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L'arrestation et la décapitation
d'Henri II de Montmorency
vues pas ses contemporains

Registre de catholicité de Montmorency
Extrait du registre de catholicité de Montmorency.

Le 30 octobre 1632, le duc Henri II de Montmorency, reconnu coupable de rébellion et de lèse-majesté, est décapité à Toulouse. Comment cette nouvelle extraordinaire fut-elle reçue par la population de la duché-pairie ? Nous l'ignorons. Les simples habitants, vignerons et marchands, ont dû commenter l'événement et regretter la fin tragique de leur seigneur mais ils n'avaient aucun moyen de transmettre à la postérité leurs impressions. Quant aux officiers du duché, les seuls assez instruits pour livrer un témoignage écrit, ils se sont bien gardés de laisser trace de leur désarroi, de leur crainte et de leurs éventuels regrets, l'administration du fief confisqué ayant été confiée à des représentants du roi.

Nous n'avons qu 'un seul témoignage : la très succincte mention portée par le curé de la paroisse dans le registre des décès. «Le samedy trentiesme jour d'octobre 1632, le seigneur et duc de Montmorency a esté décapitté à Toulouse. Resquiescat in pace».

Si le silence des textes est total à Montmorency, il n'en est pas de même à Toulouse, dont le Parlement fut chargé par Louis XIII (honneur dont les parlementaires se seraient bien passés !) de l'instruction du procès. Quelques documents, aimablement communiqués par le Service des Archives de la ville, nous permettent de deviner, derrière le récit des évènements, les réticences et les divisions de l'opinion. Nous en publions de larges extraits et en résumons les passages que nous avons jugés moins significatifs. Le premier document, quelques pages des annales de la ville de Toulouse, expose les faits survenus dans la seconde ville du royaume de juillet à novembre 1632. Ce récit, écrit après coup, et bien documenté, émane des cercles dirigeants de la ville dont il défend les prises de position ; il est partial mais fort intéressant pour ce qu'il laisse deviner de la réaction des Toulousains à la trahison, l'arrestation et l'exécution de leur gouverneur. Voyons comment l'auteur présente les faits : quand Gaston d'Orléans, frère et héritier du roi Louis XIII, entre en rébellion et descend dans le Midi, au début de juillet, «feu Monsieur de Momorancy nostre gouverneur... commanda aux Capitouls de fermer les portes et faire une exacte garde...» puis des émissaires de Monsieur, frère du Roi, le persuadent de soutenir l'héritier de la Couronne et Henri de Montmorency change de camp. C'est alors que le 27 juillet est interceptée une de ses lettres que le Président du Parlement et les Capitouls font parvenir à Louis XIII, l'assurant, malgré la défection de leur gouverneur, de leur fidélité sans faille ; ils sont surtout soucieux d'éviter à leur ville de se trouver mêlée à une dangereuse aventure et d'avoir à en subir les conséquences. «Jugeant bien que c'étaient des factions et des feactieus qui prenent toujours soubs le nom de princes des prétextes spécieus du bien public pour leurs interests ; que quand il y avait des désordres en l'Estat, qu'ils n'apportèrent jamais tant de ruines que la désobéissance et la rébellion». C'est pourquoi, quand le maréchal de Schomberg arrive à la mi-août dans le Midi pour y rétablir l'autorité royale, les édiles toulousains lui envoyent une délégation l'assurer qu'ils tiennent leur ville dans l'obéissance. Ils y sont d'autant plus déterminés que : «Le vingt-troisième du même mois d'août, le Roy par ses lettres patentes ...declaire Monsieur de Momorancy criminel de lèse-majesté, descheu de tous grades, dignités et honneurs, la duché de Momorancy esteinte et réunie à la couronne, ses biens acquis et confisqués, que le procès luy serait faict par le Parlement de Toulouse nonobstant le privilège de pairie»...

La rencontre entre les deux armées a lieu le premier septembre près de Castelnaudary. Tandis qu'Henri de Montmorency se lance follement contre l'armée royale, «l'armée de Monsieur ne bransla point» si bien que, supérieurs en nombre, les rebelles sont battus et le gouverneur du Languedoc, blessé et prisonnier, est conduit au château de Lectoure.

«Cette victoire glorieuse... et la venue du Roy qui fut tost après, enlevèrent toutes nos craintes» affirme notre auteur, qui précise que les Capitouls font alors cesser la garde des portes et que cette décision «que les médisants appeloient leurs négligences épargnèrent à la ville de grands frais et dépenses»...

