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La bataille de Castelnaudary
1er septembre 1632

Les touristes qui viennent admirer le Moulin de Cugarel et l'admirable perspective qu'on y découvre ne se doutent pas que d'illustres visiteurs les y ont précédés, voici 360 ans. Ce n'étaient autres que le Roi Louis XIII, la Reine Anne d'Autriche, le célèbre Cardinal de Richelieu et les courtisans les plus distingués. Quand on sait la rareté des visites officielles dans notre ville, on peut se montrer surpris de la discrétion avec laqueIle les chroniques du temps relatent le voyage royal. Il est vrai que cette visite se faisait dans des circonstances qui évoquaient davantage une descente de justice qu'un cortège de gloire.

C'était le 20 octobre 1632. L'année avait été marquée par une insurrection du Languedoc contre le despotisme croissant du Cardinal. Des hommes d'état comme lui, on n'allait pas en revoir de sitôt ; le nez haut, le profil altier et méprisant, plein de lui-même, Richelieu ne badinait pas avec ce qu'il appelait la grandeur de l'État, qu'il confondait volontiers avec ses préventions personnelles. L'indépendance traditionnelle des Languedociens, leur liberté d 'esprit lui déplaisaient, il avait résolu de les mater. Il leur avait envoyé un intendant des Finances, franche canaille, le sieur Particelli, à qui sa fortune vite acquise avait permis de se franciser, sous le nom d'Hémery. N'avait-il pas imaginé de supprimer les libertés traditionnelles du Languedoc en matière fiscale ? Le mécontentement vif, n'attendait qu'un chef assez illustre pour le couvrir. Survint Monsieur, frère du Roi, comploteur perpétuel, soutenu par l'Espagne. N'avait-il pour lui l'apparence de la légitimité ? Et puis, il y avait, acquis à sa cause, le Duc de Montmorency, Gouverneur de la Province, noble, beau et généreux, adoré des Languedociens et qui était un peu de chez eux.

Malheureusement le Putsch, comme l'on dit aujourd'hui, avorta. Le Roi, qui avait résolu de châtier lui-même l'insurrection, s'ėtait mis à la tête d'une armée et avançait par la vallée du Rhône ; il n'en eut pas le loisir ; il apprit, à Lyon, que les espoirs de Monsieur étaient venus expirer au pied même de Castelnaudary où le Duc de Montmorency avait été fait prisonnier par le Maréchal de Schomberg. Il poursuivit son chemin néanmoins, accompagné de l'armée et de la cour, désireux d'achever la paciflcation de la province. Mais le Roi cachait mal son irritation et la peur qu'il avait eue ; aussi l'atmosphère où s'effectuait le voyage manquait de sérénité; partout les villes demandaient leur pardon. Les gentilshommes, qui avaient pris parti pour Montmorency, faisaient l'obJet d'enquêtes judiciaires ; les châteaux-forts étaient détruits ; le château de Saissac que le temps n'avait osé défier, allait être démantelé pour toujours.

Quand il arriva à Castelnaudary, le Roi venait de Narbonne où il avait tenu les États du Languedoc, et où le Maréchal de Schomberg l'avait rejoint. Il était de mauvaise humeur, d'autant plus qu'à Sallèle d'Aude, une crue inopinée de l'Aude avait emporté trois carrosses de la Reine.

Il fut reçu à la porte de Carcassonne par les Consuls, mais avait interdit toute entrée solennelle. D'ailleurs Castelnaudary avait fort mauvaise réputation. Bien qu'elle ait eu la prudence de ne point se déclarer pour Monsieur (les Chauriens ont toujours été fort circonspects), les sympathies qu'y comptait Montmorency y étaient telles qu'on avait évacué en toute hâte le Connétable, pour le transférer au château de Lectoure. Il demanda à se rendre sur les lieux du champ de bataille. Ce fut le Maréchal de Schomberg, lui-même, qui lui servit de guide.

Schomberg
Le Maréchal de Schomberg.

D'où pouvait-il mieux la voir que du Moulin de Cugarel qui se trouve précisément au dessus et en face du champ de bataille ? Nous savons que, non seulement le Roi, mais aussi toute la cour qui l'accompagnait, eut la même curiosité. Elle traversa Castelnaudary en carrosse et sortit par la tour de l'Horloge, pour se rendre à pied, par un chemin qui coulissait le long des remparts. À côté du Roi, la Reine était entourée de ses dames, la célèbre Duchesse de Chevreuse et les duchesses de Montbazon et d'Uzès. Derrière le Roi se trouvaient les gentilshommes de la chambre parmi lesquels le Marquis de Saint-Simon, père du mémorialiste. Quatre maréchaux de France, Vitry, La Force, Châtillon et Schomberg assistaient à la scène que relevait de sa pourpre la robe de deux cardinaux : La Valette et Richelieu. Les officiers qui s'étaient distingués à la bataille eurent l'honneur de la décrire au Roi.

