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Charlotte-Marguerite de Montmorency
Princesse de Condé 1593 -1650 - héritière du Duché

Durant toute la première moitié du XVIIe siècle, époque de troubles, d'intrigues et de passions, Charlotte-Marguerite de Montmorency participe à presque tous les événements, qu'elle les subisse ou les suscite. Dans les chroniques au jour le jour (Mémoires-Journaux de P. de 1'Estoile), les correspondances (de Malherbe à Peiresc, du Nonce, des ambassadeurs en poste à la Cour de France... ), et plus tard, les écrits des mémorialistes (Bassompierre, Sully... ) et des anecdotiers (Tallemant des Réaux), on la rencontre, si ce n'est à chaque page du moins à chaque chapitre. On dirait de nos jours que c'est une princesse «incontournable» , toujours sur le devant de la scène et sans cesse guettée, épiée par les échotiers...

Une enfance dorée

Charlotte-Marguerite
Charlotte-Marguerite de Montmorency jeune.

Charlotte-Marguerite de Montmorency est née, Vraisemblablement le 11 mai 1594 à Paris, en l'hôtel de Montmorency, rue Saint-Avoye , qu'avait aménagé et où mourut son grand-père le connétable Anne. Son père était le duc Henri Ier de Montmorency, né en 1534. D'abord seigneur de Damville, il devint duc de Montmorency en 1579 quand son frère aîné François mourut sans enfant. Il hérita également de la charge de gouverneur du Languedoc et Henri IV le fit connétable en 1593. C'était un personnage peu estimé de ses contemporains qui lui reprochaient sa brutalité, son avarice, son immoralité. Il savait mal lire et écrire et Sully se plaignait de son incapacité à lever suffisamment les impôts en Languedoc. On lui reconnaissait au moins une qualité : excellent cavalier, «il était à cheval aussi bien qu'homme du monde». Il faisait montre d'une grande pratique religieuse et se fit ensevelir en habit de capucin mais l'on plaisanta que, sans ce déguisement, il ne serait jamais entré au paradis. Il était presque l'égal des princes et beaucoup plus riche qu'eux. Veuf en 1591 d'Antoinette de la Marck (il lui restait deux filles : Charlotte, comtesse d'Auvergne et Marguerite, duchesse de Ventadour), il épousa le 29 mars 1593, âgé donc de 59 ans, une veuve de 18 ans : Louise de Budos. Il en eut deux enfants : Charlotte-Marguerite, qui porta le nom de ses deux demi-sœurs et Henri, né à Chantilly le 30 avril 1595. Ce mariage étonna. Louise de Budos, fille du vicomte de Portes, était certes considérée (même par l'austère Sully) comme l'une des beautés les plus excellentes de son temps, mais, pauvre et de petite noblesse, elle «n'était pas de naissance à prétendre à un connétable». Selon la rumeur, pour réussir ce fabuleux mariage, elle avait pactisé avec le diable. Lequel diable lui aurait rendu visite cinq années plus tard et l'aurait effrayée jusqu'à provoquer sa mort. Louise de Budos mourut en effet subitement à Chantilly le 26 septembre 1598. Charlotte-Marguerite a vécu ses trois premières années en Languedoc. Son père, souvent en Languedoc ou à Paris auprès du Roi, et peu soucieux d'élever une gamine, la confia à sa belle-sœur, la duchesse d'Angoulême, veuve de son frère aîné François. Fille naturelle d'Henri II, Diane de Valois légitimée de France, avait épousé à 15 ans, en 1553, Orazio Farnèse, duc de Castro, qui fut tué au combat six mois après le mariage. François de Montmorency l'épousa en 1559, plus pour satisfaire à l'ambition de son père, le connétable Anne, que par penchant véritable. À nouveau veuve en 1579, Henri III lui conféra le titre de duchesse d'Angoulême en 1582. C'était une personne de qualité, vertueuse dans un monde qui l'était peu, au point que les mauvaises langues de l'époque s'étonnaient de ne trouver rien à en dire. Elle s'occupa de l'éducation de sa nièce avec l'attention et l'affection d'une mère pour sa fille. Elle se rendait régulièrement à la Cour (Henri IV était le parrain du jeune Henri) et sans doute y emmena-t-elle la petite Charlotte-Marguerite qui s'y fit remarquer : «Elle n'avait que quatre ans que l'on vit bien que se serait une beauté extraordinaire».

En 1606, tante et nièce quittèrent Chantilly pour Paris et c'est en février 1607 que Charlotte-Marguerite est officiellement «présentée» à la Cour. Parmi les femmes rubicondes et couperosées, la fraîcheur de son teint apparaît comme une merveille. P. de l'Estoile la présente comme «la plus belle dame non de la Cour seulement, mais de la France». Sa blondeur, sa blancheur et sa jeunesse enjouée la font sumommer «Aurore».

