Bandeau de navigation
aa-accueil bulletin publications conferences expositions sorties autres

Une journée dans l'Aisne :
Autour de Fère en Tardenoise

Nous étions une quarantaine, ce samedi de juin 1994, à découvrir une région méconnue, mais au riche passé : l'Aisne, ses forêts, ses châteaux, ses lieux chargés d'une histoire plus ou moins heureuse. Notre première halte fut chez François Ier, dans son château de Villers-Cotterêts, celui qu'il appelait «Mon plaisir». Des artistes comme Jean Cousin, Jean Goujon, les Clouet, ont contribué à sa décoration et y ont apposé partout le sceau du roi : la salamandre, les fleurs de lys, les «F» couronnés et sa devise : «je nourris le bon et j'éteins le méchant». François Ier y signa plusieurs ordonnances : celle de 1539 fut particulièrement importante puisqu'elle fit remplacer le latin par le français dans les actes notariés et instaura l'obligation de tenir un registre des baptêmes et des sépultures.

Notre deuxième halte nous fit faire un saut dans l'histoire car si cette région fut le témoin des fêtes et des chasses des rois de France, elle connut aussi les douloureux combats de la guerre de 1914-1918. Comment ne pas être impressionné par le témoignage sculpté dans le granit rose par Paul Landowski et dressé au sommet de la butte Chalmont, à Oulchy le Château ? Le «monument des fantômes» est là pour rappeler la résistance puis la victoire des «poilus» en juillet 1918, lors de la deuxième offensive de la Marne. Mais nous approchons des terres du Connétable Anne de Montmorency qui nous attend en son château de Fère-en-Tardenois.

Fère-en-Tardenois
Le château de Fère-en-Tardenois.