Le Maréchal de Schomberg en eut le principal mérite ; à la vérité, il avait fait fort peu de choses ; il s'etait contenté de faire passer son armée par un guė situé à la hauteur de Souilhanels, car celle de Monsieur tenait le seul pont convenable sur le Fresquel. Schomberg montra l'emplacement de son armée, entre la Ville et le Fresquel. Monsieur était au château du Castelet, très en retrait du champ de bataille.

Henri II de Montmorency
Henri II de Montmorency.

Le Roi avait appris, avec satisfaction, qu'il n'avait pratiquement pas bougé de la journée. Montmorency s'était installé avec sa compagnie sur une petite éminence où se trouve la ferme des Pélisses. Sur une sortie de la cavalerie de Monsieur, celle du Roi s'ébranla. Le Marquis de Brézé, qui la commandait montra au Roi le terrain diffi1cile, coupé de fossés et de haies où elle avait dû manœuvrer et qui donnait plus de valeur à son exploit. Le Comte de Moret, frère naturel de Monsieur, grièvement blessé, les Polacques (entendez les mercenaires polonais qui formaient sa compagnie) se débandèrent ; aux deux ailes, les officiers de Monsieur, rendus prudents par ce premier échec, attendaient prudemment des ordres qui ne venaient point. Alors Montmorency se dévoua. Le Baron de Laurières le vit deboucher d'un fossé profond ; dès qu'il apparut, un feu nourri de mousquets l'accueillit et arrêta net sa compagnie. Montmorency s'élança, presque seul. Les officiers présents soulignaient que l'armée royale ėtait moins nombreuse, mais les Duchesses ne pouvaient manquer de frémir à la folle bravoure de ce beau jeune homme qui avait percé les bataillons du Roi sur sept rangées, avant que son cheval ne s'abattit sous lui. Quand on le releva, il avait 16 blessures. Le Maréchal donna des ordres pour qu'on le soignât énergiquement. Il se garda d'ajouter que, lorsque le Duc entra à Castelnaudary sur un brancard, il fallut un détachement de gardes pour écarter la foule qui manifestait à haute voix son attachement à son Gouverneur.

Le Roi se montra satisfait et profita du moment pour annoncer ses grâces ; Schomberg reçut le gouvernement du Languedoc. Ses officiers se partagèrent les fiefs et les titres des nobles déchus pour crime de lèse-majesté. Les pensées des divers assistants divergeaient beaucoup ; celles de Richelieu étaient inquiètes, avec le recul du temps, on pourrait imaginer le Cardinal dominant le Roi et ses suJets de son autorité souveraine, on se trompe : en réalité, il etait toujours menacé dans sa charge, à la merci d'une intrigue ou d'un caprice royal ; pour l'heure, il ne quittait pas le Roi et tous ses soins ėtaient occupés à faire le vide autour de lui ; il voulait en particulier empêcher que les courtisans, qui partageaient au fond les idées de Montmorency, n'intervinssent en sa faveur. Car maintenant la grande affaire allait être de le juger. Richelieu songeait à quelque tribunal d'exception. Le Roi ne le voulut pas. Le soir, il partit pour Toulouse où il devait annoncer au Président du Parlement qu'il lui faisait l'honneur de le faire juge de Montmorency... honneur que le President apprécia très médiocrement. La cour partie, Castelnaudary retomba dans sa quiėtude habituelle. Les chauriens se doutèrent-ils qu'ils venaient de vivre une des plus grandes pages de leur histoire et que Louis XIII serait l'avant-dernier Roi de France à visiter leur ville ?

En tout cas, ils se montrèrent peu soucieux de garder des traces de cet évènement remarquable mais le Roi allait y songer pour eux et c'est le palais le plus prestigieux du monde qui devait en garder le témoignage. Quand on entre au château de Versailles, dans la première pièce du rez-de-chaussée, on peut voir un tableau aux couleurs un peu passées, sans nom d'auteur, qui porte en lettres d'or: «la bataille de Castelnaudary». Le peintre a dû prendre son croquis depuis le village d'Issel ; on reconnaît distinctement Castelnaudary, ses remparts et cette route de la porte de Mauléon, que franchit le Connétable pour la dernière fois ; on voit le champ de bataille où l'auteur a groupé en même temps plusieurs épisodes distincts d'un combat qui fut, à la vérité, fort court. On reconnaît distinctement Gaston d'Orléans au premier plan, ce qui permet de penser que le tableau fut commandé par ce Prince à Pourbus, qui fut son peintre attitré ; mais des livres de compte de Simon Vouet laissent croire plutôt que c'est Louis XIII lui même qui en passa la commande, lors même de l'époque de son voyage. On le comprend volontiers : que serait devenue l'Histoire de France si Montmorency avait triomphé à Castelnaudary ?

Roger Basset
Professeur d'histoire au lycée de Castelnaudary.

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