Le dernier amour d'Henri IV

À la fin de l'année 1608, le Connétable promet sa fille à François de Bassompierre. À 29 ans, c'est l'un des hommes les plus en vue de la Cour. Ami intime d'Henri IV, amuseur sans trop de finesse, il a la répartie facile et collectionne les conquêtes. Quand la rumeur se répand de ce projet de mariage, le duc de Bouillon, cousin de Charlotte, (il est le fils d'Éléonore, sœur de son père) qui se trouve en rivalité avec Bassompierre pour un office, s'élève contre une union qu'il estime indigne de sa famille. Il avance le nom du prince de Condé. Une maladie du connétable interrompt les pourparlers. En janvier 1609, la reine Marie (de Médicis) prépare le ballet qu'elle donnera pour «carême prenant» (mardi gras). Douze nymphes participeront au triomphe de Diane. Toutes les dames de la Cour veulent en être et les amies du Roi le supplient d'intercéder auprès de la Reine. Henri IV, lassé d'être tiraillé entre épouse et maîtresses, ne veut plus rien savoir du ballet. Et pourtant, le 16 janvier, il assiste à une partie de la répétition. Il y voit Charlotte-Marguerite, l'une des nymphes, et en est aussitôt amoureux fou. Il veut Charlotte-Marguerite mais ne peut prendre pour maîtresse la jeune fille d'une des premières famille de France. Il lui faut donc la marier et à un époux complaisant. Bassompierre ne le serait pas. Henri IV lui demande de renoncer. Courtisan avant tout, Bassompierre obtempère. Charlotte-Marguerite sera donc princesse de Condé. Henri II de Bourbon, prince de Condé est né le 1er septembre 1588. Il est le «neveu» d'Henri IV. En fait, Henri IV et son père avaient le même grand-père : Charles de Bourbon. Il a connu une enfance malheureuse. Sa mère Charlotte-Catherine de la Trémoïlle (une cousine germaine de Charlotte-Marguerite), accusée d'avoir empoisonné son mari Henri Ier de Bourbon avec la complicité de son amant, le page Belcastel, a été emprisonnée. C'est donc dans une prison de Saint-Jean d'Angély que le jeune prince a passé ses premières années au côté de sa mère (qui sera finalement ---politique ou lassitude--- innocentée). Jusqu'à la naissance du dauphin Louis (futur Louis XIII) en 1601, il a été l'héritier présomptif de la Couronne. Henri IV a surveillé de loin son éducation comme il l'a obligé, pour obéir au Pape, à suivre son exemple : abjurer la religion réformée et se convertir au catholicisme. À 21 ans, il se présente sale, négligé, maladroit (on dirait aujourd'hui complexé), et passe pour avare, lâche et méchant. Qu'importe ! Il a le goût des voyages au loin et celui des jeunes garçons. Henri IV pense donc qu'il n'importumera pas son épouse. De plus, il est pauvre. La promesse d'une pension de 100.000 livres 1'aide sans doute à se soumettre à la volonté royale. Le mariage est décidé. Le contrat est signé en grande cérémonie au Louvre le 2 mars. Le Roi, est tout heureux, le Connétable bien fier «c'est un grand honneur que d'avoir pour gendre le premier prince du sang», Condé silencieux. Et Charlotte ? On ne lui a pas demandé son avis. Lorsqu'en janvier Henri IV lui a parlé de ses prochaines fiançailles avec Bassom- pierre, elle a répondu : «puisque c'est la volonté de mon père, je m'en estimerai bien heureuse». Elle obéit...

Le contrat est fastueux. Charlotte-Marguerite reçoit 450 000 livres et des promesses de terres et rentes. Elle renonce à l'héritage de ses parents au profit de son jeune frère Henri (héritage qui lui reviendra si celui-ci meurt sans enfant). Pour le mariage, il faut une dispense du Pape car Condé et Charlotte sont deux fois cousins : la mère du prince est une nièce du père de Charlotte et son père un petit-neveu. Dès le 3 mars, le lendemain de la signature du contrat, Henri IV charge son ambassadeur à Rome de la démarche. On attend ; la dispense arrive : c'est un bref que le Pape Paul V a accordé le 18 mars. Alors on s'active aux préparatifs du mariage. Le père de la fiancée se fait tirer l'oreille. La duchesse d'Angoulême doit le chapitrer ; elle lui écrit le 1er avril : «Monsieur mon frère, vous savez qu'il est temps de donner ordre à faire l'ameublement de ma nièce votre fille qui est si dénuée de toutes choses lui manquent et jusque aux chemises...» Elle doit insister le 14 avril : «si les choses ne se passent pas comme elles doivent, vous en aurez plus honte que moi».

