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La vie à Montmorency au XVIIe siècle

Une croissance démographique en dents de scie

Combien d'habitants notre ville compte-t-elle ? Comment cette population évolue-t-elle ? Il est difficile de répondre de façon précise à ces deux questions car aucun chiffre n'est connu pour cette période ; il nous faut donc partir des données fournies par les registres paroissiaux dont la série débute en 1623.

Le décompte des baptêmes et des décès indique qu'en «années normales» l'accroissement naturel oscille autour de 12 à 15 personnes, le taux de natalité atteignant au moins 40‰.

Les naissances sont nombreuses : une en moyenne tous les 18 a 24 mois ; mais la mort frappe tôt et fort : la mortalité infantile (d'1 jour à 1 an) est de 28‰, dont 15‰ dans le premier mois ; les autres décès survenant pendant les mois d'été à cause de la chaleur, de l'ingestion d'eau non bouillie etc... Entre 1 et 10 ans, disparaît encore le quart des enfants, enlevés par les nombreuses maladies : variole, coqueluche, rougeole... contre lesquelles on ne sait les protéger. Avec un peu de chance, car les épidémies sont fréquentes, ce sont donc 2 enfants sur 4, soit la moitié d'une classe d'âge, qui arrive à l'âge du mariage.

De nombreuses naissances mais peu d'enfants survivants, tel est bien l'exemple donné par la famille de Cléophas de la Forge, un tonnelier montmorencéen qui se marie en juillet 1657. D'avril 1658 à janvier 1678, sa femme va mettre au monde 14 enfants parmi lesquels 5 meurent avant 1 an, 1 décède à 1 an, 3 entre 4 et 6 ans, 1 à 19 ans et un autre à 21 ans, victimes d'épidémies. Il n'y a donc que 3 enfants, dont 2 se marient à Montmorency, qui atteignent 25 ans. Cléophas n'a jamais eu ensemble à son foyer plus de 5 enfants.

Une croissance de 12 à 15 personnes en «années normales» disions-nous, mais ces années sont rares. Alternent en effet, les périodes de croissance et de déficit ; les fluctuations du nombre des baptêmes et des décès sont considérables et provoquent une croissance en dents de scie.

Après la période de reprise économique et démographique qui a marqué la fin des guerres de Religion et le règne d'Henri IV, le nombre des baptêmes atteint vers 1631--1636, une moyenne annuelle de 63, ce qui, si l'on accepte le taux de natalité de 40‰ retenu par les spécialistes, donne 1575 habitants. Puis, de 1648 à 1662, survient une période de crise : à 4 étés «pourris» ayant généré de mauvaises récoltes et donc la cherté du pain et la sous-alimentation, sont venus s'ajouter, lors de la Fronde, les mouvements de troupes qui ont entraîné ruines, maladies et surmortalité (1) : 389 décès de montmorencéens sont enregistrés pour la seule année 1652.

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Croissance démographique à Montmorency
Croissance démographique à Montmorency.

La reprise démographique est lente car les mauvaises récoltes se succèdent jusqu'en 1661, année de la plus importante famine du siècle, si bien que la ville ne compte plus en 1663 que 1200 personnes : le quart de la population a disparu.

Le mouvement s'accélère ensuite et vers 1680, la moyenne des baptêmes atteignant 52,6, la population doit être de 1315 habitants. Le répit dure encore 12 ans, avec en 1691 une moyenne de 60,5 baptisés soit 1512 montmorencéens. Mais le XVIIe siècle connaît une période de refroidissement de l'atmosphère et ce « petit âge glaciaire» aux étés frais et humides et aux hivers rudes se caractérise par de nombreuses épidémies et quelques hivers particulièrement meurtriers, tels ceux de 1693 et 1694. On compte alors, au lieu de 50 à 55 décès annuels, 186 inhumations dont 65 d'octobre 1693 à avril 1694 et 49 de juillet à décembre 1694.

Cette surmortalité se traduit par ume baisse de la nuptialité (on ne relève que 3 mariages en 1693 et 6 l'année suivante) et un déficit des naissances. La reprise sera, cette fois, plus lente qu'après la Fronde car les guerres de la fin du siècle, financées par des impôts de plus en plus lourds, rendent la vie difficile et le rigoureux hiver 1709--1710 n'arrange rien. En 1714, la ville ne compte que 254 feux, soit à 5 personnes par feu fiscal : 1270 habitants : c'est à peu près le même nombre qu'en 1680, mais cela représente 20 % de moins qu'en 1633.

