainsi finit celui qui fit un roi et conserva la province du Languedoc à la France. Certes, il ne convient pas de verser dans l'hagiographie. Tout n'est pas lumineux dans la vie du connétable Henri, mais par la fermeté de ses positions, face à une politique royale plus que fluctuante, il aida à ramener la paix en France, ce qui, après tout, n'est pas un mince mérite.

André Duchesne

Pezenas

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