Le Roi, par contre, ne lésine guère : il offre à Charlotte des bijoux pour 18 000 livres et sa toilette de mariée. Le 6 mai, il demande à Sully «... de faire délivrer incontinent par le trésorier de mon Épargne... Les six mille livres que j'ai données à ma cousine de Montmorency pour ses habits de noce»...

Henri IV ne cherche plus à cacher ses sentiments. Dès les premiers jours de février, il s'en est ouvert à Malherbe, poète de la Cour, et lui a demandé de les mettre en vers. L'amour le transforme : il peigne sa barbe, se montre coquet, rit, s'amuse et «fait toutes les folies que peuvent faire les jeunes gens». Cette passion du vieux roi pour une jouvencelle suscite bien des commentaires à la Ville comme à la Cour. Les ambassadeurs en écrivent à leurs souverains. Enfin le mariage a lieu «à Chantilly, à petit bruit» le dimanche 17 mai 1609. Charlotte est l'épouse du premier prince du Sang ; on l'appelle sans autre précision «Madame la Princesse». Elle a des obligations à la Cour ; son mari et elle doivent y être présents en certaines occasions. Condé --- sursaut d'orgueil ? prise de conscience de son importance ? assurance dûe à sa fortune nouvelle : le régime matrimonial est celui de la communauté de biens ? Jalousie sûrement pas, les jeunes époux ne s'apprécient guère --- ne se montre pas docile comme le Roi le souhaitait. Il évite autant que possible les séjours à la Cour. Lorsque Madame la Princesse y vient, Henri IV laisse, par la plume de Malherbe, éclater sa joie : «... Revenez mes plaisirs, Madame est revenue... » Charlotte se laisse courtiser. Son mari l'éloigne : Monsieur le Prince et Madame la Princesse séjournent dans leur château de Vallery, en Gâtinais. Le Roi exige leur présence à la Cour. Condé se rebiffe jusqu'à traiter publiquement Henri IV de tyran et, toujours en public, «dire pouille à sa mère qui servait d instrument pour corrompre la pudicité de sa femme». En septembre, il emmène Charlotte à Muret près de Soissons, et Henri IV, toujours Malherbe aidant, se plaint : «Madame est captive et son crime c'est que je l'aime ...

Excédé, le prince de Condé, le 29 novembre, «fait un trou à la lune» et s'enfuit avec Charlotte aux Pays-Bas. L'affaire est sérieuse : les Pays-Bas sont sous domination espagnole et la France est en «guerre froide» (le traité de Vervins en 1598 a mis fin à la guerre des armées) avec l'Espagne dont les possessions bordent la plus grande partie des frontières du royaume. Pour briser cet encerclement et s'opposer à l'hégémonie des Habsbourgs, Henri IV depuis plusieurs années noue des alliances avec toutes les puissances (la plupart protestantes) susceptibles de combattre les Habsbourgs d'Espagne et d'Autriche. Il se prépare à la «guerre ouverte» ; la coalition est en place et l'intervention des troupes françaises est prévue pour mai 1610.

Henri IV
Henri IV.

L'arrivée de Condé, premier prince du Sang, en révolte contre le roi de France embarrasse les archiducs gouverneurs des Pays-Bas (l'Infante Claire-Isabelle-Eugénie, tante du roi d'Espagne et son époux 1'archiduc Albert). Ils acceptent que Charlotte réside à Bruxelles chez la princesse d'Orange-Nassau, sœur de Condé. Elle y arrive le 5 décembre. Le prince, quant à lui, doit séjoumer quelque temps ailleurs. Il part donc, s'arrête le 8 décembre à Cologne et, ayant reçu l'autorisation des archiducs, vient à Bruxelles le 22 décembre. Charlotte est devenue la coqueluche de la ville ; elle est la reine de toutes les fêtes, adulée, courtisée ; pour elle, on dépense jusqu'à se ruiner. Elle introduit une demande d'annulation de son mariage, tandis que son père et sa tante réclament son retour en France. Henri IV envoie François-Annibal d'Estrées, marquis de Cœuvres (le frère de Gabrielle) en ambassade à Bruxelles avec mission officielle d'obtenir de Condé sa soumission à Henri IV et son accord pour le divorce et, mission officieuse, ramener Charlotte de gré ou de force. Nul besoin de force ; c'est avec plaisir que Charlotte se fera «enlever». Mais les Français manquent de discrétion et le soir prévu pour le départ, le 13 février 1610, le prince de Condé monte la garde, entouré de nombreux cavaliers en armes. L'enlèvement a échoué. Charlotte doit quitter l'hôtel de Nassau pour être consignée chez les archiducs où elle subira les rigueurs de l'étiquette espagnole. (On lui ôte ses deux suivantes, Chateauvert et Philippote, trop dévouées aux amours royales). Condé quitte Bruxelles et arrive à Milan le 31 mars. Au palais des archiducs, Charlotte n'a d'autre occupation que les dévotions. Avec l'Infante, elle participe à des offices, cérémonies et pélerinages ; Henri IV ne désarme pas. Il presse le Connétable d'éxiger le retour en France de sa fille, demande à la duchesse d'Angoulême d'aller à Bruxelles obtenir la libération de sa belle. Le 14 mai 1610, le poignard de Ravaillac met un terme à l'ultime et folle passion du roi Henri IV.