Victime de la météo, des famines et des guerres, la population, en 80 ans, a diminué d'un cinquième.

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Endogamie ou exogamie géographique ?

Où les montmorencéen(e)s vont-ils chercher leurs conjoints ?

«Aux manants et habitants». Tous les textes de l'époque annonçant les décisions royales ou seigneuriales commencent ainsi, marquant la différence que l'on établit alors entre les manants : c'est-à-dire les personnes originaires du lieu et les simples habitants , venus d'ailleurs mais y résidant. Ces «horsins» (étrangers) sont constitués par les cadres administratifs du duché, quelques commerçants et surtout par les conjoint(e)s des montmorencéen(ne)s de souche.

Combien sont-ils ? D'où viennent-ils ? La réponse nous est donnée par les registres des mariages.

L'étude de 4 décennies, réparties entre 1623 et 1695 et portant sur 568 unions, nous permet de constater que les 2/3 des monnnorencéens pratiquent l'endogamie puisque dans 195 cas seulement l'un des conjoints est un horsin. Nous n'avons pas tenu compte des quelques mariages célébrés entre deux étrangers à la paroisse, il s'agit en effet de mariages imposés par sentence du bailli ; après constatation de la grossesse de la femme et emprisonnement de l'homme, tel celui enregistré en 1660 :
«Par sentence de messire le Bailli de Montmorency rendue le 9e de ce mois, sont comparus devant moi, pour être mariés Jacques Bridault de la paroisse de Groslay, d'une part, et Barbe Pivin de la paroisse de Groslay, lesquels ont fait acte de mariage ce 20e de février 1660, en présence de François Pivin frère de la mariée et de Guillaume Lefeuvre geôlier habitant cette ville» (2).

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Évolution du nombre d'habitants
Évolution du nombre d'habitants de 1636 à 1713.

Revenons à nos 4 échantillons, Pourquoi 1/3 des ménages comptent-t-ils un conjoint étranger ? Dans une petite bourgade de 1300 habitants, les possibilités de trouver un conjoint d'âge approprié et de même milieu socio-professionnel, tout en respectant les 13 cas d'empêchement prévus par le droit canon, sont assez limitées ; l'exogamie s'impose donc souvent. À la consanguinité interdite jusqu'au 6e degré, s'ajoutent les affinités spirituelles.

Un parrain ne peut épouser ni sa filleule, ni la mère de l'enfant, ni la marraine. De même, la marraine ne peut convoler avec son compère, son filleul ou le père de l'enfant. Il est donc d'usage de choisir pour parrain ou marraine les aïeux, les oncles et tantes et même les frères et sœurs. Il est, certes, toujours possible de solliciter de l'Église une dispense : à l'évêché ou à Rome si les liens familiaux sont trop proches, encore faut-il remplir certaines conditions : l'impossibilité de trouver facilement un autre parti (fille âgée et sans dot, pauvreté des conjoints) mais certaines dispenses sont assez facilement accordées quand les requérants sont connus !

Sinon c'est dans les villages voisins qu'il faut chercher ; toutefois, les terres et les vignes apportées en dot ne doivent pas être trop éloignées, c'est pourquoi la distance entre les paroisses des deux époux excède rarement 10 km.

Qu'en est-il à Montmorency ? Sur les 195 horsins, 86 sont originaires des villages limitrophes : Deuil (33), Groslay (14), Saint Brice (14), Soisy (11), Domont (7) et Andilly (7). Au delà de cette couronne, nous trouvons Montmagny (4) Épinay (4) et Taverny (5) puis un peu plus loin les deux villes de St Denis (6) et de Paris (17) ; quelques personnes viennent enfin de diocèses éloignés.

En fait, les vignerons, et pour cause, sont ceux qui bougent le moins ; ainsi Gabriel de la Forge, tonnelier et vigneron, né à Montmorency en 1653, se marie avec une fille de vigneron de Deuil ; il s'y installe, y fait souche sans rompre les liens avec sa ville natale ; devenu veuf, c'est à Montmorency qu'il se remarie et finit ses jours ; certains de ses enfants resteront à Deuil, d'autres deviendront montmorencéens.