Monsieur s'est retiré à Béziers où il attend sa rentrée en grâce ; après 3 mois de négociations serrées, il promettra de respecter l'autorité du roi son frère, recouvrera tous ses biens et dignités. Il a, à cet effet, abandonné son allié à la vindicte royale. C'était, en fait tout le Languedoc qui, derrière son gouverneur, s'était révolté pour défendre son autonomie. Pour rétablir l'ordre, Louis XIII en convoque les États :«Notre Roy juste en a fait l'ouverture ; Deux cardinaux Monsieur de Richelieu et Monsieur de la Vallette... Monsieur le Garde des Sceaux, quatre maréchaux, deux pairs de France : les ducs de Retz et d'Uzès, douze prêlats de la province y assistèrent avec les députés des estats»... et impose ses volontés à l'assemblée intimidée «l'effet et la fin principale d'iceux fut une obéissance aveugle aux volontés du Roy pour l'édit du règlement des estats ef les impositions qu'il voulait estre faites en la province». Ce contrôle imposé à l'assemblée provinciale ainsi que les impôts supplémentaires ne sont certainement pas acceptés de bonne grâce mais notre scribe, lui, les justifie, affirmant que «C'est une justice parfaite que l'obéissance à ses roys et que les souffrances des peuples viennent de Dieu, pour notre bien, et gu'elles sont de grand prix. Beati populi qui patiuntur propter justitiam».

Le roi, son pouvoir n'étant plus contesté, vient à Toulouse avec sa suite pour y faire juger l'ancien gouverneur. La guerre civile étant à peine finie et Montmorency populaire et fort aimé en Languedoc, des précautions sont indispensables pour éviter toute manifestation en sa faveur. L'entrée solennelle de Leurs Majestés sera différée ; les festivités réduites au minimum «le roy ne veut point qu il leur soit fait entrée ny que les habitants sortent en armes, qu'on fasse seulement tirer le canon, que les capitouls se tiennent à la porte avec une harangue à Leurs Majestés et les clefs pour présenter au Roy suyvant la coustume».

Éxécution d'Henri II
L'éxécution du duc de Montmorency dans la cour du Capitole.

C'est le 22 octobre que le Roi d'abord, la Reine ensuite, font leur entrée dans la ville, suivis de Richelieu. Trois jours plus tard, les réiouissances finies, Henri de Montmorency que «le Roy mande quérir à Leytoure ...fut mené en carrosse et conduit à la maison de ville, le Roy par avance y avait mis le 25 octobre une compagnie de 1OO suisses et 20 soldats des Gardes commandés par Monsieur Launay»...

L'interrogatoire du prisonnier, étroitement surveillé, est rapidement mené les 27 et 28, à l'hôtel de ville même ; puis le procès est instruit par le Parlement le 29, sans que l'ex-gouverneur soit présent : on ne le laisse pas sortir par crainte d'une «émotion» populaire. Henri de Montmorency ayant reconnu les faits: «Je fus pris me battant contre l'armée de Roy conduite par le sieur comte de Schombert, en quoy je reconnais avoir offensé Sa Majesté et en ay du regret», est enfin, le 3O octobre au matin, mené devant le Parlement qui, le Garde des Sceaux présidant, le condamne à avoir «la leste tranchée à la place Saint Georges» le jour même. Mais, «le Roy voulut que ce fut audit hostel de ville»...lieu clos et sevèrement gardé, tant les réactions de la population en faveur du prisonnier sont à prėvoir en cas d'éxécution publique. Et, pour les mêmes raisons, il importe d'aller vite. En conséquence «il fut faict un petit eschafaud à la basse cour dudit hostel de ville... Monsieur le cardinal de Richelieu manda quérir les capitouls et leur commanda de la part du Roy, d'assister à l'éxėcution... Ce fut sur les deux heures... il n'y eut autres officiers que les capitouls... ledit seigneur monta sur l'échafaud, se mit à genoux, baisa le crucifix, se recommanda aux prières du père et dit ces mots «Domine suscipe spiritum meum». Puis, «la teste tranchée, soudain la maison de ville fut ouverte à lous... le corps fut porté en carrosse à la chapelle de l'abbaye Saint Sernin... et le lendemain ensevely en la chapelle Saint Exupère».

Les registres paroissiaux de Saint Sernin mentionnent, avec quelques détails supplémentaires, l'inhumation.

Justice ayant été rendue, le roi et la Cour quittent Toulouse dès le 31, accompagnés pendant quelques lieues par le maréchal de Schomberg, le nouveau gouverneur du Languedoc, après avoir entendu les capitouls qui, dans une demière harangue, insistent sur le fait que, malgré «ces déffections de leur gouverneur, ...des principales villes de la province ...des plus grands de la noblesse» Toulouse est «toujours restée fidèle son Roy».