Madame la princesse

La nouvelle de 1'assassinat d'Henri IV parvient à Milan à la fin du mois de mai. Condé revient à Bruxelles le 18 juin, envoie une lettre d'allégeance à la Régente qui lui répond qu'il trouvera «auprès du Roi son fils et auprès d'elle le rang et le crédit que sa naissance et sa bonne conduite lui doivent faire espérer»! Il va donc rentrer à Paris mais seul. Il refuse en effet de rencontrer Charlotte et, quand chez les archiducs, il la croise, il s'en détourne. Lui, qui s'était enfui ridicule et méprisé, est accueilli en triomphe : des centaines de gentilhommes viennent à sa rencontre au Bourget le 16 juillet, après qu'il fût allé, habileté conseillée par la duchesse d'Angoulême, «à Saint-Denis où il fit dire une messe pour l'âme du feu roi». Premier prince du Sang, Condé aura naturellement place au Conseil de Régence et, déjà, l'on craint ou espère le pouvoir qu'i1 saura prendre. Devant la Reine-Mère Régente il proteste de son loyalisme, sans oublier de le monnayer : il obtient le comté de Clermont, l'hôtel de Gondi, faubourg Saint-Germain (à partir de 1612, on dira Hôtel de Condé. Cet hôtel s'étend sur l'emplacement de 1'actuel théâtre de l'Odéon et terrains adjacents, d'où le nom de la rue Condé), 90 000 livres de meubles et 25 000 de vaisselle d'argent. Sa pension, de 100 000 livres est portée à 400 000. Charlotte est toujours à Bruxelles. Les archiducs demandent à Condé de venir la chercher. Il refuse et c'est finalement la comtesse d'Auvergne qui «s'en alla en Flandres trouver Madame la Princesse sa sœur qu'elle ramena à Monsieur le Prince son mari». Condé et Charlotte sont décidés «à vivre en paix et amitié», mais, après quelques jours passés à Chantilly, Condé envoie son épouse à Vallery, lui restant à Paris. Charlotte ne reparaît à la Cour qu'en décembre 1610. Fière de sa naissance, de sa qualité, Madame la Princesse, à la fois aimable et hautaine, reprend très vite sa place : elle est de toutes les fêtes et aime y briller et séduire. Elle voyage aussi : pour des pélerinages à Chartres, Notre-Dame de Liesse et, en octobre 1611, aux Pays-Bas pour y remercier la princesse de Nassau et les archiducs de leur hospitalité passée. Le nonce Bentivoglio qui en fut amoureux deux ans plus tôt observe que Charlotte est encore «plus belle et plus propre à mettre de nouveaux incendies dans le monde». Elle offre de somptueuses réceptions à la Reine et participe, au premier rang, à toutes les cérémonies : déclaration de la majorité du roi Louis XIII, ouverture solennelle des États-Généraux en octobre 1614, garde d'honneur aux funérailles de la reine Marguerite de Navarre en mars 1615... Rien ne semble pouvoir altérer son éclat. Même une attaque de petite vérole à Amboise fin 1614 ne laisse aucune trace (?) Condé joue les trublions. Au Conseil de Régence, devenu «Bourbon d'opposition», il s'élève contre l'autorité de la Régente et surtout s'irrite de l'ascension de Concini. Il sait que pour calmer «les Grands», Marie de Médicis n'a d'autre solution que de les combler de largesses. Il en profite. Un jeune évêque, arrivé de Luçon pour tenter fortune politique à Paris, note que «ce n'est pas un mauvais conseil de retenir... les esprits remuants avec des chaînes d'or» Mais rien ne semble pouvoir retenir Condé. Tout lui est prétexte à s'agiter, brouillon, inconséquent, déloyal envers le pouvoir comme envers ses amis de complots. Il tente de s'opposer aux mariages espagnols du Dauphin et de sa sœur Madame Elisabeth, trouble les travaux des États Généraux, monte le Parlement contre la Régente qu'il accuse d'avoir dilapidé le trésor entassé à la