Ce sont les conjoints des commerçants et ceux des officiers du duché qui viennent des paroisses les plus éloignées.

Que nous apprennent les registres concernant l'âge et le niveau culturel des mariés ? L'âge moyen se situe entre 23 et 25 ans pour les femmes, il est de 25 à 27 ans pour les hommes mais les exceptions existent.

Louis XIV, par l'ordonnance de St. Germain, a rendu obligatoire, en 1667, la signature des registres de mariage par les conjoints et leurs témoins. De 1666 à 1691, 153 époux sur 298 soit 51,6 % signent ; les signatures des épouses n'apparaissent qu'après 1669 et ne représentent que 11,7 %. Un homme sur deux sait donc signer son nom, (avec parfois beaucoup de maladresse !) les maîtres d'école de Montmorency dont le plus anciennement connu est mentionné dès 1623, n'ont apparemment pas perdu leur temps ; par contre, l'enseignement des Ursulines (Madame de Brinon a ouvert son école en l680) n'a pas encore porté ses fruits.

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Une société hiérarchisée.

3 groupes distincts composent la société montmorencéenne :

Dans chacun de ces groupes, les différences de revenus et de savoir ont engendré une hiérarchie entre les pauvres, ceux qui arrivent tout juste à vivre et ceux qui sont à l'abri du besoin. Les renseignements concernant les pères et les parrains, rares dans les registres du début du siècle, deviennent plus fréquents vers la fin ; c'est pourquoi nous avons choisi d'étudier la période 1679--1681. 151 baptêmes ont été célébrés durant ces 3 années et 150 professions sont indiquées.

Que pouvons-nous tirer de cet échantillon en dépit de la brièveté de la période et l'imprécision des renseignements fournis ? En tenant compte du fait que les mêmes personnes peuvent être mentionnées plusieurs fois comme père ou parrain et que beaucoup d'habitants ne figurent pas dans les registres, il nous est possible de donner un ordre de grandeur pour chacun des 3 groupes.

Avec ses vignobles et ses grandes propriétés, Montmorency a conservé un secteur primaire important : vignerons et jardiniers (43) représentent 30 % de notre échantillon mais ce chiffre est certainement inférieur à la réalité car beaucoup de vignerons exercent une autre activité durant la morte-saison et sont alors comptés parmi les artisans et commerçants particulièrement nombreux (89, soit 59 %) dans la ville qui est le centre économique et administratif du duché.

Le troisième groupe, constitué des officiers seigneuriaux et royaux et de quelques bourgeois de Paris compte 11 % de la population.

Les «laboureurs de vignes», c'est ainsi que sont appelés au XVIIe les vignerons, constituent un milieu homogène sans gros propriétaires ; il existe pourtant une hiérarchie parmi eux. Au bas de l'échelle se situent ceux que M. Lachiver démmme «les Vignerons de l'indigence» ; micro-propriétaires, ils doivent obligatoirement travailler comme manouvriers dans les vignes des communautés religieuses ou celles de la bourgeoisie locale. Vendant leur vin dès les vendanges faites pour payer les dettes accumulées pendant l'année, ils s'endettent à nouveau dès le printemps venu.

À l'échelon supérieur se situe la masse des vignerons. Ils vivent presque en autarcie, produisant leurs légumes, élevant un porc ou une vache et joignent une autre occupation à leur activité viticole : cabaretier, charretier etc... Ces pluriactifs sont nombreux, ils se marient dans le village ou à proximité (endogamie géographique) et presque toujours dans leur milieu ; cette homogamie socioprofessionnelle permettant, grâce à la dot apportée par le conjoint, de maintenir le minimum de perches nécessaire pour nourrir leur famille. Témoin de cette catégorie, à la limite de l'échelon inférieur, où la descente est toujours possible en cas de crise ou d'héritage à partager entre de trop nombreux frères et sœurs, la famille de Gabriel Nourry. Ce vigneron se marie en 1656 ; il a pour témoins un vigneron et un cabaretier. Ses 3 enfants arrivés à l'âge adulte se marient à Montmorency. Marie épouse un vigneron ; Guillaume, d'abord vigneron, devient ensuite «soldat aux gardes» tandis que Jean qui, sans doute comme son frère ne peut vivre de ses vignes, devient jardinier.