Après trois siècles d'existence, cette forteresse construite au XIIIe siècle, par Robert II, Comte de Dreux et de Braine, neveu du roi Louis VII, pour la protection des frontières de 1'Ile de France, fut donnée par François Ier au Connétable Anne de Montmorency, en dotation princière à l'occasion de son mariage avec Madeleine de Savoie en 1527. C'est par un acte, passé à Paris, le 21 Août 1528, «que le prince François, par la grâce de Dieu, Roi de France, reconnut avoir donné à hault et puissant seigneur messire Anne de Montmorency et à dame Magdeleine de Savoie, son espouse, la baronnye, ville, chastel et chastellenie de Fère en Tardenoys». Une fois en possession de son nouveau domaine, Anne de Montmorency, prit pour capitaine de Fère, Christofle de Garges, le frère de Pierre de Garges, son capitaine de Chantilly : le connétable étant grand amateur de chasse, Christofle de Garges veille particulièrement à la conservation du gibier et à son accroissement, mais il entreprend également une tâche urgente et gigantesque, la clôture du parc «qui contient six mille quatre cents trois toises». Dès 1529, Montmorency entreprit d'agrandir son domaine de Fère par l'acquisition de territoires voisins. Le 24 mai 1531 ; le père du Connétable, Guillaume de Montmorency, mourait : Anne héritait du titre de baron et des biens paternels. Il ne lui manqua plus rien pour accueillir sous son toit, avec éclat le roi de France et sa cour : de même que Chantilly, Fère reçut la visite royale : la première fois, en 1533, puis en 1535 et encore en 1537, chaque fois pour quelques jours. À la mort de Guillaume de Montmorency, la transformation du grand château de Chantilly est à peu près terminée, le chantier de Fère va bientôt s'ouvrir à son tour : on met la pioche dans la forteresse de Robert de Dreux, les arcatures gothiques s' écroulent, les tours d'enceinte restèrent debout mais le jour y pénétra par des fenêtres ouvertes sur l'extérieur. Le château renaissance est moins une défense militaire qu'un relais pour la chasse et le voyage ; les mécènes que sont nombre de seigneurs font construire pour occuper à leur profit les artisans qui s'inspirant de l'antiquité classique, renouvellent l'architecture et la décoration. Ainsi Jean Goujon et Jean Bullant sont supposés avoir transformé le rude château-fort médiéval en un château de plaisance et de chasse, selon le goût de la Renaissance. Une porte agrémentée de légers motifs omementaux et flanquée de deux colonnes que rehausse de place en place l'alérion symbolique des Montmorency et aussi une grande épée de Connétable, auj ourd'hui très mutilée, s'encastra entre les deux éperons gardant l'entrée du manoir. Cette porte donnait accès dans un «vestibule» d'une magnifique construction en pierre de taille. Un document du plus grand interêt, conservé aux Archives Nationales fournit sur l'ancien état des lieux, méconnaissables aujourd'hui par suite de la démolition d'une grande partie des bâtiments, des précisions permettant d'imaginer ce que fut le château : il s'agit du procès-verbal de visite du château par les officiers du baillage de F ère, chargés par le duc d'Orléans en 1769, de reconnaître 1'état de son domaine. Il décrit le bâtiment en ces termes : «le corps de logis est composé d'un rez-de-chaussée, de deux étages et d'un en-mansarde le couronnement de toutes les croisées de l 'étage des combles est parfaitement sculpte', de même que tous les médaillons des dessus de portes». Il apparaît que les appartements étaient tous «d'une très petite étendue», à cause des corridors de dégagement pris dans la largeur du corps de logis. Les escaliers de toute beauté ainsi que leurs voûtes parfaitement exécutées en pierre de taille, occupent un espace immense. Toutes les charpentes, toutes les menuiseries étaient en bois de châtaignier ; les planchers étaient carrelés et constituaient de véritables œuvres d'art : ils représentaient des arabesques, des fleurs, des oiseaux, des têtes grimaçantes, réminiscences d'antiquité ou caricatures populaires, tout celà peint sur fond d'émail blanc où le bleu se mêlait au jaune et au vert. Comme les carreaux d'Ecouen éxécutés à la même époque, il est à peu près certain que ceux de la chapelle de Fère sortaient des ateliers de Masséot Abaquesne, potier à Rouen. La chapelle occupait deux étages d'une des tours : elle séparait l'appartement du seigneur situé au dessus de la porte d'entrée de celui réservé au roi, desservi par l'escalier d'honneur. Le souverain jouissait d'un oratoire particulier, communiquant à la fois avec sa chambre et avec la chapelle. Ces détails sont fournis par deux inventaires datant l'un de 1552 et l'autre de 1569, grâce auxquels toute la distribution intérieure du logis a pu être reconstituée. Mais, dans cet inventaire, il n'est pas encore fait mention de la galerie monumentale au dessus du pont et on pense qu'elle n'aurait pas été achevée avant 1560 : c'était un long corridor éclairé de chaque côté par quatorze baies carrées, dont le sol était carrelé de grands carreaux de pierre blanche et auquel se superposait un étage bas, à plafond cintré. Une façade luxueuse omée de colonnes et de sculptures en bas-relief servait d'entrée à cette galerie supportée par cinq arcades gigantesques. Deux grand bas reliefs oment à leur sommet les piles centrales du pont : l'écu seigneurial en occupe le milieu, supporté par deux figures ailées, dans le style de Jean Goujon. En l'absence de son propriétaire et de ses hôtes, le château ne conservait qu'un ameublement sommaire : un lit, une table ; deux ou trois sièges dans chaque chambre, le reste, tapisseries, gamitures diverses demeurait rangé dans les galetas. Ils n'étaient sortis qu'à1'arrivée du maître et de sa «compagnie».

Fère-en-Tardenois
Plan du château de Fère-en-Tardenois.

Mais quittons le château pour voir un bâtiment au cœur de la ville de Fère : la vieille halle a été édifiée en 1540 et 1e connétable Arme de Montmorency fut également à l'origine de sa construction. Sa charpente fut édifiée avec les châtaigniers du parc du château voisin. Mais après le connétable, que devint ce château qu'il avait embelli pour en faire une demeure digne des seigneurs de la Renaissance ? À la mort d'Henri II de Montmorency, décapité à Toulouse en 1632, les biens de la famille de Montmorency furent attribués aux Condé, puis le duc de Chartres vendit le château en 1779, pour en tirer des matériaux de construction, destinés à la ville proche. Ce qui restait du château fut laissé à l'abandon. Ce n'est qu'en 1971, que le château fut racheté par M. de la Trameyrie, qui entreprit sa restauration, avec l'aide des équipes de jeunes du «Vieux Manoir» : les piles du pont-galerie ont été consolidées et l'escalier d'accès partiellement refait. Enfin en 1984, M. de la Tameyrie en a fait don au Conseil Général qui depuis cette date en a assuré la restauration.

Elisabeth Pochon

Valid XHTML 1.0 Strict Dernière mise à jour le 16/12/2022 à 22:26./.
© 2016-2024 Société d'Histoire de Montmorency et de sa région.