Bastille, agite la rue faisant une véritable «campagne de porte-à-porte», prend à l'occasion les armes mais sans succès (il est même tenu en échec devant Poitiers par les bourgeois menés par leur évêque), tente de soulever les huguenots, qui ne s'en laissent pas conter, se retire dans ses terres quand la Régente préfère pouvoir le surveiller à Paris... Pendant six années, le prince de Condé se rebelle, entre en pourparlers, négocie, ô combien, sa soumission, dénonce ses complices et bientôt recommence. Richelieu calculera que, par traités : Sainte-Menehould en mai 1614, Loudun en mai 1616 ou libéralités après serment d'allégeance, en six années : 1610-1616, Condé reçoit 3 millions de livres, sans compter les gouvemements Amboise, le Beny, les places, les domaines. Et pourtant... Fin juillet 1616, Condé rentre à Paris, s'incline au Louvre devant le Roi et la Reine-Mère, et aussitôt complote avec d'autres princes : Bouillon, Guise, Maine... pour se défaire de Concini. Le plan pour l'exécution est mis au point. Mais Condé hésite ; il parle à la Reine-Mère, sans tout lui dire. Marie de Médicis, sur les conseils de Richelieu, décide de faire arrêter les Conjurés. Le 1er septembre 1616, Condé est arrêté au Louvre. Le colonel des gardes suisses qui assurent la garde du palais n'est autre que Bassompierre ! Seconde ironie de 1'histoire, Condé est d'abord enfermé dans la chambre où Henri de Navarre avait été prisonnier lors de la Saint Barthélémy ! Charlotte se tient à l'écart des menées de son époux. S'ils ont décidé de faire bonne figure, s'ils ne se détestent plus, ils ne s'aiment pas. Comme Charlotte 1'avait fait à Bruxelles, Condé a souhaité la dissolution du mariage. Et cependant, dès que son époux est arrêté, Charlotte se précipite et supplie la Reine-Mère de pouvoir au moins le rencontrer. La Reine refuse et lui enjoint de s'exiler à Vallery Condé, transféré du Louvre à la Bastille le 24 septembre, demande la rupture de son mariage. Le Pape n'accordera 1'autorisation qu'avec Passentiment de l'épouse. Charlotte déclare préférer mourir que le donner. Elle quitte Vallery, s'installe à Saint-Maur-des Fossés et ne cesse de harceler le Roi. Elle obtient de rejoindre Condé à la Bastille le 26 mai 1617. Confiné dans une prison sans confort, le couple se réconcilie. Le 15 septembre on les transfère au donjon de Vincennes. L'humidité, le froid, l'insalubrité mettent leur santé à rude épreuve. En décembre 1617 et septembre 1618, Charlotte met au monde des enfants mort-nés. Condé tombe malade en mars 1619 au point qu'on lui accorde de recevoir les visites de sa famille. Le 28 août Charlotte donne naissance à une fille : Anne-Geneviève et, le 20 octobre, Condé est libre. Il rencontre Louis XIII à Chantilly ; le 9 novembre, une déclaration royale reconnaît son innocence (!) et lui restitue charges et dignités. Charlotte a prouvé son attachement conjugal, par sens du devoir plus sans doute que par affection. Elle est toujours aussi belle, mais la prison l'a mûrie. Elle s'installe à l'hôtel de Condé tandis que son mari séjourne dans ses nombreux domaines. Le 8 septembre 1921, Madame la Princesse donne naissance à un fils Louis II de Bourbon (le futur Vainqueur de Rocroi). Le Prince, gouvemeur du Berry se trouve à Montrond. Il y fait venir l'enfant car il tient à s'occuper personnellement de son éducation. Ce n'est donc que par lettres et rares rencontres que Charlotte suit les progrès de son fils. Le 6 mai 1626, en la cathédrale de Bourges, elle assiste, très entourée, au baptême de son fils dont la marraine est la Reine-Mère. L'enfant reçoit alors le titre de duc d'Enghien.