Quelques vignerons peu nombreux, comme Martin Fosse, peuvent vivre des seuls revenus de leurs vignobles : ils constituent le sommet de la hiérarchie.

Qu'ils logent à la Rue (les Gallerands) ou en ville, leur maison est la même ; elle comprend, au rez-de-chaussée, le cellier et éventuellement une étable, au premier, une ou deux pièces surmontées d'un grenier et donne sur une cour où se trouve parfois un puits. Les seuls indices permettant de juger du niveau social sont le nombre de tonneaux enfermés dans le cellier et le lieu de l'inhumation : Gabriel Nourry et sa famille sont enterrés dans le cimetière St. Jacques tandis que Martin Fosse et les siens reposent dans la chapelle.

Pour répondre aux besoins de la population et à ceux des étrangers qui viennent pour affaires ou fréquentent le marché du mercredi, de nombreux artisans oeuvrent dans la ville. Signalons par ordre d'importance : les métiers du bâtiment mentionnés 32 fois (maçons, couvreurs, vitriers), suivis par ceux de l'habillement (bottier, cordonnier, tailleur mais aussi tissemnd et marchand de dentelles), mentionnés 11 fois). Vient ensuite le secteur de l'alimentation (18 fois). Montmorency, pays de vignobles, produit peu de grains, bien qu'il y ait deux moulins ; le pain s'achète chez les boulangers tandis que bouchers, charcutiers et épiciers fournissent le nécessaire aux membres du secteur tertiaire et aux aubergistes actifs et bien aehalandés. On peut «loger à pied et à cheval» dans les vieilles auberges intramuros : rue de la fontaine ou de l'église ou dans celles qui se sont récemment ouvertes autour de la place du marché comme celle que tient la famille Hardeboeuf (3).

Autres activités : celles qui sont indispensables aux transports : charron, maréchal-ferrant, bourrelier, et celles liées à la proche forêt : bûcherons, tonneliers, etc... Tous ces artisans sont aussi à l'automne vignerons car, qui, à Montmorency, n'a pas quelques perches de vignes dont il tire son vin ? Le reste de l'année, ils travaillent dur dans les échoppes réparties autour des trois places de la cité : place de l'auditoire dans la vieille ville et, hors les murs, places St. Jacques et du marché.

Les maisons, contiguës, sont plus ou moins grandes mais donnent toutes sur une cour. Nous possédons la description aux enchères en 1637 : autour d'une «cour contenant 2 perches ou environ dans laquelle sont 3 estables, scavoir 2 à vaches et l'aultre à porcqs, couvertes de chaume » se trouvent deux bâtiments «une vieille maison de 2 travées avec une chambre voûtée, un grenier dessus et une neuve de 2 travées avec une cave, boutique en bouge, une chambre, garde robe, grenier dessus»(4).

Il existe dans ce monde artisanal une hiérarchie connue et respectée ; elle joue d'abord entre les différents corps de métier, puis à l'intérieur de chaque corporation, que contrôlent les «maistres», qui emploient les compagnons et apprennent à leur fils ou neveux les tours de main du métier qui se transmettent d'une génération à l'autre dans la famille. C'est ainsi que les La Forge seront tonneliers de pères en fils pendant trois générations.

La différence sociale est nettement marquée, lors des obsèques : les simples artisans sont, comme les vignerons, inhurnés dans les cimetières : à St. Martin pour ceux qui habitent dans le vieux centre, dans le cimetière St. Jacques pour ceux qui vivent hors les murs tandis que les «maistres» cordonnier, comme Jean Hubert, ou tonne1ier, comme les La Forge, ont leurs places dans la chapelle St. Jacques.

L'administration du duché (police, justice, finances, eaux et forêts) est concentrée entre les mains d'un petit groupe de personnes constituant un milieu fermé et hiérarchisé. Au sommet, trois personnes : le Bailli qui préside le tribunal ducal, assisté d'un lieutenant-général, fait appliquer la loi et poursuit les contrevenants. Le procureur fiscal, quant à lui, défend les intérêts financiers du Prince de Condé.