Ce rappel du thème dejà evoqué lors de l'entrée de Louis XIII montre combien la venue du roi, la présence du cardinal-ministre, celle de l'armėe de Schomberg et les mesures prises lors de la tenue des États à Beziers ont modifié en Languedoc, l'équilibre des forces traditionnel. C'en est fini de la relative independance de cette province éloignée du pouvoir central et mieux vaut affirmer bien haut sa loyauté et son obéissance.

Tel est le discours officiel des édiles. Mais les capitouls et leur porte-parole représentent-ils l'opinion générale ? On peut en douter. Car le sentiment d'une identité propre reste vivace en Languedoc, de même que l'attachement ȧ la famille des Montmorency, qui de 1526 à 1632, ont assumé la charge de gouverneur. Cela explique que tant de précautions aient eté prises pour empêcher un éventuel soulèvement de la population, et même --- qui sait ? --- une tentative d'enlèvement. Ce prisonnier, si bien gardé, fut neanmoins très convenablement traité, si l'on en juge par notre second document : Le rôle des comptes de la ville de Toulouse, dans lequel ont été, de novembre 1632 à avril 1633, mentionnées les sommes versées sur l'ordre des Capitouls pour régler les dépenses occasionnées «par l'emprisonnement de Monsieur de Montmorency et la venue du Roy».

Extrait des registres de Saint-Cernin
Extrait des registres de Saint-Cernin.

En ce qui concerne Henri de Montmorency, les premières dépenses sont dûes à la nécessité de transformer en prison l'hôtel de ville, qui ne s'y prêtait guère; il fallut avoir recours aux services d'un architecte, effectuer des travaux de maçonnerie puis grillager avec du «fer mol certaines chambres de la Maison de ville pour y tenir en assurance Monsieur de Montmorency qui a esté conduict prisonnier... et payer les clous, chevilles .. .pour assurer les portes et fenêtres des dites chambres».

Puis, le roi ayant ordonné d'y envoyer une compagnie de 100 suisses et 20 gardes, il fallut acheter «au sieur Manavit pour 40 canes et demy de toile pour matelas de paille pour le giste des suisses».

Ordre de paiement
Ordre de paiement pour le fer mol; les clous et les chevilles.

Quant aux capitaines commandant ces troupes, les capitouls destinent à leur usage 8 matelas de laine qu'ils ont loués maîs qu'ils devront, en fait, payer «pour avoir esté perdus et emportés par les soldats ou autres personnes qui lors estaient dans la maison de ville» !

Le prisonnier n'était pas seul dans sa chambre ; le sieur de Launay, commandant des gardes, lui tenait compagnie. Il ne devait y passer que peu de temps, mais le roi avait ordonné de le traiter convenablement. Il fut donc acheté ; «une chaise percée de Flandres, un pot à pisser d'estaing, 4 couvertes de lit blanches (des draps ?) et 4 couvertes 2 grandes et 2 petites... pour l'ameublement de Monsieur de Montmorency et du sieur de Launay ,.. mais lesdites couvertes ont esté emporfées par les gens de guerre».

Enfin, les murs de la pièce «où on avait logé feu Mr de Montmorency» avaient été tapissés de «14 canes de tapisserie de Rouen».

Ces dépenses se montent, uniquement pour l'aménagement des locaux car rien n'est dit de la nourriture qui n'était peut-être pas à la charge des capitouls, à 437 livres 8 sols 9 deniers.

C'est beaucoup pour un emprisonnement de 5 jours mais peu en comparaison des dépenses concemant le séjour de leurs Majestés et de leur suite qui atteignent 2003 livres 2 sols 6 deniers, uniquement en frais de représentation, à savoir: la rémunération

À cela s'ajoutent des frais divers, tels la solde des gardes qui se tiennent aux portes de la ville, le bois destiné à alimenter les feux des corps de garde etc... C'est, au total, 2.858 livres que les capitouls ont dû débourser. Ces dépenses imprévues ont pesé lourd sur les finances d'une ville que l'épidémie de peste survenue quatre ans plus tôt avaient déjà fortement touchées ; mais, notre annaliste (pourtant si soucieux d'économies) ne pensait-il pas que cela valait mieux qu'un siège en règle suivi de la prise de l a cité par la soldatesque ! On ne peut qu'être d'accord. Pourtant, les impôts royaux étant déjà lourds, ces dépenses supplémentaires ont dû conforter en Languedoc l'idée qu'il est préférable de vivre loin des puissants, que le roi est d'autant plus aimé qu'il séjourne à Paris et ne vient point visiter ses bonnes villes de province et qu'il est souhaitable que les gouverneurs ne se rebellent poiint.

Jacqueline Rabasse

Ordre de paiement des matelas
Orde de paiement des matelas pour le gîte des Suisses.

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