Henri II de Bourbon
Henri II de Bourbon.

Carmel et vie Mondaine

Si elle voyage, parfois pour suivre ou rejoindre son époux, pour se reposer à Vallery ou prendre les eaux à Vigny, Charlotte le plus souvent vit à Paris, dans l'hôtel du faubourg Saint-Germain. Les Condés se trouvent maintenant au sommet de la pyramide des fortunes et Charlotte peut aménager somptueusement cet hôtel. Des dizaines de serviteurs, dirigés avec fermeté et bienveillance, en assurent la bonne marche. Charlotte partage son temps entre sa famille, la Cour, les fêtes, les dévotions et charités. Le 11 octobre 1629 naît un second fils : Armand de Bourbon qui sera prince de Conti. C'est un enfant chétif, maladif et ses parents le destinent à l'Église. Charlotte intrigue pour lui obtenir les bénéfices de plusieurs abbayes : Saint-Rémi, Cluny, Lérins, Saint-Gerrnain d'Auxerre... Elle suit de près l'épanouissement de sa fille Anne-Geneviève que, bien vite, elle emmène au Palais, dans les salons et les églises. À la Cour, Charlotte tient son rang de première princesse du Sang et peut se montrer susceptible si par malice ou mégarde on ne lui accorde pas la prééminence. Elle est d'abord très proche de la reine Marie de Médicis puis devient une amie véritable d'Anne d'Autriche : «la douceur de la compagnie ... de_ ma cousine la princesse de Condé m'est si agréable...» L'ascendant de Charlotte sur la Reine suscite médisance et cabales mais la Reine toujours donne raison à Charlotte. Si elle obtient quelque succès quand il s'agit d'assurer l'avenir de ses enfants, Charlotte échoue quand elle se mêle d'affaires de Cour (mariage de Mademoiselle de Montpensier) et se heurte à l'inflexibilité du Roi et du Cardinal-Ministre quand la raison d'État est en cause. En 1627, elle ne peut obtenir la grâce de son cousin Montmorency-Boutteville qui a nargué Richelieu en se battant en duel place Royale et surtout, en 1632, elle ne parvient pas à sauver son frère chéri, compagnon des jeux de son enfance. Henri II de Montmorency, duc et pair du royaume, gouverneur du Languedoc, maréchal et amiral, «brave, riche, galant, libéral... » aimé de tous et de toutes «il n'y avait pas une femme... qui ne voulut, à toute force, en être cajolée... », attend dans un cachot à Toulouse, d'être jugé pour avoir suivi Gaston d'Orléans dans l'une de ses révoltes, soulevé le Languedoc et combattu les armées du Roi. Charlotte accourt pour se jeter aux pieds du Roi. Chaque jour des princes, des ambassadeurs au nom de leur souverain, le Pape même, le peuple dans la rue, implorent la grâce. Louis XIII refuse. Apprenant la venue de Charlotte, il lui envoie un message à Cahors : «Arrêtez-vous !». Charlotte n'en a cure, Richelieu vient au devant d'elle, pleure et l'empêche de voir Louis XIII. Henri II de Montmorency est exécuté le 30 octobre 1632. Jamais Charlotte ne pardonnera. En mars 1633, Louis XIII restitue à ses sœurs les biens confisqués d'Henri de Montmorency (à l'exception de Chantilly). Condé, insatiable, ose réclamer les biens personnels de sa belle-sœur Marie-Félice, veuve du duc Henri. En janvier 1634, les Condés vendent à J-J de Mesmes l'hôtel de la rue Saint-Avoye. Charlotte se rend de plus en plus souvent au Carmel du faubourg Saint-Jacques. Elle y emmène sa fille et, en novembre 1637 obtient une dispense lui donnant la qualité de «fondatrice» du Carmel. Elle peut y entrer à son gré ; une cellule lui est affectée. Elle y fait pénitence et assiste quand elle le veut aux offices de nuit. Elle n'en oublie pas ses obligations à la Cour, l'amitié de la Reine et l'hôtel deRambouillet. Charlotte connaît bien Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet qui accueille une société raffinée, élégante et cultivée, mal à l'aise à la Cour où la grossièreté est de mise. Charlotte vient presque chaque jour chez son amie. Elle y retrouve bien sûr des hommes et des femmes de la haute noblesse et aussi des poètes : Comeille, Voiture, Balzac, Chapelain... et le Cardinal de la Valette, «prélat des plus galants» qui trouve là «un milieu convenant à ses goûts des moins ecclésiastiques». Sans se départir de sa fierté, Charlotte accepte les hommages, les flatteries et se plaît à faire des conquêtes. On murmure que le Cardinal de la Valette se ruine pour elle. Voiture n'hésite pas à écrire des vers de mirliton .


«En grâce, en beauté, en attraits, »
«Nulle n'égalera jamais... Landrirette»
«La divine Montmorency»
«Landriry»...