Viennent ensuite les 12 procureurs, les notaires, les greffiers, le voyer, les chirurgiens-jurés et le fermier des mesures à grain et à vin. Enfin. le petit personnel chargé du maintien de l'ordre est constitué des sergents (ils sont 15), du geôlier et des gruyers à qui incombe la surveillance de la forêt.

Ces «officiers» ont été choisis ou acceptés par le Prince de Condé car ils sont propriétaires de leur charge, qui se vend ou se transmet héréditairement de père en fils, de beau-père à gendre ou d'oncle à neveu. De véritables dynasties, les Le Laboureur, Noblet, Coulon, de Michy, Mathas etc..., se sont ainsi implantées à Montmorency aux XVIIe et XVIIIe siècles. On se marie dans son milieu, ce qui implique de fréquentes alliances entre les mêmes familles si bien qu'après 2 ou 3 générations, tous sont cousins et qu'obtenir une dispense de consanguinité est indispensable. Ainsi, Nicolas de Michy, procureur au baillage, fils de Guillaume lui-même procureur, épouse en 1650, avec dispense, Marie Turquois, fille de Denys lieutenant général du duché et de Marquette Le Laboureur. De même, Henry Noblet, procureur, fils de procureur, se marie en 1645 à Anne Genuyt, fille d'un procureur. Les possibilités de mariage sur place étant limitées, des alliances sont aussi conclues avec les familles des notables de la région : Pierre de Michy, frère de Nicolas, procureur et greffier, convole avec une jeune fille de Louvres tandis que Paul Madras se marie avec une argenteuilloise. Comme l'endogamie, cette homogamie socio-professionnelle a ses limites : le nombre des offices étant restreint et les familles nombreuses, tous les fils ne peuvent succéder à leur père; aussi assiste-t-on à un double mouvement : les plus doués font carrière à Paris où ils deviennent avocats au Parlement ; les plus riches comme Henry Coulon, fils de Jean, le procureur fiscal du duché, achètent une charge de garde du corps du Roy, ils acquièrent ainsi, la noblesse et deviennent «écuyers».

Par contre, ceux qui ont moins de possibilités intellectuelles ou financières peuvent rétrograder à l'échelon inférieur (c'est souvent le cas des derniers-nés). Dans la famille Mathas se côtoient des procureurs, un procureur fiscal mais aussi un simple sergent du duché. Le même phénomène existe au niveau des sergents dont la fonction se transmet généralement de père en fils mais parfois l'un d'entre eux quitte la ville et devint huissier à cheval au Châtelet de Paris.

Quant aux filles, les ainées se marient généralement dans ce milieu ; Jeanne Trigory épouse Martin Mathias, procureur, et sa sœur Marie devient la femme d'un de Michy. Mais, là encore, même en recourant aux dispenses de consanguinité, les possibilités sont limitées; aussi, certaines quittent-elles ce milieu de robins pour celui des marchands, riches et parisiens autant que possible : Marie Coulon, fille d'un procureur fiscal épouse en 1650 Jean Denys un marchand, bourgeois de Paris, Catherine sa cousine est unie à un marchand joaillier.

Après avoir transmis leur charge, ces notables se retirent dans les paroisses dont leur famille est originaire : Les Boscheron à Deuil, les Por1ier à St. Brice : c'est là, dans la propriété familiale, que décède en 1676 Claude Michy, veuve en secondes de Claude Por1ier ; ils préfèrent parfois, comme Jacques Mathas, finir leurs jours à Paris.

Quelques «officiers» représentant le pouvoir royal et les trois frères de Sain : Antoine, maître queux du commun du Roy, Nicolas, chef de la fruiterie du Roy et Claude, bourgeois de Paris, complètent ce petit groupe des détenteurs du pouvoir, du savoir et de l'argent.

Quels liens existe-t-il entre eux et la population ?