À son tour Charlotte tient salon à 1'hôtel de Condé. S'y retrouve la même société, qui se sent plus libre, moins guindée. Chez Madame la Princesse, on rit, on s'amuse des galanteries, on observe, on épie les intrigues. Anne-Geneviève de Bourbon, la fille de Charlotte, avec ses amies : Mademoiselle de Rambouillet, Julie et Angélique d'Angennes, Louise-Marie et Anne de Gonzague, Isabelle de Boutteville... bientôt rejointes par le duc d'Enghien et ses amis représentent la jeunesse. Charlotte s'intéresse aux actions de son mari. Elle déplore ses échecs militaires : au siège de Dôle en 1636 et au siège de Fontarabie en 1638. À la Cour, elle assiste, toujours au premier rang des privilégiés, à la naissance du dauphin, le 5 septembre 1638 et, le 21 septembre 1640, à celle du second fils de France. Condé souhaite marier son fils aîné, que l'on appelle «Monsieur le Duc» , à la nièce de l'homme le plus puissant du moment, le cardinal-premier ministre. Richelieu donne son accord en 1638. Charlotte est peu enthousiaste ; elle espère mieux pour son fils et ne peut surmonter sa rancœur. Monsieur le Duc, quant à lui, ne trouve que peu d'attraits à sa fiancée, Claire-Clémence de Maillé-Brézé. En attendant le mariage, il fait ses premières armes en Picardie sous le commandement du maréchal de la Meilleraye. Il participe à la prise d'Arras et Charlotte apprend avec fierté que le «comportement de Monsieur le Duc fut au-dessus de tout éloge». Le mariage est célébré le 11 février 1641 et, aussitôt, Richelieu organise la vie de son nouveau neveu, l'éloignant de sa mère. Le Cardinal sait que les belles amies de sa sœur détournent Monsieur le Duc de sa jeune épouse et que sa mère dépense trop. Car, pour maintenir son brillant train de vie, et puisque son époux est toujours aussi ladre, Charlotte s'endette. Elle se tourne un jour vers Richelieu pour lui demander de l'aider à régler «quelques petites dettes d'envi— ron 30 000 livres». Richelieu répond : «Si Madame la Princesse fait des dettes, c'est à elle de les payer». Anne-Geneviève, brillante et séductrice autant, ou plus, que sa mère, est très courtisée, recherchée. Le 2 juin 1642, elle épouse, plus exactement on lui fait épouser, le duc de Longueville qui ne lui plaît guère. Elle cherche bien vite ailleurs diversions et consolations. Le 21 avril 1643, le Dauphin Louis-Dieudonné, le futur Louis XIV, est baptisé ; son parrain est Mazarin et sa marraine Charlotte. Le 19 mai, Monsieur le Duc remporte l'éclatante victoire de Rocroi. Charlotte écrit à son fils ; «Je ne puis vous dire combien votre bonheur donne de joie à tout le monde». Elle reçoit compliment et félicitations ; l'hôtel de Condé ne désemplit pas. Les drapeaux pris aux Espagnols y sont exposés quelques jours. Charlotte entreprend des pélerinages d'actions de grâces. Cette fierté ostentatoire n'est pas du goût de tous ; une cabale se monte, menée par la duchesse de Montbazon et le duc de Beaufort, surnommés «les Importants» . Le soutien d'Anne d'Autriche, régente depuis quelques jours (Louis XIII est mort le 14 mai) à la princesse de Condé ne se dément pas ; les jaloux se taisent. En octobre, Chantilly est attribué aux Condés. Si Charlotte retrouve avec joie et émotion le domaine merveilleux de son enfance, y réside souvent au milieu d'une cour brillante, son mari n'est pas satisfait ; il demande plus encore pour lui-même et son fils, au point de lasser Mazarin. Charlotte ne délaisse pas la Cour. Elle est fréquemment aux côtés de la Reine qu'elle accompagne aux offices religieux et dans les visites aux pauvres, malades et prisonniers. Sa piété en effet se développe. Elle fréquente assidûment le Carmel du faubourg Saint-Jacques et sa paroisse : Saint-Sulpice, dont le curé, Monsieur Olier, est son directeur de conscience. C'est par lui qu'elle rencontre Monsieur Vincent (Saint Vincent de Paul). Charlotte participe aux activités des Dames de la charité, dont certaines réunions se tiennent en l'hôtel de Condé. Elle repré- sente la famille royale parmi les Dames de charité. Comme elle le faisait pour ses plaisirs, elle dépense largement pour secourir les misères. Monsieur Vincent admire sa générosité et son ardeur : «J'ai vu Madame la Princesse aller à pied en 25 ou 30 maisons visiter les pauvres, les consoler, les traiter... » Monsieur Olier ne lui passe rien. Au cours d'un sermon, il lui reproche publiquement d'avoir manqué une heure d'adoration parce qu'elle accompagnait la Reine dans une visite aux prisonniers : «il eut été plus louable de venir faire sa cour au Roi des Rois». Sa famille, ses amis deviennent sources de joies, d'inquiétudes et de peines. Son fils, que l'on appellera «le Grand Condé», est en campagne et, si ses victoires ajoutent à sa gloire, sa mère sans cesse redoute blessures ou coups mortels. Sa bru a donné naissance le 27 juillet 1643 à un fils, Henri-Jules. Cette naissance d'un héritier ne réjouit pas les Condés ; elle empêche de rompre le mariage avec la nièce du cardinal détesté et d'envisager une union plus brillante. La duchesse de Longueville, à la recherche de plaisirs, mène une vie qui scandalise ; une amie très chère, Louise-Marie de Gonzague épouse le roi de Pologne et quitte la France... Charlotte s'angoisse et trouve de plus en plus refuge dans les dévotions et les œuvres de charité. Au lendemain de Noël 1646, le prince Henri II, son époux, meurt en l'hôtel de Condé. Le duc d'Enghien devient prince de Condé et Charlotte «Madame la Princesse douairière» . Un douaire confortable, estimé à près d'un million de revenus annuels. Madame de Rambouillet, amie un peu vipérine, déclare : «les seules belles journées de Madame la Princesse avec son mari furent celle de ses noces, qui lui procurait une brillante situation, et celle de la mort du Prince, qui lui rendait la liberté avec la jouissance de ses biens». Charlotte fréquente toujours la Cour mais elle y a perdu la première place. Elle effectue un voyage à Moulins pour visiter la veuve de son frère, Marie-Félice, qui s'est retirée dans un couvent. Lors de la Fronde Parlementaire (avril 1648-mars 1649), la duchesse de Longueville prend fait et cause pour le Parlement contre Mazarin. Charlotte essaye de raisonner sa fille et bientôt son fils Condé, le plus en vue des princes, le héros glorieux, s'agite et, se considérant comme le premier personnage du royaume après le duc d'Orléans, réclame pensions et gouvemements et ne cache pas son désir de chasser Mazarin et prendre sa place. C'est la Fronde des Princes. La rébellion (ah, la tradition de la trahison chez les Condés ! ) finit par lasser. Le 18 janvier 1650, les deux fils de Charlotte : Condé et Conti, ainsi que son gendre Longueville sont arrêtés et enfermés à Vincennes. Sa fille, est en fuite, errant en Norrnandie et aux Pays-Bas. Charlotte reçoit l'ordre de quitter Paris et de se retirer dans l'une de ses terres. Elle s'installe à Chantilly.

Louis II de Bourbon, le grand Condé

Louis II de Bourbon
Louis II de Bourbon, le Grang Condé

Au milieu de quelques fidèles, Charlotte évoque ses souvenirs : l'amour fou d'Henri IV, bien sûr, la fuite et le séjour à Bruxelles, les assiduités maladroites du nonce Bentivoglio «j'avais une étoile favorable pour me faire aimer des vieillards...» la méchanceté de Richelieu, les salons, les fêtes de la Cour Le 11 avril on lui ordonne de se retirer à Montrond. Charlotte n'en fait rien. Elle demeure à Chantilly puis vient à Paris où elle se réfugie chez la duchesse de Châtillon, née Isabelle de Montmorency. Elle se rend au Parlement, présente une requête contre Mazarin et surtout demande grâce pour ses fils. Mais elle en fait trop. Elle abandonne toute fierté, gémit, supplie, tente d'ameuter la rue. En vain. Elle se retire à Bourg-la-Reine et, en mai, trouve refuge chez sa «cousine» à Châtillon-sur-loing (aujourd'hui Châtillon-Coligny). En octobre elle est gravement malade ; 1'archevêque de Sens lui administre les derniers sacrements ; elle meurt le 2 décembre 1650. Sa dépouille est lentement transférée à Paris. Selon ses voeux, elle est inhumée dans le petit cimetière du Carmel du faubourg Saint-Jacques, après que, le 23 décembre un hommage solennel : l'ensemble du Clergé de Paris, le Parlement, de nombreux évêques et archevêques, les membres de la famille royale, les princes, les grands seigneurs, les ambassadeurs... lui ait été rendu, avec toute la pompe de l'époque, en l'église des Cordeliers.

Faut-il juger Charlotte-Marguerite de Montmorency ? Elle s'est laissée courtiser, gamine, par un vieil hom-e ; mais c'était le Roi de France et son père n'avait-il pas 59 ans quand il épousa une veuve de 18 ans ? Elle n'aimait pas son mari, mais lui l'a détestée et, toujours, s'est méfié d'elle. Elle fut coquette mais elle brilla dans les salons et séduisit les esprits les plus fameux. Elle fut dépensière mais autant pour la charité que pour le faste. Elle fut jalouse du bonheur de ses enfants. Jamais elle ne faillit à ses devoirs de première princesse du Sang. Souvenons-nous seulement qu'el- le accomplit avec sérieux et conscience son «métier». Elle fut en tout et toujours «Madame la Princesse».

Roger Basset

Notes

*Pour donner un ordre de grandeur, on peut estimer qu'une livre du début du 17e siècle correspond à 100 de nos francs, soit, à peu près, 15 €. Cette estimation n'est qu'une approximation qui ne peut rendre compte précisément du pouvoir d'achat. On sait que le salaire mensuel d'un ouvrier était d'environ 25 livres par mois. En 1615, Louis XIII donne à Marsillac une charge de gentilhomme de sa maison, capitaine dans une compagnie de gardes aux appointements annuels de 2.400 livres.

Bibliographie

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