Les distances sont certainement aussi marquées dans la vie qu'elles le sont dans la mort ; c'est dans les chapelles et non dans les cimetières que sont inhumés les membres de ce groupe. Les tombes des De Michy, Boscheron, Coulon sont dans la Collégiale tandis que la chapelle Notre Dame, le plus ancien lieu de culte, abrite jusqu'à la fin du siècle les sépultures des Le Laboureur, Mathas et Porlier ; plus tard, c'est dans l'église du couvent des Mathurins que ces familles se font eñsevelir. Jacques Madras est ainsi inhumé en 1683 dans la chapelle St. Jean Baptiste qu'il y a fait construire ; sa femme Marie y est, à son tour, déposée en 1686 en présence de son fils Jean, bailli du duché, de son petit fils Jacques, procureur fiscal et de son frère Cyprien Porlier, ancien procureur fiscal. Aucune inhumation de notables n'est enregistrée dans la chapelle St Jacques réservée aux boutiquiers.

Il arrive parfois que quelque pauvre hère venu chercher secours dans la bourgade y décède, tel celui qui «le samedi 30 janvier de l'année 1683 a été trouvé dans un champ au lieu dit la croix blanche, un pauvre mort, que l'on dit être un pauvre passant que l'on avait vu mendier la semaine dernière dans Montmorency et était tout langoureux et que l'on croit être mort de langueur et de froid...» (2).

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La vie quotidienne

Les autorités dont dépendent les habitants sont nombreuses.

En premier lieu s'exerce celle du Prince de Confé, seigneur haut-justicier. C'est en son nom que sont levés les cens les taxes sur les marchandises, et les autres droits dûs par les montmorencéens ; c'est dans son auditoire qu'est rendue la justice et c'est dans ses prisons, dont il subsiste quelques bâtiments, que l'on risque de purger sa peine ; mais, la peine capitale ne peut désormais être prononcée que par les tribunaux royaux.

L'autorité royale se fait également sentir dans le domaine fiscal : chaque année les «élus» doivent collecter la taille à laquelle sont venus s'ajouter à la fin du siècle la capitation et le vingtième ; c'est à ses représentants que doivent être payées «les aides» sur les boissons et c'est au grenier à se] de Paris qu'il faut aller acheter le «sel du devoir».

L'autre pouvoir, omniprésent dans la vie des habitants. est celui de l'Église.

Le baptême est généralement célébré le jour même de la naissance pour éviter, tant la mortalité est considérable. que les enfants non baptisés se voient refuser le Paradis. La sage-femme est donc choisie moins pour ses compétences que pour sa bonne conduite car elle doit pouvoir ondoyer les enfants en cas d'urgence, comme ce fut le cas le «premier d'avril 1669», lorsqu'«une femme de Gonesse est accouche'e chez la veuve Gabriel Germain d'un enfant mâle qui à été ondoyé par la sage-femme avant d'être inhumé dans le cimetière de cette paroisse.»

Le mariage, après les fiançailles célébrées la veille devant le prêtre, consiste en l'engagement pris par les deux époux «par paroles de présent, devant notre Mère la Sainte Église». Il ne peut avoir lieu ni pendant le carême ni pendant l'avent ; c'est pourquoi les vignerons se marient soit en novembre après les vendanges, soit en janvier après la vente du vin.

En dehors de ces cérémonies exceptionnelles, c'est chaque dimanche et à chaque fête carillonnée que les fidèles se rendent à la collégiale devenue l'église paroissiale en 1631. C'est là, à l'issue de la grande messe que sont lues les ordonnances, que sont convoqués les membres de la communauté des habitants (les syndics) ou ceux de la Fabrique (les marguilliers). Trois ordres religieux sont présents à Montmorency mais il n'y a qu'une paroisse : St Martin : elle relève de l'évêché de Paris et est confiée aux 0ratoriens venus en 1618, à la demande d'Henry II de Montmorency, remplacer les chanoines St. Victor. Le curé de la paroisse est donc depuis 1631 choisi parmi les 0ratoriens : lui seul peut officier, baptiser, marier ou inhumer ses paroissiens et il entend défendre ses prérogatives ! Les Feuillants, résidant dans leur couvent à l'angle de la rue Bayle, sont peu nombreux et ne posent pas de problème. Il n'en est pas de même des Mathurins ou Trinitaires. Venus en 1601, à la demande du Duc de Montmorency et avec l'accord de l'archevêque de Paris pour s'occuper des malades de l'hôtel-Dieu, ils ont construit (à l'emplacement de l'hôpital) un couvent, y célèbrent la messe et procèdent à des inhumations dans les chapelles qu'on fait édifier les familles de notables, ce qui provoque l'ire des 0ratoriens et donne lieu parfois à des procès. Ainsi le dimanche 28 avril 1669, «a été enterré dans l'église des R.P. Mathurins Michel Lesage gardien de l'hôpital décédé le 27 et dont le corps qui avait été, par entreprise, porté sans nous dans ladite église, ayant été rapporté à la porte dudit hôpital en suite d'un jugement donné en notre faveur, a été par moy, curé soussigné, levé et conduit avec les cérémonies accoutumées dans ladite église» ! (2).

En semaine. tout le monde travaille : aux champs ou dans les échoppes ; mais le mercredi, jour du marché, la ville s'anime : la foule y vient de loin car c'est le seul marché du duché ! C'est alors, devant les hayons, à la forge et dans les auberges que sont commentées les nouvelles concernant le temps, les impôts, la guerre etc...

Pendant ce temps, les femmes qui sont allées chercher de l'eau au puits ou à la source (des basserons, de St Paul, des quatre sous etc...) s'occupent de leur intérieur, allaitant leur dernier-né tout en surveillant les plus âgés et les enfants en nourrice. Pour compléter les revenus du foyer, elles travaillent la dentelle et participent de temps en temps à l'activité de leurs maris : à la boutique ou dans les vignes; ébourgeonnant en juin et vendangeam avec toute la famille à l'automne.

Religieux trinitaire
Religieux trinitaire en mathurin réformé.

Les enfants, en hiver surtout. sont à l'école. Les garçons travaillent, en 1679, sous la direction de Toussaint Hurtel dans la petite maison située en face de la chapelle Notre-Dame tandis que les fillettes vont dans une petite école qui jouxte la chapelle. Elles ont pour maîtresse en 1680 madame de Brinon, une Ursuline qui restera jusqu'en 1682, avant de s'installer à Rueil puis de prendre la direction de l'école fondée par Madame de Maintenon à St. Cyr; elle est remplacée par Jeanne Busselin. La scolarité dure peu, l'apprentissage commençant tôt.

Quelques fêtes viennent rompre le train-train quotidien : la fête paroissiale à la St. Martin et le pèlerinage organisé le 1er août en l'honneur de St. Félix rassemblent toute la ville mais d'autres cérémonies ne regroupent qu'un nombre restreint d'habitants : ce sont les processions des différents corps de métier qui honorent à tour de rôle leurs saints patrons : après les Vignerons qui fêtent St. Vincent le 22 janvier. puis les charpentiers honomnt St. Joseph le 19 mars, vient le tour des boulangers, des maçons etc.

Parfois, survient un évènement qui excite les esprits (procès, accident). Ce peut être aussi l'annonce d'une catastrophe qui met fin à la quiétude et fait retentir la vieille invocation :«De la peste, de la guerre, de la famine préserver-nous, Seigneur !» Certes, l'époque des guerres de religion est révolue mais elle a laissé des souvenirs (Montmorency fut alors prise d'assaut et la population massacrée.) Les Frondeurs se contentent en 1649--1652 de loger leurs chevaux dans la collégiale mais ils propagent l'épidémie et provoquent la famine (1) et les trois chirurgiens-jurés sont bien impuissants ! Il est vrai qu'ils ne sont là que pour prêter serment devant le tribunal dans les procès où leur compétence est requise. Aucun autre médecin n'étant mentionné dans les registres; il nous en faut conclure que c'est à eux que la population a recours même si la médecine telle qu'on la pratique au temps de Molière (clystères et saignées) est parfaitement inefficace en cas d'épidémie. Quant à l'Hôtel Dieu, il n'offre qu'un nombre limité de lits réservés aux pauvres de la ville.

Pourtant, Montmorency, déjà réputé pour son calme et son air pur, attire quelques Parisiens désireux de se reposer en ce lieu proche dela grande ville, qui offre les avantages de la campagne et les services d'une petite bourgade. Quelques châteaux sont alors édifiés, tel celui que fait bâtir le peintre du Roy : Charles Le Brun.

Jacqueline Rabasse

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Notes

(1) Sur la Fronde et ses conséquences, voir le numéro 10 de la revue.

(2) Registre de catholicité -- archives municipales.

(3) Sur la famille Hardebeuf et son auberge, voir l'article de J. Geninet

(4) Archives privées.

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